samedi 28 mars 2009

L'éloge de la fuite.

28/03/2008

Yuriko redescendit, rassurée un tant soit peu par l'absence de cris stridents, ce qui semblait indiquer que la... chose avait enfin expiré. Arrivée en bas, elle vit Mannrig qui finissait de la décapiter, et se dit que, quand même, il mettait un zèle suspect à vouloir bien faire. La cuisine était redécorée, m'enfin... On n'est jamais trop prudent. Regardant à droite et à gauche, elle aperçut le renard qui couinait près de la porte de la cave. Ah, bon ? Elle est là, ta maîtresse ? Yuriko ouvrit la porte à nouveau et entendit un grognement étrange, quelque part dans l'obscurité. Puis, quelques secondes plus tard, un bras décharné jaillit de l'ombre et tente de lui attraper la cheville, alors qu'un visage "exprimant de la haine pure" transparaît dans la noirceur. Yuriko esquive aisément, décolle du sol et frappe du pied là où doit se trouver la tête du monstre. Il lui sembla qu'elle l'avait touché, mais il s'enfouit sous un épaisse couche d'obscurité où rien ne permettait de distinguer quoi que ce soit. "Mannrig ! cria-t-elle, lâche ton jouet et viens par là, y'a quelque chose de pas net !" Toujours en volant, elle alla chercher un autre tison, et revint à la porte de la cave avec cet éclairage de fortune, juste à temps pour apercevoir une jambe se faufiler derrière le premier tournant. "Amène-toi, on y va. Ils sont peut-être là-dedans, annonça-t-elle à Mannrig, en commençant à descendre, et, s'il te plaît, lâche ce truc, ça me rend malade." Il se débarrassa d'un coup de pied de la tête de la vioque, qu'il avait embrochée au bout de son épée, non sans l'avoir préalablement carbonisée dans l'âtre de la cheminée. La boule sans forme ni couleur roula dans l'escalier, et Yuriko put tendre la torche à son compagnon. Un cri de rage retentit, dans lequel perçait de la douleur et de la haine, mais pas beaucoup d'humanité, et pour tout dire rien de bienveillant à notre égard.
Ils descendirent sans plus tarder. Yuriko, croyant s'être débarrassée des pièges, était assez confiante, jusqu'à ce que le sauvage aux réflexes salutaires fasse un bond en arrière à cause d'une marche qui faisait "clic", et que ne s'ouvre une trappe sournoise dans l'escalier sombre. Il éclaira la fosse, qui de toutes façons était trop profonde pour qu'ils en aperçussent le fond, cependant, ils entendirent un "hou hou ? On est là !" qui ne pouvait pas prêter à confusion. Ils étaient là, en effet.
Yuriko prit la torche, puis, une fois descendue en bas, l'implantée mammaire par le col. Un deuxième voyage pour remonter Léander, et ils furent tous réunis. Arrivés en haut, Skyla tiqua visiblement sur le cadavre décapité qui trônait sur la table de la cuisine, et un peu partout sur les murs. "Mais... mais... qu'est-ce que c'est que ça ? Qui a fait ça ?
-Heuuuu... philosopha Mannrig, car effectivement, il n'y avait rien à rajouter, C'est une sorte de monstre horrible qui vit dans la cave. Il l'a mise dans cet état avant que nous ne soyons arrivés, et nous avons réussi de justesse à le mettre en fuite !
-D'ailleurs, ajouta Yuriko, je pense que vous étiez son garde-manger.
-Bon, dit la petite délicate aux mamelles démesurées, allons voir.
(hein ? Quoi ?)
-Ha mais non mais non, épanalepsa Yuriko, vous êtes malades ? Cette maison est pleine d'une vieille, il y en a peut-être d'autres, plus aucun d'entre nous n'est en danger ; y'a pas photo : on se tire !"
Mannrig était d'accord, la poitrine débordante de Skyla fit un petit mouvement de bas en haut qui ressemblait à une approbation et Léander cornélius hocha la tête. Ils sortirent, non sans que le sauvage ne mette le feu au toit en chaume, et repartirent après avoir récupéré le cheval et les armes du bourgeois bretteur, ainsi que la tente de la cover-girl.
Fin du scénario. Bilan : 31 points d'expérience (MJ : "et je suis hyper sympa !") et un maître du jeu dégoûté de voir son scénar massacré en *deux* séances.

Ils arrivèrent une petite semaine plus tard à la ville de Reisz. Entourée d'un rempart imposant qu'on ouvre, de préférence, en actionnant la poignée, Reisz semblait somme toute relativement accueillante. Des soldats nous arrêtèrent à l'entrée, pour nous demander ce que nous venions y faire. En fait, nous étions seulement de passage, et nous ne resterions que quelques jours avant de repartir pour Brudge. Ah ? Et quel était notre nom ? Hatamareshikonoliemi Ohnotiwaburaserano, avec deux trémas, un accent circonflexe et un "y" à la fin. Mouais. Et vous ? Moorstach. [c'était ça ?] Qu'est-ce que c'est que ce nom d'oiseau ? Cherchez pas des noises aux oiseaux, vous ! Bon... Vous êtes qui, vous ? Heu, Cornelius. Et ? Skyla Abernithy.
Si nous avions vu quelque chose sur la route ? Oui, oui... Une maison en flammes. Non, on ne s'est pas arrêtés. Oui, enfin, faut pas exagérer, elle était pas vraiment en flammes, simplement fumante avec quelques braises restantes. Une sorte de chaumière, à peu près à mi-chemin entre ici et la ville voisine, du nom de x. Ok, vous pouvez entrer, on va aller voir ça.
Une fois en ville, Skyla arrêta un gamin (MJ : "Bon, de 0 à 50 : elle intercepte un enfant ; de 50 à 75 : elle intercepte un vieux ; de 75 à 100 : elle intercepte un démon majeur du chaos !") et lui demanda, s'il te plaît, par où était l'auberge la plus proche, en faisant miroiter sous ses yeux les reflets bleutés d'une pièce d'argent. L'enfant indiqua le trois étoiles le plus proche, et prit la pièce d'argent avec une drôle de tête, avant de partir en courant et en criant de joie.
L'auberge s'appellait la plume d'oie. Courage. Mannrig s'approcha du comptoir, posa une pièce d'or dessus, et dit "Quatre personnes ; quatre chevaux ; durée indéterminée. Fais-nous voir c'que t'as de mieux !"
Enfin, bon, ils furent nourris/logés luxueusement, tous leurs petits caprices ou presque furent immédiatement comblés (Pas d'omelette norvégienne ni de Vodka-lait, par contre). Ils eurent même droit à des chambres individuelles, et à de bons bains chauds. Le lendemain matin, ils allèrent faire quelques emplettes. Yuriko acheta un jeu de cartes classique, des dés et un tarot, puis alla trouver quelques soldats, pour leur demander de lui apprendre à jouer au poker. Pas de problème, mais après le service. Ils lui donnèrent rendez-vous à la taverne du sanglier machin, le soir même : "On va te plumer", prévint l'un d'entre eux avec un sourire.
Dans l'après midi, elle défia un client de la plume d'oie, toujours avec de l'argent en jeu, de faire 50 pompes avec lui sur les épaules. Pas drôle. Il aurait fallu que ce soit 150 pompes en cinq minutes sur les auriculaires pour qu'il ait une chance de gagner.
Voilà, voilà.

Suite plus tard.
(nous signalons à notre aimable clientèle que ce récit est au point de vue interne, même si pas à la première personne, et que tout un chacun peut donc poster sa version des faits, 'suffit de me demander dans un commentaire ou sur le forum, et je vous autorise.)

vendredi 27 mars 2009

L'ombre qui ne brûlait pas.

27/03/2009

Myllenia et Jacques Clairac rejoignent Kurt, bientôt suivis par Néro. Ensembles, ils se dirigent vers la gauche, (1) et aperçoivent au bout du couloir une dalle identique à celle que nous avons déjà démolie. Kurt aperçoit un piège qu'il commence à désamorcer laborieusement.
Du côté de Nalya, Virgil et Ana, toujours dans le couloir menant à la crypte, une stratégie superbalaize est mise au point. (j'explique parce que ce qui se passe ensuite aura l'air vraiment très stupide si je ne le fais pas... et si je le fais, y'a des chances pour que cela soit à peine mieux, m'enfin...) En gros, l'idée : Virgil, après s'être rechargé en zéon, prépare son sort le plus violent (Tempête de feu). Comme nous ne sommes pas sûrs que notre cible se trouve dans l'obscurité, Ana y va et l'interpelle. Quand celui-ci s'approche, elle se téléporte à côté de monsieur Anderson et lui donne le signal de faire feu. Ceci étant la théorie.
En pratique, Ana entre dans l'obscurité et crie "Jäger ? Vous êtes là ? Je souhaiterais vous parler." Seulement, dans une bouche, personne ne vous entend crier. "Ouh ouh ? Vous m'entendez ? Je vous fais peur, peut-être ?" Nalya, de son côté, tente de communiquer mentalement avec Virgil pour savoir si c'est un plan élaboré ou simplement de la stupidité, et se défonce le système nerveux cérébro-spinal avec un petit 02 aux dés.




Pas encore terminé de taper, mais déjà rédigé.

samedi 21 mars 2009

Le plus long des quarts d'heure.

20/03/2009

À peine le lévitant pithécanthrope a-t-il de nouveau disparu dans les ombres que Nalya et Néro le suivent en longeant les murs. Anselme, qui est toujours vivant, (si c'est les meilleurs qui partent les premiers, lui, il survivra) commence à gueuler qu'on devrait livrer les sorciers, les femmes et les enfants en premier, parce que non mais, ho.
Nalya et Néro disparaissent dans l'ombre, chacun d'un côté. (MJ : "Bon, pair, c'est toi ; impair, c'est toi. *roulement de dés* Pair, c'est toi." PJ : "Mais non, t'as dit "pair, c'est moi"". MJ : "Tu m'emmerdes ! Ok, c'est toi.") C'est donc Néro Borges (et heureusement, parce que Nalya serait morte) qui se mange un truc qui fait boum et qui fait mal dans les côtes. (critique de plus de 180, il a survécu grâce à un bon jet) Tout le monde peut l'entendre crier. Nalya fait demi-tour, et ressort de l'ombre. Néro, encore conscient, sinon c'est pas drôle, ressort quelques secondes après, vacillant. Il a un gros trou rouge à l'endroit de l'impact, et probablement laissé quelques os dans l'affaire. Voyant qu'il peine à traîner ses organes derrière lui, la mentaliste se sert de la télékinésie organique pour le faire voler jusqu'à Ana, pour des soins d'urgence. Plus de 350 au jet de talent, eh oui. (MJ : "Si tu rates la projection, tu l'éclates contre un mur.") C'est bon. Néro s'envole, ses tripes flottent derrière lui comme une bannière au vent jusqu'à ce qu'il atterrisse à l'endroit voulu. Ana pose sa main sur la tête du mourant, dont les blessures se referment immédiatement. Les os repoussent, les poumons remoussent, le foie se reconstitue, un cerveau apparaît et la peau se referme. Il y a toujours un gros trou sanguinolent dans sa veste, mais ça s'arrête là.
Virgil Anderson lance un sort au nom équivoque : "consumer la vie par la magie", et commence à s'autocharcuter pour récupérer son Zéon. Ana accumule et commence à se concentrer au cas où. Anselme continue de crier des stupidités. "Ta gueule, finit par lâcher Nalya, exaspérée.
- Ouah, heu, j'ai même pas peur de toutes façons. Je vais sortir d'ici, moi !, hurle l'énergumène, avant de se jeter dans l'ombre en courant, une torche à la main.
Quelques secondes plus tard, on entend sa grosse voix stupide nous crier "C'est bon, ici, il n'y a pas d'obscurité, on y voit ! Venez, nous allons nous échapper. " Les deux autres survivants de l'expédition le suivent, ainsi que Kort, malgré les réserves de la plupart d'entre nous. (de toutes façons, l'unique entrée s'est écroulée, alors pourquoi nous empêcherait-il de passer ?)
Ils passent sans trop de problèmes. Virgil prépare sa première mine de feu, qu'il pose quelque part dans l'obscurité, et Ana crée une bestiole à l'apparence d'Inkal, (en gros, Vision nocturne ; grosse attaque ; gros dégâts ; attaque sur le mode énergie. Les ordres : search and destroy.) à laquelle elle montre une illusion psychique pour lui permettre de reconnaître sa proie, la bonne proie.
"Fonce, on verra bien."

Suite après. Je sais, en ce moment, je fais dans le concis, mais c'est parce qu'on a eu deux, puis un joueur d'absent, donc on ralentit, et parce que nous commençons assez tard.

Jäger - le Spectre du Jugement Dernier

Le Rêveur en deuil - MJ à ses heures perdues- raconte Anima Beyond Fantasy...

Jour 18 (part. 2)

Les Harumaîs étaient morts. Du sang achevait de couler goutte à goutte de leurs corps ravagés, abreuvant ainsi le sable du désert. La moitié des créatures s'était enfuie dès le début, le prenant pour un esprit vengeur ou une divinité sanglante quelconque. "Peu importe..."Jäger se tourna vers la vaste muraille rocheuse. "Ils sont là"
Il s'avança vers le pied de la falaise. De là, il n'avait pas à chercher bien loin : des chameaux gémissaient nerveusement à trois cent mètres de lui. Il souria puis marcha tranquillement. Des traces de pas dans le sable le guidaient. Au bout de quelques minutes, une ouverture dans la roche lui indiqua la chemin à suivre. "Les vents sont avec moi...". Il s'agissait d'un petit tunnel qui descendait profondément avant de s'agrandir. Immédiatement, il se laissa avaler par l'obscurité qui règnait en ces lieux. "Est-ce le tombeau perdu ?"
L'homme traça rapidement dans l'air quelques symboles interdits tout en fermant les yeux pour mieux se concentrer. Quand il les rouvrit, quelque chose changea ; son regard perça les ombres et les secrets des ténèbres s'offrirent à lui. Il voyait son chemin sans aucune torche ou lanterne que ce soit. Il descendit tranquillement et entendit les bruits d'une agitation au loin. "Inutile de se presser. Savourons ce moment."Soudain, un détail sauta à ses yeux. Quelque chose n'était pas comme il le devrait. Sur le sol, des formes irrégulières se dessinèrent. Il s'agissait de pièges à loup. "Pitoyable."Jäger les enjamba sans difficulté. Arrivé au terme du tunnel, il se trouvait dans un grand couloir impeccablement taillé, orné de hiéroglyphes. "Magnifique, mais ce n'est pas ça qui m'intéresse..." Il commença à marcher en direction du bruit et de la lumière, mais il se ravisa aussitôt : une petite idée germait dans son esprit. Il fit volte face et regarda le tunnel qui menait à l'air libre. "N'y a-t-il qu'une sortie ? Je me demande. Si tel est le cas..."L'homme des ténèbres écarta les bras. Quelques mots de pouvoir suffirent à faire exploser la voûte du tunnel et provoquer un éboulement, condamnant la sortie. En quelques secondes, l'odeur du sable et de la pierre cassée vinrent lui chatouiller le nez.
Jäger se tourna vers le couloir au bout duquel se trouvaient ses proies. Il put distinguer une silhouette assez éloignée qui jetta une torche dans sa direction. Le tison brûlant atterrit sur le sol, non loin de lui. "Il ont besoin de lumière pour me voir." Il concentra sa volonté un instant et l'obscurité se répandit dans la zone, à la manière de l'encre qui se diluerait dans une flaque d'eau. Puis, il s'avança, à la rencontre du destin de ses proies.Le chemin l'amèna à traverser un vaste salle décorée avec des colonnes. "Ils se sont retranchés plus au fond" Il s'avança, sous le voile des ténèbres, tout en observant ses alentours. "Là." Derrière une colonne de pierre, l'un d'entre eux est caché. C'était le tueur venu du Dwanhölf. "Il ne peut me voir. Jouons donc un peu." Aussi, il s'arrêta de marcher, agita les doigts selon un schéma bien précis et, grâce à la magie, il commença à flotter au-dessus du sol. Lévitant sans bruit, il s'avança vers le malandrin et lui attrapa le visage avec une main. Puis lui chuchota à l'oreille : "Allons... Retourne donc à ta place... Le spectacle va commencer et tu seras aux premières loges..." Enfin, il le lâcha et recula. Le coupe-jarret sembla surpris et apeuré d'avoir été démasqué dans les ombres. Au terme d'un instant d'hésitation, il dirigea rapidement vers ses compagnons en jettant de rapides coups d'oeil furtifs par-dessus son épaule.
"Bien, ils sont tous réunis. Le destin est en marche."
Jäger, le chasseur impitoyable, s'avança en lévitant vers la lumière des torches, toutes réunies dans une petite salle contenant un sarcophage ouvert. Les restes d'une silhouette décharnée finissaient de brûler tranquillement dans un coin. Onze individus se tenaientt là. Dont eux.
Ana Von Shotterlein et Nallia Galen, se concentrant toutes les deux, prêtes à déchainer leurs pouvoirs psychiques.
Myllenia Dabel et Nero Borges, tous les deux sur le qui-vive avec leurs armes.
Virgil Anderson, réunissant sa magie à l'aide d'incantations et de gestes sophistiqués.
Kurt Spoor, dégainant ses stylets, prêt à les projeter sur l'ennemi.
Jacques Clairac et quatre de ses hommes, affichant l'expression de la plus parfaite terreur.
"Bonsoir mesdames et messieurs", annonça-t-il d'un air narquois. Ses cibles restaient en alerte, prête à agir. Jacques, en revanche, commença à parler avec difficulté (la surprise sans doute) : "Jonathan ? C'est... c'est vraiment toi ? On a tous cru que tu étais mort quand les Harumaïs nous ont attaqué !"
"Connaissez-vous la Vierge du rituel des cordes ?", commença Jäger/Jonathan sans prêter attention à Jacques.
Le groupe répondit poliment par un non, comme si de rien n'était.
"Ils pensent que je suis fou. Ils comprendront... La destruction balaie toute mystification."
"Il y a longtemps, poursuivit Jäger, sur une petite ïle lointaine, il existait une grande famille. C'était même un clan. Elle possédait pouvoir, richesse, grandeur et gloire. Néanmoins, il y a toujours eu des ombres dans l'Histoire... Et les dirigeants de cette famille étaient persuadés, ils étaient convaincu, voyez-vous, que leurs ancêtres avaient passé un pacte sacrilège avec des dieux obscurs, de Fausses Idoles, afin d'obtenir tout ce qu'ils désiraient : argent, célébrité, pouvoir... Toutefois, pour renouveller ce prétendu pacte, ils devaient réaliser un sacrifice une fois par siècle. Tous les cent ans, les patriarches choisissaient une jeune fille vierge, appartenant à leur propre famille. À ce moment là, ils effectuaient un rituel, où ils étaient tous habillés de toges et portant des masques. Ils étaient cinq en plus de la vierge élue ; ils portaient chacun une corde. Une pour chaque poignet, une pour chaque pied et une pour le cou. Et là, grâce à un ingénieux système de rouages, d'engrenages et de poulies, ils l'écartelaient vivante sur l'autel. Affreux, n'est-ce pas ?"
Ses proies ne prêtaient que peu d'attention à son récit, ce qui l'irrita légèrement, mais il n'en fit rien.
"Le dernier sacrifice en date a été exécuté il y a quelques dizaines d'années. Tout s'est déroulé dans les règles, si je puis dire. Et ainsi, une autre jeune fille devait trouver la mort à cause de ce culte paganiste et obscur. Elle n'avait que quinze ans la pauvre enfant... Cependant, son sacrifice fut légèrement différent des autres. Au moment de mourir, elle s'est mis à haïr de toutes ses forces ; elle haïssait les patriarches qui l'éxécutaient, ses parents qui n'avaient pas su la protéger, ses cousines qui n'avaient pas été choisies à sa place, toute sa famille pour avoir perpétué ce culte horrible, les habitants de l'île pour avoir laissé une telle famille se développer comme un chancre, et enfin les vivants pour l'avoir projeté dans les bras de la mort. C'était une haine implacable. Mais on ne peut pas vraiment lui en vouloir, n'est-ce pas ? Toutefois, au moment où elle passait de vie à trépas, son corps mourut, ainsi que son âme. Mais voilà, sa haine demeurait. Comme un cancer sur la face de ce monde."
Son auditoire ne semblait pas comprendre où il voulait en venir. Certains étaient d'ailleurs sur les nerfs.
"Les jours qui suivirent cet odieux rituel, les membres de la famille disparurent mystérieusement les uns après les autres... Accidents, maladies, disparitions, etc. Ce dernier rituel devait apparemment marquer la chute et la fin de cette grande famille. Or voilà : je me suis rendu sur cette île où j'ai découvert cette histoire. Et je puis vous affirmer ceci : la Vierge du rituel des cordes existe toujours. Sa haine est resté."
Jäger marqua une pause puit reprit son monologue.
"Si je vous raconte cette histoire aujourd'hui, c'est justement pour que vous compreniez : je vais vous montrer la Vierge du rituel des cordes...
Son auditoire commença enfin à réagir. Kurt taxa ouvertement l'orateur de malade mental, pendant d'autres demandaient, avec la voix d'un adulte parlant à un petit enfant, si la Vierge allait réellement apparaître. "Ils verront et ils sauront que je ne suis pas là pour leurs petits jeux mesquins..." se dit Jäger/Jonathan. Il commença alors à incanter ouvertement devant tout le monde. Ses mains traçant des trainés de lumière sombre autour de lui.
"Toute la haine et la jalousiese réunissent entre mes mainsdans un milliers de prières noires..."
Ses cibles réagirent immédiatement. Quatre coups de lances, une attaque oblique d'épée bâtarde et un stylet fendant les airs vinrent s'écraser contre le bouclier d'énergie obscure de Jäger.
"Vierge du rituel des cordesrépond à ma prière et accorde-moi ton pouvoir"
Une apparition spectrale représentant une jeune fille blanche aux longs cheveux noirs vint placer ses bras autour des épaules du sorcier. Dans un même temps, l'épée bâtarde de Myllenia s'enflamma sous l'effet d'un sortilège de son compagnon pyromancien.
Le fantôme éthéré et Jäger récitèrent à l'unisson la suite de la litanie obscure :"Mort aux êtres vivants.Destruction de toute création.Dévore toute lumière..."
La prière achevée, un torrent de lumière sombre, accompagnée d'une multitude de mèches de cheveux noirs prenant la forme de cordes, fut projeté à toute vitesse sur un laquais de Clairac. Il disparut dans un halo de ténèbres... Puis un bruit écoeurant se fit entendre. Quand le voile d'ombres disparut, son corps était divisé en plusieurs morceaux ; ses membres et sa tête avaient été écartelés.
Le spectacle morbide terminé, Jäger/Jonathan reprit son sérieux. La temps de la détente était fini, il fallait passer aux choses sérieuses."Dans un quart d'heure, je veux que vous me livriez Ana Von Shotterlein, énonça-t-il à haute voix, sinon je ferais disparaître un autre d'entre vous."
Puis il disparut dans les ténèbres...

mercredi 18 mars 2009

Les gens bizarres qu'on rencontre sur les routes.

14/03/2009

Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire,
Contre des étrangers tous plus ou moins barbares,
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.


Yuriko, à cheval, se dirigeait vers la cité la plus proche, par caprice pur ou par envie simple de voir une grande ville. Il s'agissait de la ville de Brudge (j'ai retenu le nom grâce aux choux de brudge), capitale de Kanon. Elle appréciait le pays pour ses larges routes NON pavées ; ses grands axes reliant les attrape-touristes aux agglomérations, et celles-ci entre elles.
Enfin bon. Comme elle souhaitait à la fois voir le paysage, rester discrète et ne pas contredire le MJ, elle voyageait avec un cheval, animal occidental à la lenteur désespérante mais tolérable, pourvu qu'on ait quelque chose à faire. Elle n'avait rien à faire, aussi sauta-t-elle avec plaisir et souplement de sa blanche jument quand elle vit une auberge providentielle se dresser sur la route. (le soleil couchant est derrière, comme ça, on le saura)
Entrant dans ce qui n'était finalement qu'un vulgaire relais de route, elle s'approcha du comptoir pour héler le caissier essentiel qui bavait là en attendant qu'un PJ lui adressât la parole. "Une pièce d'argent pour la nuit et le repas", déclara ce prépubère inconsistant, qui ne semblait point tenir la jambe de ses clients, mais l'établissement. Comptant avec scepticisme ses cinq pièces de bronze, (1 PA = 100 PB) Yuriko décida de s'en remettre à son ami de toujours, celui qui l'a toujours secourue dans les moments difficiles et mémorables : le plus pur des hasards.
Pour personnifier ce hasard impalpable, elle s'approcha d'un jeune et donc engageant aventurier, aux cheveux soyeux quoiqu'abondants qui rampait en bavant autour du comptoir et lui déclara en substance, avec une pièce dans la main : "Si c'est face, vous me payez la nuit ; si c'est pile, je vous donne tout mon argent."
Pile.
Heureusement, une jeune femme passant par là, cachée derrière son 95b et le blanc de son costume lavé au skip machine cousu de croix rouges d'altermondialiste bornée, lui tendit une pièce d'argent accompagnée d'un sourire croulant d'humanisme et de charité chrétienne, comme celui d'un scout qui fait sa BA. Yuriko, circonspecte, remercia la pin-up sans plus de cérémonie, et accepta quelques secondes après la proposition de l'aventurier, qui voulait purement et simplement payer la nuit à tous les homo sapiens là présents. "open bar pour tout le monde !"
Yuriko perdit la pièce d'argent en pariant à nouveau sur des vétilles. Un type louche (à vue d'oeil, de plus de trente ans !) l'aborda, et lui demanda, en gros, si tous les japs étaient aussi dépensiers et impulsifs qu'elle, ou s'il s'agissait d'une tare comportementale personnelle. Elle détailla son visage : il la regardait avec l'air émerveillé et candide d'un enfant face à une confiserie, mêlé de l'air ahuri d'un simplet qui demande "c'est grave, docteur ?" quand le toubib vient de lui dire qu'il a un cancer. Non, répondit-elle, pas plus que les occidentaux ne passent tous leur temps à poser des questions à la con. Il griffonna quelque chose dans son carnet.
Bref, tous les quatre firent connaissance en discutant et s'invectivant autour du comptoir.

Suite...

Yuriko Kawamura (c'est pas moi qui ai choisi le nom.) vient du Phaïon, elle est née dans la communauté immigrée du Lannet. C'est une combattante à mains nues (tao) capable de courir le 100 mètres en 3.75 secondes et pouvant voler de manière illimitée grâce à son énergie interne. Elle ne peut pas sentir les vieilles personnes et a développé une étrange addiction pour les jeux d'argent.
Léander Cornelius est un savant quelque peu bretteur (touche-à-tout), curieux et appréciant le confort. Urbain et agréable dans toutes les situations, ses questions incessantes demandent à ses compagnons un effort permanent pour ne pas l'attacher et le bâillonner comme le barde dans Astérix. Il vient d'Ilmora.
Sainte Jedidah, alias Skyla Abernithy est, comme son nom l'indique, une sainte reconnue par l'église (touche-à-tout) ayant, entre autres, la possibilité de voir par les yeux des animaux et de soigner chaque jour jusqu'à 800 points de vie répartis comme elle le souhaite. Elle voyage incognito, et accompagnée d'un renard qui remplirait mieux l'office de doublure de blouson, mais moi, ce que j'en dis...
Mannrig est un homme des bois (explorateur) ayant vécu seul dans la forêt pendant 27 ans. Il connaît de fait assez mal les mœurs des gens civilisés et cela peut donner naissance à quelques quiproquos tragiques. Il sait manier son arc, et un grand bâton de bois, assez dur pour briser des os, si je ne me trompe pas.

Yuriko apprit que la bombe sexuelle qui lui avait donné une pièce pour passer la nuit n'était pas une actrice porno, mais un médecin du nom de Skyla, et que le type qui payait l'open bar était une sorte de sauvage appelé Mannrig, ressortant d'une vingtaine d'années de survie en autarcie dans la forêt. L'autre était une sorte d'érudit impatient de découvrir si le monde était bien comme on lui avait appris à sciences po'. Les érudits et autres intellectuels finissant tous un jour ou l'autre comme des rats de bibliothèque à moitié sourds et croulants de rides, Yuriko ressentit pour celui-là une vague sympathie mêlée de pitié, un peu comme celle que l'on ressent face à ces quelques vieux mendiants revendiqués et fiers de leur décrépitude. Elle se contenta de leur dire son nom, par une prudence habituelle plus que consciente. "Si je savais manier les armes, j'aurais des armes.", dit-elle sans trop se mouiller.
Ils se levèrent finalement les uns après les autres, ou les autres après les uns, et puis merde, un à un, et allèrent se coucher. Avant dodo, femme-médecine vouloir jouer luth. Femme-brutale pas d'accord. Ouvrir porte sans frapper, et dire "moi casser luth ou phalanges de toi ? Pas savoir. Toi réfléchir avant de continuer" Puis fermer porte.
Le lendemain matin, Yuriko réveilla ceux qui avaient décidé de l'accompagner. (La drag-queen allait elle aussi à Brudge ; Mannrig n'avait nulle part où aller, mais lui et Yuriko s'entendaient assez bien ; et Léander, on s'en tape.) Ils partirent en vitesse, sans rater leurs tests d'équitation, ni la navette n° 13 pour le centre-ville, après que l'aventurier intrépide eut démoli sa chambre et ravagé ce lit de paille, trop profond à son goût. Le voyage se passa chichement mais agréablement, jusqu'au matin du huitième jour, où Dieu créa la femme pour corriger son erreur. Le matin de ce huitième jour, donc, il ne se passa strictement rien d'intéressant. Et même le soir, c'était pas transcendant, ce qu'il s'est passé. En fait, ils ne trouvèrent tout simplement pas d'auberge où passer la nuit. Skyla proposa sa tente pour quatre, mais une bruine perverse sembla décider Léonard le génie à poursuivre la route jusqu'à trouver une habitation pour passer la nuit et sauver ses trop périssables livres. Avec un soupir, Yuriko le suivit. Pourquoi l'avait-elle réveillé ? Elle aurait plutôt dû lui lâcher une commode en chêne massif sur le crâne. (il y a cinq accents circonflexes dans cette phrase !) Bref, elle arrêta l'érudit quelques kilomètres plus loin, et le descendit de son destrier en le traînant par la peau du cou jusqu'à la tente, que Mannrig venait de monter à la vitesse du son. "Mais vous êtes dingue ? Lâchez-moi ! Et où allons-nous attacher mon pur-sang ?
-On trouvera bien quelque chose... répondit-elle, puis, agacée, Mais voulez-vous bien rentrer dans cette tente, animal ?"
Un peu plus loin, la grue et Mannrig se disputaient. Ils ont vu quelque chose ? Elle lui a marché sur le pied ? s'interrogeait Yuriko. Puis, elle se tourna vers l'intello malmené, et lui dit avec un sourire "Je vous parie mon cheval que c'est une histoire de cul !
-Je ne parie jamais, répondit-il après un silence pudibond de circonstance. Question de principes.
-Mon cheval, plus une pièce d'or", surenchérit-elle avant de voir une fumée noire derrière une petite colline proche. Juste après, Léander la vit, et s'écria "Une habitation ! La civilisation, à nouveau", puis il courut dans la plaine en arrachant ses vêtements, traversant nu le champ de marguerites et, seul face à la mer et au ciel déchaîné, il défia Dieu de lui montrer l'au-delà. Le ciel noir hurlait comme si il n'avait été que l'aile d'un immense corbeau, et la foudre frappa. Une immense vague, fruit de la colère de tous les éléments et de leur maître, monta jusqu'aux nues pour finalement s'effondrer dans l'impuissance avant d'avoir atteint son but. Mais d'autres vagues apparaissaient et déjà remplaçaient le premier tsunami de rage. Un maelström immense et majestueux se formait dans le ciel, et l'homme le contemplait. Il était nu et fragile face à l'absolu, et pourtant, il ne tremblait pas, car il savait maintenant qu'il se trouvait là où il devait être.
Euh, non, pas exactement.
En fait, il se dirigea vers la colonne de fumée, suivi par Yuriko, alors que les deux autres préféraient rester, l'une dans SA tente, l'autre dans SON herbe. (de l'herbe tout ce qu'il y a de plus gazon) Le duo dépassa une butte bosquetée, et aperçut une chaumière à côté de laquelle une silhouette difficilement perceptible rentrait du bétail. Yuriko, confiante, et Léander, euphorique, s'y rendirent en pressant le pas. Quand ils arrivèrent à la hauteur de la maison, son occupante avait déjà rentré ses bêtes ainsi qu'elle-même. Léander frappa à la porte, qui ne tarda pas à s'ouvrir.
Yuriko se figea : un monstre sans âme se tenait devant eux. C'était comme si van Gogh avait peint la déliquescence humaine et qu'elle avait soudain pris vie. La chose avait une face ronde et flétrie comme une pomme blette, une peau cireuse tachetée de moisissures, des filaments épars et gris qui parsemaient son crâne macabre d'ombres fines et un abominable orifice buccal comme seul Edgar Poe aurait su le décrire : une commissure infectée où quelques crocs jaunes, cassés et puants finissaient de pourrir ; une bouche de vieux porc en décomposition. Tournant vers Yuriko ses yeux au trois quarts morts, évoquant à la fois les cavités de Benoît XVI et un cabillaud crevé sur la glace de la poissonnerie d'un supermarché, la vieille femme demanda avec la voix d'une poupée en porcelaine dans un film d'horreur : "Ouuiiiii ? C'est pourquooiiiii ?"
Sentant son maigre repas s'agiter, Yuriko se retourna et vomit copieusement dans l'herbe. "Vous vous sentez bien ? demanda l'érudit avec étonnement.
- Pas trop, non... Je vais vous laisser, répondit Yuriko dans un borborygme suivi d'une deuxième vague. Puis elle commença à courir à la vitesse limite d'un poids lourd sur une quatre voies. S'efforçant d'oublier ce qu'elle venait de voir, elle retourna à la tente pour s'y enfermer. "Que se passe-t-il ? demanda Mannrig, étonné.
-Là-bas, il y a une maison, et dans cette maison, il y a une vieille ! Cria Yuriko, encore en état de choc.
-Une vieille ? C'est quoi, une vieille ? Demanda l'homme des bois.
-Les vieux sont répugnants ! Ils sont dangereux, laids, odieux, repoussants, traîtres et cupides. Ce sont des êtres humains qui ont vendu leur âme et se transforment progressivement en cadavres, répondit-elle avec dégoût.
-Quelle horreur ! C'est une sorcière ?
-Au moins, affirma Yuriko avec véhémence.
Cette nuit-là, elle ne dormit qu'une heure, en faisant des cauchemars, et monta la garde le reste de la nuit.
Au matin, Mannrig et Skyla s'en furent chercher Léander. Le premier tenait son arc, ses muscles et rien d'autre bandés, tandis que la seconde était assez confiante, refusant de croire Yuriko sur le péril pour l'humanité que représentaient les vieux, et persistant à croire qu'ils n'étaient pas maléfiques. Ils revinrent avec l'érudit environ vingt minutes plus tard, mais celui-ci leur annonça qu'il avait oublié son sac, et repartit en se pressant. Yuriko attendit à nouveau en compagnie des deux autres. Une demi-heure passa. La bimbo en drap blanc partit en direction de la maison. Cinq minutes plus tard, le renard se présenta à ceux qui attendaient. Il tentait visiblement de communiquer. "Tu crois qu'il faut qu'on en fasse une fourrure ?" demanda Mannrig, peu porté sur les petites bêtes cromignonnes. Le renard fit un tour sur lui-même, et partit vers la maison. Ils le suivirent et retrouvèrent le mannequin publicitaire, qui leur dit que la vieille femme venait de rentrer le cheval de Léander. Sur ce, elle s'approcha de la maison. L'aventurier banda son arc, et lui dit "si tu lèves la main droite, je la bute, ok ?"
Yuriko risqua un coup d'œil : l'infirmière siliconée toqua à la porte, puis entra. Fini. Ils attendirent dix minutes, puis, ne la voyant pas réapparaître, ils s'approchèrent. Yuriko contourna la masure, et tenta à plusieurs reprises de défoncer la porte de la grange, sans remarquer la poignée.

Suite...

Après s'être fait correctement mal à l'épaule, elle retourna près de la porte d'entrée, avec une grimace douloureuse. La vieille était étendue dans l'entrée, assommée. Yuriko l'enjamba prudemment, et se dirigea vers la porte de la cuisine. Elle y retrouva Mannrig, il cherchait à enflammer des morceaux de chaise avec son briquet à amadou, sans remarquer la cheminée et le feu ronflant qui y consumait quelques bûches.
Une théière fumante avait été placée là par un destin farceur et cruel. Mais où était Skyla ? Cherchant des yeux une ouverture, elle nota qu'un escalier lumineux en parquet clair montait vers le premier étage, alors qu'un escalier sombre entouré de murs de terre humide s'enfonçait vers une probable cave. La porte de la cave étant ouverte, Yuriko commença à descendre prudemment, en lévitant à dix centimètres au-dessus des marches, car l'escalier était branlant, et qu'elle n'était point particulièrement obsédée. Elle gardait les mains sur le mur, mais la lumière défaillante la fit remonter après seulement dix mètres à progresser de cette manière.
Arrivée en haut, elle fit maladroitement semblant de marcher devant l'aventurier qui se battait toujours avec son bricolage minable, ayant maintenant entre les mains quelque chose qui ressemblait à une nappe attachée à un pied de chaise. Yuriko s'approcha du brasier, prit l'extrémité non enflammée d'un des tisons qui se trouvaient déjà dans l'âtre et repartit dans la cave, munie de sa torche improvisée.
Elle y voyait bien mieux, mais pas encore suffisamment. Après une longue distance en flottant de manière fantomatique dans la cage étroite, elle sentit sur sa cheville une légère pression, puis un choc violent derrière la tête. Elle lâcha sa torche pour mieux se prendre le crâne à deux mains, hurlant silencieusement de douleur. Aïe. Aïe. Aïeuh ! Toujours en se massant le l'occiput, grimaçante, elle ramassa sa torche et éclaira la scène. On avait tendu une corde à hauteur de genou, qui déclenchait à la plus petite pression un rouage étrange. Elle dirigea la lueur de sa torche vers le plafond : un roc s'était déplacé brutalement, pour venir lui démolir la tête. "C'est réussi... et salement vicieux", pensa-t-elle en remettant les idées en ordre dans son crâne malmené.
Elle brûla la corde pour éviter à d'autres de tomber dans le même piège avec moins de chance, puis continua à descendre, mais plus prudemment. Toujours en volant, elle se colla au plafond et descendit ainsi jusqu'au bout du tunnel en surveillant les marches éclairées pour repérer d'autres joyeusetés du même acabit. Prudence non superflue, puisqu'elle vit bientôt une deuxième corde tendue de la même façon. Se plaquant au sol, elle mit sa torche en dessous, de manière à déclencher le piège sans risquer une nouvelle bosse à l'arrière de la tête, ou pire, un évanouissement. Un bloc de pierre vint frapper l'air à hauteur de tête, alors qu'un autre faisait de même, mais à hauteur de genou. Yuriko poursuivit son chemin au plafond, regrettant que le lecteur mp3 ne fût pas encore inventé, car la B.O. de spiderman eût parfaitement collé à l'ambiance. Elle finit par arriver à la cave. Regardant à droite et à gauche, elle aperçut des tonneaux, des caisses et du bois de chauffage en quantité. Elle s'approcha alors d'un tonneau, et l'ouvrit, révélant un fort parfum d'alcool. Tenant sa torche à une distance prudente, elle ouvrit les autres cuves : elles semblaient toutes contenir la même substance. Dans l'une d'entre elles, Yuriko trempa deux doigts et goûta : pas de doute possible, c'était bien une gnôle infâme de vieille femme frigide et d'autant flétrie par les années que celles-ci font mûrir les vieux fûts.
Elle s'approcha des caisses, mais sa torche était à l'agonie. Vite, elle prit un deuxième morceau de bois pour tenter de transmettre la flamme, mais arriva, hélas, à l'impressionnant score de 19 en habileté manuelle. (MJ : "pchiit !") Une seconde après, toute lumière s'éteignit. La seule lueur survivante était l'incandescence timide des quelques braises restantes de feu la torche aimée.
Yuriko, sans se départir de son calme, laissa tomber ses bouts de bois et tenta d'estimer l'endroit où se trouvait encore la sortie une seconde auparavant. Elle s'y rendit et toucha du bout des doigts le mur de terre. Tâtonnant un peu, elle trouva tout de même la récalcitrante encadrure de la sortie. Elle se plaqua à nouveau au plafond et commença à remonter prudemment.
Après avoir rampé quelques dix minutes comme un ver immonde dans un cadavre frais, Yuriko aperçut la lumière au bout du tunnel. L'obscurité sournoise, dantesque, maternelle et angoissante se dissipait lentement, à mesure que la gracieuse lumière lui brûlait délicieusement les pupilles. Elle avait l'impression de humer de l'air frais après avoir réchappé d'une noyade dans les eaux sombres, froides et salines d'un profond océan. Comme sa vue s'adaptait à la lumière, elle distinguait mieux cette petite tache, comme un scotome dans l'œil d'un ange.
Yuriko ferma un instant les paupières, et les rouvrit. Sous le choc, il lui sembla que son cœur avait cessé de battre pendant dix secondes, le temps qu'une expression de terreur innommable la dévisageât et qu'un long cri d'agonie d'existentialiste athée cancéreux en phase terminale lui dégorgeât les cordes vocales. "Ah, c'est toi", dit Mannrig en abaissant son macabre bouclier. Il avait enfoncé une corde dans la bouche de la vieille et s'en servait pour la tenir comme une marionnette scabreuse. "Ne t'inquiète pas, elle est évanouie, tenta l'aventurier, comme pour s'excuser.
-Parce que c'est toujours vivant ?!" demanda Yuriko en sursautant et en remontant la plus vite possible dans la cuisine. Elle respira plusieurs fois à fond pour se calmer, et parvint à rapporter à Mannrig ce qu'elle avait vu en bas. Skyla n'y était probablement pas, ou bien peut-être dans une des caisses, mais cela était peu probable. Il traîna le corps inerte sur la table, et commença à arroser le visage de l'ancêtre de thé bouillant. La victime se réveilla en hurlant. "Vous voilà enfin éveillée, dit-il avec un grand sourire, veuillez arrêter de crier, c'est très gênant." Il continuait à verser du thé bouillant sur la vieille paysanne bruyante, et tentait de la calmer en la fracassant contre des objets contondants. Yuriko ne put pas surmonter sa révulsion plus longtemps et monta à l'étage en sentant la bile monter. (MJ : "Un truc inhumain qui pousse des cris inhumains.") À l'étage, elle ouvrit la première porte, entra et referma derrière elle. "Enfermée avec un dingue dans une maison remplie d'une vieille, se dit-elle, mais pourquoi est-ce que je me suis arrêtée à cette auberge ?" Elle reprit une part de son calme, puis détailla la pièce. C'était une chambre assez bien rangée, quoique le lit fût légèrement défait et qu'un sac y trainât. Yuriko l'ouvrit : des livres et des notes : c'était le sac de leur compagnon. Et lui, où était-il ?
Elle sortit et ouvrit la seconde porte de l'étage. Il y avait quelque chose d'étrange, ici, qui l'empêchait d'entrer. (MJ : "Quelque chose dans l'odeur te dit que c'est là qu'elle dort.") Elle referma la porte avec empressement et, ayant pris le sac de Léander, elle se dirigea vers l'escalier pour redescendre

Suite au prochain épisode. (et je ne pense pas que je ferai aussi long)

vendredi 13 mars 2009

Pop-corn, histoire du soir & chupa chups.

13/03/2009

Kort croit entendre un instant le bruit d'un souffle et en sent la chaleur sur sa nuque, cependant qu'une main se pose doucereusement sur sa tête. "Tu me déçois beaucoup, espèce d'amateur. Tueur sans envergure. Retourne donc avec les autres pour profiter du spectacle avant que je ne te crève les yeux." prononce l'obscurité vorace. Ne sachant que faire, Kort range ses stylets et revient vers le groupe d'un pas hasardeux, en sortant de la zone sans lumière. Après réflexion, il se dit qu'il vaudrait peut-être mieux ne pas désobéir à son magnanime adversaire. De son sac, il sort un transat pliable, après quoi il enfile un tee-shirt blanc rayé de jaune, un jean, une casquette mickey et des Ray-ban un peu rétro. Là, il s'installe derrière nous et commence à pailler un coca en se gavant de pop-corn. Mon plan est infaillible, se dit-il, Jäger ne me reconnaîtra jamais, et si ça arrivait, il serait touché par ma sollicitude. Il se met à pédaler, actionnant une dynamo qui alimente une lampe halogène, un ventilateur, et une radio de touriste captant les infos régionales. L'ambiance est parfaite.
Alors que nous nous demandons pourquoi l'assassin sourit complaisamment dans sa chaise longue, quelqu'un d'autre sort de l'ombre, et s'éclaircit bruyamment la voix sans résultat une fois, deux fois, puis trois. Nous finissons par nous retourner. Jacques Clairac et ses potes le reconnaissent comme leur ancien compagnon supposé mort dans l'attaque contre les Harumaïs.
...
"Connaissez-vous l'histoire de la vierge des cordes ?"
Hein ? Quoi ? Attendez une seconde ! Ce type nous a pourchassés dans le désert pendant des semaines, il a tué un à un tous ceux qui nous accompagnaient, il nous a envoyé des menaces de mort et semble bel et bien en position de nous éradiquer d'un revers de main. On peut légitimement s'attendre à ce qu'il ne nous salue pas, certes... Mais de là à vouloir nous raconter une histoire comme un papa ours hilare, il y a un pas. Non, nous ne la connaissons pas, pourquoi ? Oh, rien, je me disais que ça ferait assez classe de vous raconter une histoire avant de vous exterminer... genre que j'ai pas du tout peur de vous, v'voyez ? Oui, à peu près, mais vous n'avez mis aucun point de formation en style ? Non, il fallait ? C'est pratique, oui, ça évite de devoir se casser la tête à chaque fois pour dire des trucs qui déchirent. Bon, vous voulez que je vous raconte cette histoire, ou mourir tout de suite ? Comme vous voulez. 'font chier, j'ai perdu le fil... Ah oui, c'est ça.
Globalement, c'est l'histoire délicate, poétique et spirituelle d'une gamine heureuse que ses parents écartèlent en vertu de la vérité générale qui veut que quand on passe des accord avec des démons pour le pouvoir et l'argent, ça coûte autre chose que des pépètes. En gros, la famille, pour conserver son pouvoir, doit offrir en sacrifice séculaire une vierge. Jusque là, tout va bien. Ça commence à devenir bizarre quand un truc blanc que nous identifions comme un cadavre au teint plus fantomatique que cadavérique, enlace notre Jäger.
"Voyez-vous, finit-il, la haine de cette jeune fille était si forte qu'elle n'a pas pu tout à fait mourir. Une part de son esprit est restée en ce monde." En lieu et place de la musique apocalyptique apropriée, un craquement désagréable se fait entendre, accompagné d'une odeur de viande cuite. C'est Kort qui, ayant fini son pop-corn, croque à belles dents dans un hot-dog débordant de ketchup. Il a installé un petit barbecue portatif, et remue les braises pour faire des paninis.
Jäger, d'un calme olympien malgré la situation critique de sa propre crédibilité, commence à incanter en laissant des traînées d'obscurité autour de ses mains en mouvement.
Myllenia et Néro foncent, et défoncent... uniquement leurs armes, sur le bouclier d'ombre de Jäger. Virgil crie les noms des différents sorts maintenus par notre adversaire. "Eh, vous savez quoi ? Il voit dans le noir !" Bref, on bourre, on bourre, et Jäger accumule. Ana observe son pool de zéon grossir à vue d'oeil, et déglutit. 90... 180... 270... fire ! Une ombre s'étend en partant des mains du tueur, et vient lécher un de nos compagnons de route anonymes comme une allumeuse sur une chupa chups. Il retombe ensuite dans un état... comment dire, euh... Il ne reste plus que le bâtonnet en plastique, quoi.
Jäger pointe alors son doigt ni crochu ni menaçant, juste indicatif, sur l'objet de ses désirs et de sa folie. "Livrez-la moi dans 15 minutes avant que je ne vous fasse subir le même sort." Charmant.

Suite très bientôt en exclusivité pour ceux qui savent lire.
'reste des fautes et des erreurs, très probablement. Je corrigerai un peu plus tard.

vendredi 6 mars 2009

Dans l'ombre du chasseur.

06/03/2009

Les actions s'enchaînent à la vitesse de l'éclair. Suite au cri, les pnj restent à baver ; une momie sort son torse du sarcophage ; Kort, l'assassin, la lacère à coups d'épées courtes ; elle saute du cercueil et frappe le Nero, virtuose martial ; Myllenia, la paladine, fonce sur la chose pour lui coincer son épée bâtarde là où ça fait mal ; Virgil, le mage de guerre, recule et commence à accumuler du zéon ; Nalia, la mentaliste, tente de l'enflammer mais fait un 02 aux jet de projection et Ana, la mage-mentaliste, s'enfuit comme à l'accoutumée, en proie à une terreur stridente. (je ne me doutais pas que ce désavantage pouvait être aussi handicapant) Avant que vous me le fassiez remarquer, je vous signale que je suis parfaitement au courant que cette phrase est lourde et alambiquée, mais que c'est volontaire, car j'utiliserai maintenant les prénoms (et les noms quand je les connais) des personnages.
Dans la suite des évènements, on a notamment Nero, Kort et Myllenia qui continuent à débiter la pauvre bête, avec mention spéciale pour la paladine qui lui carre son énorme lame émoussée en travers de la gueule. Virgil Anderson (Agent Smith : au revoir, monsieur Anderson...) lui lance un sort au nom explicite : "immoler",(Trinity : Tiens, évite celle-là.) et les bandelettes s'embrasent instantanément. Au tour suivant, Myllenia découpe la torche humaine qui nous sert d'adversaire de l'aisselle gauche jusqu'à l'épaule droite. Puis elle prévient par la communication mentale Ana que c'est bon, tu peux arrêter de courir, la chose est morte.
Ana revient parmi les siens, alors que Jacques Clairac reprend ses esprits : "mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? J'avais jamais entendu parler de ce genre de pièges !" Y'a un début à tout...
Au moment où il nous propose de nous reposer un peu pour reprendre nos esprits, on entend un énorme bruit en provenance de l'entrée. Le sol tremble et un nuage de poussière que ne traversent pas les lueurs de nos torches se soulève et enveloppe chacun d'entre nous. Nalia passe illico en forme astrale et va voir. À mesure qu'elle s'éloigne de nous, la lumière se fait plus diffuse et elle disparaît bientôt dans l'opacité de l'atmosphère nimbée de particules flottantes. Grâce à la communication mentale, elle demande à Nero Borges de poser sa lance un instant et de lui lancer une torche. La première ricoche contre le mur et s'éteint (il a raté son jet) mais la deuxième arrive dans la salle hypostyle, où la lumière porte peu mais suffisamment. Pour continuer à avancer, la malchanceuse mentaliste utilise sa télékinésie sur la torche et lui fait faire de petits bonds. Elle entre dans le couloir par lequel nous sommes arrivés.
Là, elle distingue une silhouette.
Demi-tour vif, elle revient le plus vite possible à son corps. Derrière elle, la flamme s'éteint brusquement, happée ou dévorée par on aimerait bien savoir quoi. Néro est prévenu : il arrive. Lui, Ana et Myllenia s'approchent de quelques pas de la salle hypostyle. Ana commence à se concentrer, et ses homoncules sortent du sac. C'est alors que le nordique cancéreux anabaptiste qui nous sert d'assassin nous dépasse en courant et se glisse dans les ombres, là où il est le mieux. Arrivé dans la salle hypostyle, faiblement éclairée car nous et nos torches nous sommes approchés, il se glisse derrière l'un des piliers, et remarque quelque chose d'étrange. Au niveau du couloir, la lumière est stoppée brusquement, comme par un mur d'ombre infranchissable, et cette sphère obscure s'approche. N'osant pas trop faire quoi que ce soit, nous attendons. Bientôt, l'ombre englobe Kort, qui ne voit plus rien. Mais alors quand je dit rien, c'est rien. Même pas ses bras. Il retient sa respiration, ferme ses yeux devenus inutiles, et tend l'oreille. Il perçoit des bruits de pas estompés quelque part dans l'ombre. Ne pouvant pas localiser celui qui marche, il ne bouge pas, et attend.
Dans le couloir à côté de la salle obscure, on se concerte vite. Nalia commence, elle aussi, à se concentrer, et un homoncule court en hurlant avec une torche dans la salle où se trouve probablement celui qui est venu nous chercher, comme un sprinter intrépide bravant les kilomètres en portant la flamme olympique. Il court, il court. Kort, médusé, et se demandant s'il n'a pas inhalé quelque mauvaise vapeur hallucinatoire quand la momie brûlait, voit passer en ligne droite à quelques mètres de lui la flamme d'une torche qui semble flotter dans l'obscurité, car elle ne porte pas la lumière au-delà d'elle-même. Il entend également l'étrange cri de l'homoncule, si caractéristique chez les tribus porteuses de torches enflammées sur la tête. Bref, il court, il court, et finit par s'arrêter, au pied des éboulis de l'entrée. Demi-tour, et rebelote. Kort se pince le bras, et comme il a mal, regarde d'un air soupçonneux la petite flamme hurlante qui passe devant lui. L'homoncule sort de l'ombre et arrive, genou à terre et bras en croix, en face de sa maîtresse. Cette dernière ne le regarde même pas et, de l'air distrait de ceux qui sont concentrés, tire une bouteille d'eau-de-vie de son sac sans fond, déchire un morceau de tissu de l'une des nombreuses nippes qui y traînent, et tend le cocktail Molotov ainsi obtenu à l'homoncule Albert, qui pose sa torche et resserre son bandeau "mort pour l'empereur" avant de se ressaisir des deux ustensiles et de courir vers la sphère d'ombre qui gagne du terrain.
Les ordres : courir au milieu de l'obscurité, puis éclater la bouteille par terre et mettre le feu.
Les faits : une sphère de couleurs inversées comme celles précédemment observées par la mentaliste apparaît au niveau de l'entrée de la salle hypostyle au moment où l'homoncule s'y trouve. Quand la sphère s'éteint, la petite bête a disparu et la bouteille tinte sans se briser, tombant aux côtés de la torche, alors que le liquide commence à s'écouler. Suffisamment loin, toutefois, pour que nous ne mourrions pas d'une explosion éventuelle.
L'homoncule Albert n'est plus : paix à l'âme qu'il n'avait pas.

Suite vous savez quand.

mercredi 4 mars 2009

Yuriko

Yuriko (biographie)

Il y a une photo mais j'arrive pas à la mettre pour l'instant.
Pour la suite de cette biographie, voir les résumés des séances d'anima du samedi soir.

Introduction.

"J'abandonne, annonçai-je à la surprise générale, je veux vivre."
J'avais dit cela sur le ton de l'excuse, comme si j'avais été coupable de ma peur. Mon adversaire et mes anciens amis ne semblaient pas s’en être jamais doutés, mais cela faisait longtemps que je transgressais en rêve les règles d'honneur et de force que ma naissance m'imposait. Trop longtemps que je haïssais le code de conduite absurde qui avait obligé nombre de mes amis à s’offrir une mort glorieuse plutôt qu'une vie de paria. Le moment était venu pour moi de cesser de penser pour mieux agir.
Je me regardai brièvement. Mon bras gauche était lacéré, et j'avais deux trous rouges au côté droit. Avais-je pu m'infliger cela pour défendre un honneur auquel je ne croyais plus ? Visiblement oui, mais ce serait la dernière fois. Mon adversaire me cracha dessus, et se retourna en boitant, dédaigneux, suivi par ceux qui étaient auparavant mes amis, et qui à présent me méprisaient. Pourtant, j'avais réussi à blesser l'autre : j'avais peut-être cassé une jambe à un des meilleurs combattants que je connaisse, mais aucun combat, aucune bravoure ne peut préserver du déshonneur, dans ce pays.
M'imaginant que les parias se contentaient d'une vie marginale plus belle et plus libre que le droit chemin, je fus d'autant plus déçu de voir une grande part de mes serviteurs se suicider, et les autres me fuir comme la peste. Il y eut également plusieurs seppuku dans ma famille, qui me renia à son tour. Alors que je me remettais des stigmates et entailles dues au combat inachevé, l'évidence s'imposa à moi : je ne pouvais plus vivre ici.
Le plus tôt possible, c'est à dire exactement trois jours plus tard, j'émigrai vers le continent, le désespoir au ventre. Arrivé au Phaïon, j'eus la surprise de trouver une communauté déjà formée de natifs du même pays que moi. Les Lannettiens avaient ouvert plusieurs casinos à travers le pays, et organisaient énormément d'évènements sportifs truqués jusqu'à la moelle sur lesquels ils exaltaient la population à parier toujours plus d'argent. Mes talents martiaux me valurent un poste de créancier, ce dont je m'acquittais avec plaisir et efficacité, car c'était une activité exceptionnellement lucrative.
Un jour sans rien de particulier, mes employeurs me lestèrent d'une mission inhabituelle. J'avais été convié à cinq heures du matin, dans le bureau d'une agence immobilière qui servait notoirement à blanchir l'argent ensanglanté que nous arrachions à des endettés parfois virulents et qu'il fallait faire taire. Sur un bureau en chêne se trouvaient un lourd sac de pièces d'or et une jeune asiatique qui se tortillait de peur, comme de ces débiteurs qui se cherchent une excuse au moment de payer. Le vieil employeur qui s'occupait des comptes nous présenta. Elle n'avait que quatorze ans, mais elle était celle qui gagnerait la prochaine course. Elle était cotée à plus de 170 contre un, c'était l'affaire du siècle. Je l'interrogeai ce qui m'était demandé de faire : supprimer des concurrents ? Acheter la bienveillance de compagnies rivales ? Il sourit, et répondit : "rien de tout cela... elle gagnera.", d'un air assuré. Je m'étonnai autant de l'imprudence de cette manœuvre que de l'assurance qu'il affectait, car la première leçon que j'avais apprise dans ce milieu, c'est que le hasard était notre pire ennemi. Alors que mon patron m'exposait les impressionnantes qualités de coureuse de Yuriko, et ses temps records, lors de courses officieuses, je ne la quittai pas des yeux. Elle m'avait paru intimidée par l'austérité des lieux quand j'étais arrivé, ce que son âge n'avait fait que me confirmer, mais je réalisais à présent qu'elle regardait le vieil homme avec un dégoût profond, et qu'elle faisait de gros efforts pour ne pas quitter cet endroit le plus vite possible.
Le vieux qui me payait acheva ses palabres en ajoutant : "En plus, comme c'est une fille et qu'elle est très jeune, ils l'ont cotée deux fois plus bas ! Crois-moi, ce coup-là, cela va nous rapporter tellement gros que nous pourrons investir et avoir le monopole des jeux d'argent de ce pays !" Il dit ces derniers mots en posant la main sur son épaule, elle cria et le frappa au visage. Je me jetai sur elle, mais elle était déjà au niveau de la porte. Quand j'y arrivai, elle avait disparu. Pestant, je la retrouvai dans le hall d'entrée, en train de vomir sur une plante d’intérieur. Si elle avait décidé de s'enfuir, je n'aurais probablement pas pu la rattraper. Je soufflais comme un bœuf, alors qu'aucune fatigue ne l'avait effleurée.
"Pourquoi avoir fait une chose aussi stupide ? lui demandais-je en haletant.
-Je me demande plutôt comment j'ai fait pour me retenir aussi longtemps.
-Vous savez, il en a fait éviscérer pour moins que ça.
-Il tient trop au magot que je représente pour lui, me répondit-elle avec un sourire.
-Ne sous-estimez pas ses sauts d'humeur.
-Les vieux sont répugnants...", grimaça-t-elle.
Le vieux en question arrivait justement sans se presser, comme si rien ne s'était passé. Il me remit sans mot dire un sac lourd de pièces d'or, un rouleau comme ceux sur lesquels mes missions étaient habituellement notifiées, et me chuchota à l'oreille "surveillez-la".
Nous sortîmes du bâtiment, et j'ouvrai mon rouleau. Protection. Surveillance. Transactions. Pas ma spécialité, mais bon. Tout en lisant, je la suivais distraitement, et nous entrâmes ainsi dans un casino. Je refermai mon rouleau pour l'arracher à la roulette, et lui mis la main sur l'épaule de la même façon que le vieux prêteur sur gages. "Nous partons, lui dis-je simplement.
-Où ça ?", me demanda-t-elle, sincèrement étonnée. Évidemment, ils ne l'avaient même pas mise au courant. Je l'informai de la direction en regrettant instantanément mes paroles : elle partit en courant, à toute vitesse. Et sans m'attendre, l'ordure.
Le plus vite possible, c'est à dire beaucoup moins vite qu'elle, je partis à sa poursuite, pour ne la retrouver qu’une heure plus tard sur le bord du chemin, en train de faire des tractions pour m’attendre, à un rythme que je n’aurais pas pu suivre. À ma vue, elle se laissa tomber souplement et me rejoignit pour me demander combien de temps nous avions devant nous, et si je voulais lui apprendre à manier la lame que j'avais à la ceinture. Je la regardai sans rien dire, probablement avec une drôle d'expression, pour qu'elle en soit si étonnée. Je lui expliquai que je ne portais cette arme que pour avoir la tête de l'emploi. C'est très important, avec les mauvais payeurs, la première impression.
Sans beaucoup parler, je la conduisis à l'établissement où nous devions être reçus. Une heure et demie de marche, c’était tout de même long, et nous discutâmes tout de même un peu, mais je réussis, malgré son incroyable impatience, à ne pas lui révéler le nom du lieu, pour éviter qu’elle ne me distance de nouveau. Arrivés au lieu-dit de la course, le barman n'avait pas de chambre, jusqu'à ce que je lui dise qui j'étais, et que je lui rappelle le montant de ses dettes. Nous logeâmes dans la meilleure chambre, et fûmes servis royalement. Ce que j'aimais ce boulot. Elle ne resta pas bien longtemps, à peine vingt minutes. Elle avait fini de manger alors que j'avais à peine commencé, et sortit d'un pas vif. Je tournai mon regard vers la vieille femme qui nous avait servis, et me remémorai ses paroles. Les vieux sont répugnants. Je souris en ne comprenant que trop pourquoi elle était aussi pressée de partir, et me décidai à la suivre. Après tout, j'étais son garde du corps.
En sortant, je la retrouvai en équilibre au sommet d'un assez grand noisetier et, maussade, je sortis quelques pièces de ma poche, m'apprêtant à payer cet énième pari perdu. Depuis que j'étais avec elle, elle n'avait eu de cesse de me faire jouer de l'argent. Défis, prédictions ou désaccords : tout était prétexte à parier. Je levai la tête, et elle me sourit comme celle qui vient de gagner. À ce moment-là, une flèche se planta dans son épaule et, surprise, elle perdit l'équilibre, tombant du haut de l'arbre.
Poussant un juron, je me précipitai pour la rattraper. Trop lent. Elle allait s'écraser. Je cherchais des yeux le tireur, pour finalement l'apercevoir dans l'ombre des feuillages. C’est alors que, tournant la tête vers elle, je la vis avec surprise accomplir une réception parfaite, malgré la tige de bois empennée qui dépassait de son épaule gauche. Continuant à courir, j'aperçus un deuxième type sortir du bois, armé, lui, d'un cimeterre. Il était plus proche, et l'atteignit avant moi. Son arme faucha l'air, mais Yuriko avait déjà disparu. Elle courait à une vitesse ahurissante, inhumaine. Il n’était pas étonnant que le vieux lui fisse autant confiance pour gagner cette course. Le combattant tourna la tête vers moi, et sourit en voyant que je n'avais pas dégainé la mienne. Au moment où j'arrivais sur lui, il me frappa, et écarquilla les yeux une fraction de seconde en voyant sa lame bloquée sur mon poignet gauche. Pas longtemps, car mon poing droit vint lui caresser les côtes dans un bruit de maracas, et il décolla du sol pour aller s'écraser un peu plus loin. Je courus vers le dernier endroit où j'avais vu le tireur. Il y était toujours, plaqué par Yuriko, qui ne peinait pas à maintenir l'archer au sol, le dominant à la fois de son extraordinaire condition physique et de sa jeunesse.
L'homme avait la quarantaine. Sans cérémonie, je l'assommai du plat de la main, et me tournai vers elle. Elle avait toujours la flèche dans l'épaule, et la retira en grimaçant. "Ne bougez pas", lui dis-je en apposant ma main sur sa plaie. Comme ses chairs se refermaient à vue d'œil, elle me regarda et me demanda comment je faisais ça. Sans lui répondre, je continuais à la soigner. J'en avais vu suffisamment et avais pris ma décision, à présent, cela ne dépendait plus que d'elle.
Depuis si longtemps, ils me croyaient tous fidèle. Ils pensaient que jamais je ne les trahirais, et moi, je n'avais jamais été aussi libre de mes choix et de mes actes. J'avais brusquement envie de voir du pays, et de laisser quelque chose derrière moi pour ne pas avoir l'impression que tout ceci ait été vain. Il ne me restait qu'une seule chose à vérifier, mais de toute manière, j'étais presque sûr de moi. Je l'avais pressenti : elle avait un grand potentiel, bien plus grand que le mien. Je lui proposai immédiatement et un peu hypocritement de lui apprendre à régénérer les chairs meurtries en posant la main dessus.
Enthousiasmée, elle accepta, et je pus la faire asseoir dans une attitude méditative, pour l'évaluer en paix. Sous le son de ma voix, écoutant mes conseils, elle parvint à l'état que mes maîtres nommaient la mort bénigne. Elle ne pensait plus et ne bougeait plus, respirant très peu. Là, je pus enfin voir ce qu'il en était vraiment : l'énergie débordait de chaque pore de sa peau. Si j'en aspirais un peu pour la dissiper, elle se régénérait à une vitesse que je n'aurais pas soupçonnée possible. La laissant dans son état de transe, j'interrogeai le mercenaire qui avait essayé de tuer celle de qui j'avais décidé de faire mon apprentie.
Aucune résistance : il parla quand je menaçai de lui casser les phalanges. Sans surprise, il était envoyé par une organisation rivale, dirigée par des occidentaux, qui se faisait appeler "le gant de velours", pour tuer ou enlever la source de revenus que j'accompagnais. Je l'attachai quelque part où on le retrouverait probablement avant qu'il meure de faim, et retournai là où se trouvait ma prometteuse élève, pour la sortir de la mort bénigne. Elle était un peu secouée, mais elle accepta ma proposition, à savoir de prendre tout l'argent que nous gagnerions grâce à la course, et de partir vers Abel, où je lui dispenserais l'enseignement qu'elle avait demandé. Je lui parlai en termes vagues du potentiel qu'elle portait en elle, et que moi-même j'avais du mal à réaliser.
J'étais étonné du peu de temps qu'elle avait mis pour prendre une décision aussi lourde de conséquences. Plus tard, j'appris d'elle qu'elle n'avait connu aucun parent, aucun ami. Elle avait été ballottée entre plusieurs groupes qui s'arrachaient cupidement son talent. Les seules personnes qu'elle avait eu le temps de connaître un peu étaient des vieillards avides et thésauriseurs ou des gardes du corps éphémères qui mourraient invariablement pour accomplir leur devoir au cours d'un accrochage qui la faisait changer de mains. Elle n'avait aucune attache, aucun but : pour ne pas perdre la raison, elle avait dû apprendre à changer de mode de vie du jour au lendemain et à ne tenir à rien de matériel. D'où son travail acharné et son goût immodéré pour les jeux d'argent, qui agissaient sur elle comme un moyen d'oublier la valeur de tout ce qui était.
Elle gagna la course sans aucun problème, comme mon ex-employeur l'avait prédit. Le soir même, nous nous enfuîmes avec un pactole que j'aurais peiné à porter si elle ne l'avait pas fait. Même lestée de soixante kilos de pièces d'or, elle courait plus vite que moi, et devait m'attendre régulièrement. Souriant, je pensais à ce qu'elle ferait une fois éveillée à la force intérieure. Nous ne nous installâmes pas à Abel, mais au Gabriel, où notre richesse nous assurait de plus grands privilèges.
Elle apprenait et me dépassait extrêmement vite, dans quelque domaine que ce soit. La première fois que je lévitai pendant quelque minutes devant elle, elle sembla impressionnée. Cinq jours plus tard à peine, elle m'égalait, et après quinze jours de travail, elle sut voler dans les airs comme si elle était née avec des ailes. Encouragée par ces résultats « faciles », elle travaillait nuit et jour, ne dormant que six heures, puis cinq, quatre, trois et pour finir, moins de deux. Notre pécule s'épuisait lentement, car elle perdait un peu plus souvent qu'elle ne gagnait à la roulette ou aux paris. Elle avait le goût du risque. Je parvins cependant à lui transmettre ce que j'avais de plus précieux, outre mon savoir-faire martial : mon indépendance. Je lui appris à ne rien respecter qui soit honneur ou devoir, à ne rien aimer qui ne soit digne d'être aimé et à ne s'attacher à rien de matériel. Elle avait déjà cette soif de liberté et de vie, et je pense aujourd'hui que c'est ce qui m'avait décidé à en faire mon élève. Deux attaches ne m'ont jamais parues vaines : les principes et les amis. Les principes qu'on adopte ne doivent jamais être les principes des autres, mais toujours des décisions prises par empathie.
J'ai adopté pour principe de ne pas trahir mes amis, et de les protéger. C'est pour ça qu’aujourd’hui, je vais mourir. Pour lui permettre de s'enfuir. Ils nous ont retrouvés. Oh, bien sûr, même s'ils sont nombreux, à deux, nous pourrions les tuer. D'autant plus qu'à présent, elle est bien plus forte que moi. Mais ils en enverraient d'autres, et de toutes façons, je veux mourir avant de vieillir.
Je n'ai jamais oublié ce qu'elle m'a dit la première fois que je l'ai vue : "les vieillards sont répugnants". Je ne veux pas vivre assez longtemps pour voir de l'horreur dans ses yeux, et j'approche maintenant de la cinquantaine. Elle a 22 ans. Je m’occupe d’elle depuis sept ans ; je ne l'amènerai pas plus loin que là où elle se trouve, c'est à elle de continuer seule.
"Envole-toi, je m'en occupe. Nous nous retrouverons à Archange..."






















Chapitre 1 : Le jardin de Mathéo.


Elle était raide devant la tombe. Il lui avait dit qu'ils se retrouveraient, cet hypocrite ! Ce foutu menteur. Elle se sentait en colère contre lui, mais ne parvenait pas à le détester, même d'avoir été aussi stupide. Tout de même, Yuriko avait un drôle de sentiment, ce type était la seule personne qui ne lui eût jamais souhaité du bien, après tout.
Il ne pleuvait pas. En fait, un grand soleil du début du printemps faisait scintiller le marbre, ainsi que le nom inscrit en relief et doré de feuilles d'or. Ci-gisait Yoichi Deloriens, du pseudonyme qu'on lui avait attribué en ces terres. Il n'avait jamais parlé de sa vie au Lannet ni donné son vrai nom depuis qu'il avait débarqué, un peu comme si son existence n'avait commencé qu'avec cette fuite. "J'ai pensé que c'était le mieux à faire, dit Mathéo derrière elle, vous disparue et lui dans cet état... Je n'espérais même plus vous revoir un jour, mais bon, je lui devait bien ce service." Il eut un petit rire insouciant, épongea son front gras avec sa manche, et ajouta "ne serait-ce que pour m'avoir appris à jouer au go."
Les oiseaux ne se taisaient jamais, dans le jardin de Mathéo, ceci conjugué avec ce vert vif qui jaillissait des chèvrefeuilles et de l'herbe grasse et bien taillée donnait à cette sépulture quelque chose de joyeux, léger et harmonieux qui n'eût sans doute pas été concevable dans le froid et le gris d'un cimetière. Des haies isolaient cet endroit du reste de la propriété, et faisaient ombrage aux chemins qui y menaient. Un jeune cerisier et le bruit d'un ruisseau envahissaient la butte où reposait la viande. Au fond, ce grand parc entretenu par une dizaine de laquais était couvert d'arbres de toutes espèces et de tous horizons qu'on faisait venir à travers les océans pour agrémenter les jardins à la française du Gabriel.
"Bien entendu, tout l'argent avait disparu. Il n'avait pas de famille dans le coin, et n'avait rien mis de côté pour son enterrement, poursuivit Mathéo. Qui se soucie d'un cadavre étranger, qui plus est sans possessions, par ici ? Mais je ne pouvais tout de même pas les laisser le jeter dans la fosse commune, dans le même trou que ses assassins ! Alors je l'ai fait inhumer ici, près de mes ancêtres." Il désigna un petit bâtiment proche que Yuriko n'avait pas remarqué, et qui ressemblait à un temple. Un mausolée, sans doute. Mathéo s'assit avec un soupir de soulagement sur un banc de pierre proche, et leva des yeux interrogateurs vers son interlocutrice. "Cela lui importait peu, finit par dire Yuriko, néanmoins, vous avez agi comme bon vous semblait, et je vous en remercie. Vous êtes une des rares personnes dont il appréciait la compagnie." Même moi, je l'épuisais, se dit-elle en repensant à l'incroyable oisiveté de Yoichi. Et puis, ils n'avaient que peu de centres d'intérêt communs. Elle détestait le jeu de go, trouvait cela insupportablement monotone et vain, alors qu'il en était mordu, et lui finissait toujours par s'ennuyer dans un casino.
Mathéo continuait de parler. C'était peu ou prou le seul type à peu près fréquentable qu'ils avaient eu l'occasion de rencontrer dans ce pays. Sa richesse lui autorisait un train de vie plus que large, sans être suffisante pour qu'il possédât un réel pouvoir. De plus, il n'avait pas la conversation brillante, ni le goût de ridiculiser ses pairs, ce qui l'excluait d'office des cercles de bal et des intrigues de cour. Eux disaient qu'il manquait d'esprit, lui disait qu'il manquait de malveillance. Il avait environ trente-cinq ans, était plutôt laid, gros, et pas plus intelligent qu'un autre, mais possédait une assez remarquable ouverture d'esprit, allant parfois jusqu'à la crédulité. En fréquentant Yoichi, car il leur arrivait de passer des soirées à jouer au go, il avait fini par être mis au courant de l'existence de l'énergie du corps, et n'avait pas manifesté à cet égard une grande surprise : il y croyait déjà, comme il croyait à la cartomancie, à la réincarnation, aux fantômes et même à Dieu, parfois. Au lieu de s'en méfier, il voulut apprendre à méditer et à harmoniser les énergies de son corps et de son esprit. En outre, il n'avait pas hésité à leur prêter son nom pour acheter une maison, et c'était sans nul doute grâce à lui qu'ils avaient pu se cacher aussi longtemps des tueurs de l'organisation qui recherchait Yoichi pour sa traîtrise, et elle pour son talent.
"C'était un vrai massacre, poursuivait-il, je n'étais pas là, bien sûr, mais j'ai quelques informateurs du côté de la garde qui l'ont vu de leurs propres yeux. Il y avait huit morts dans la maison, dont lui. Ils l'ont criblé de flèches sur le pas de la porte. Quelle pitié ! Il essayait sans doute de s'enfuir..." Yuriko l'écoutait d'une oreille distraite. Elle n'avait jamais été particulièrement proche de ce type. Elle l'appréciait, sans plus. Tant mieux, dans un sens, puisqu'elle allait devoir rompre avec cet endroit trop plein de souvenirs, qui étaient autant d'entraves à sa propre liberté, et autant d'émissaires de la vieillesse. "Mais dites-moi, demanda soudain Mathéo sans avoir l'air d'y toucher, comment diable êtes-vous restée en vie alors que votre maître, malgré tout son pouvoir, n'a pas pu échapper à ses poursuivants ?.."
Yoichi n'avait jamais voulu d'un titre comme celui-là. Le savoir, quel qu'il soit, disait-il, ne doit pas se transmettre dans la soumission et la servitude. "Je n'étais pas là quand ils sont venus le chercher", mentit-elle, avant de s'éloigner. Elle laissait Mathéo à son jardin, de toutes manières, il l'agaçait. En sortant de la propriété hissée sur un promontoire terreux, elle aperçut la ville où ils avaient passé plus de sept ans, où elle avait quelques amis, mais qu'elle comptait bien ne jamais revoir. Elle regarda derrière elle, la maison de Mathéo était presque un château, entourée de grands parcs, située légèrement à l'écart des habitations agglomérées, et qui n'existait que parce que son propriétaire aimait à y passer ses vacances.
Yuriko sentit ses pieds s'arracher au sol et l'air lui fouetter le visage alors qu'elle s'envolait. Elle ne savait pas par où aller, exactement comme plusieurs années auparavant, avant leur fuite. Elle ne savait même pas ce qu’elle devait faire, il l'avait laissée seule, sans aucune attache, ainsi qu'elle l'avait toujours souhaité. Et maintenant qu'elle n'en avait plus, elle se rendait compte qu'il avait été la sienne, et qu'elle en avait besoin. Oh, merde, quelle absurdité ! Ce qu'il avait fait n'était ni plus ni moins qu'un suicide...
Regretter le passé, c'est courir après le vent. Il fallait ne plus y penser, partir ! Courir avec le vent, sans essayer de l'emprisonner, car il est trop rapide et trop insaisissable pour être capturé.
Elle volait vers l'ouest.




















Chapitre 2 : Une nuit à Ovenne.


Cette prison ne sombrait jamais dans la nuit. C’était peut-être même le seul endroit également gardé et éclairé tous les jours et à toutes les heures sans la moindre distinction. Yuriko connaissait bien les lieux : une fois, elle avait dû y pénétrer pour le travail, et était parvenue à le faire sans même se faire repérer. Cependant, depuis, la surveillance avait été à ce point renforcée qu’elle avait renoncé à entrer discrètement. C’était tout bonnement impossible, à moins de pouvoir se rendre invisible. Et encore… pensa-t-elle, même avec ça, ce ne serait pas une mince affaire.
Yuriko vivait depuis maintenant cinq mois à Ovenne, cette ville à la frontière sud de l’empire d’Abel et qui, de fait, était une importante zone de transit pour le marché parallèle. Quelques associations à but purement et simplement lucratif y faisaient passer tabac, épices, alcool, papier et thé, mais aussi opium, armes, métaux précieux et autres denrées alimentaires.
Officiellement, les autorités étaient en lutte constante avec les trafiquants, mais officieusement, c’était plus compliqué que ça. Les dirigeants savaient parfaitement que ce marché noir n’était pas plus dangereux ou nocif que tout ce qu’ils pourraient faire pour l’enrayer, et que, de toutes façons, il était l’un des piliers du dynamisme économique de la région, fournissant du travail et à manger à des centaines de personnes. C’est pourquoi, mis à part quelques chefs de patrouille désireux de monter les échelons, tout le monde laissait plus ou moins les trafiquants en paix, la justice se cantonnant à réprimer les excès de parrains isolés perdant la boule et se mettant à racketter les commerçants.
Regardant la prison de loin, Yuriko la trouvait encore plus laide que de près. C’était un bâtiment grand, mais pas très haut, taillé dans un schiste dense aux reflets rouille. Un fleuve paisible, le Frat, la contournait partiellement au cours de son voyage en ville.
C’était la nuit, une nuit froide. Peut-être à cause de l’altitude, pensa Yuriko en resserrant les pans de son trench-coat. Tout en bas, le Frat scintillait majestueusement à la lueur des étoiles. La nuit était belle, et la lune presque pleine. Un coup de vent la fit frissonner en même temps qu’il la poussait doucement vers la droite. Ce jour-là, on lui avait demandé de tuer quelqu’un. Il s’appelait Marcus. Marcus Hemmet. C’était un trafiquant qui avait été suffisamment imprudent pour se faire capturer par la garde. Le problème qui se posait alors, c’était qu’il risquait, pour adoucir sa peine, de dénoncer un certain nombre de ses collègues, ce que les dirigeants de la ville ne souhaitaient pas, car ils ne pourraient ignorer un témoignage aussi direct et faire comme si de rien n’était, comme à leur habitude. En toute logique, Marcus devait disparaître le plus tôt possible. Elle était payée pour ça, ce n’était pas le premier boulot de ce genre qui lui était confié, que ce soit par des trafiquants ou des politiciens. Elle ne marchait qu’à la prime, et cela leur convenait parfaitement. Elle était même assez cotée pour sa rapidité et son efficacité dans l’exécution des tâches.
Yuriko tira de sa poche un petit paquet, duquel elle extirpa un bâtonnet de bois sec à l’extrémité couverte de souffre avant de le remettre en place. Parfois, elle avait l’occasion, au cours de l’exécution de l’un ou l’autre de ses contrats, de se servir directement dans les stocks des trafiquants. Elle aurait eu tort de se gêner. Ce pensant, elle prit un petit cylindre noir dans une poche intérieure. Puis elle frotta l’allumette contre la gabardine de son manteau, et alluma le cigare. D’ici, les maisons semblaient vraiment toutes petites. Yuriko s’avança jusqu’à se trouver à la verticale de la prison, puis elle finit son cigare avant d’en laisser tomber le mégot négligemment. Farfouillant dans les poches de son manteau, elle y trouva une cagoule pliée, qu’elle enfila. Ne jamais agir à visage découvert, surtout dans ce genre de situations. Les lueurs carcérales l’attendaient, trois cent mètres plus bas, et elle commença sa descente en chute libre. Elle ferma les yeux, savourant ce moment, pour n’interrompre sa trajectoire que quelques mètres au-dessus du sol, juste en face de l’entrée principale qui se trouvait être la seule entrée qui ne soit pas obstruée par des grilles aussi sûres que nombreuses.
Étrangement, il n'y avait qu'un seul soldat devant cette porte. Probablement les autres patrouillaient-ils du côté de l'enceinte extérieure. Passée sa surprise, il pointa l’extrémité de sa hallebarde vers l’intruse, et la somma de s’arrêter. Yuriko s’approcha de lui docilement puis, sans prévenir, fondit sur son adversaire. Il tenta de la frapper, mais elle évita aisément cette arme balourde pour le faire tomber en arrière d’un même mouvement de jambe gracieux (j’aime à penser que c’est gracieux) et circulaire, avant de se jeter sur lui et, d’un direct du droit dont il se souviendrait, l’assommer sans plus de fioritures.
Jusque-là, c’était parfait. Il n’avait pas eu le temps de prévenir qui que ce soit, et la voie était libre. Fouillant le soldat, Yuriko trouva un trousseau dont elle dut essayer toutes les clés sur la porte, avant d’enfin trouver la bonne, et d’entrer. Sous le tissu serré de sa cagoule, elle souriait.

L’alerte fut donnée dix minutes plus tard.
Yuriko pouvait entendre l’agitation des hommes et les tintements du métal, même là où elle se trouvait, c’est à dire dans une pièce du sous-sol, où habituellement les soldats pouvaient se reposer. « Habituellement », parce qu’à ce moment-là, deux d’entre eux gémissaient par terre, avec la table, les bougies et les cartes, tandis que le troisième joueur était adossé contre le mur, et regardait Yuriko d’un air mauvais. L’une de ses jambes ne lui obéissait plus, et était même légèrement tordue. Ce devait être assez douloureux. En tout cas, il ne lui refuserait pas un renseignement. Elle s’accroupit pour être à sa hauteur et lui demanda, s’il te plaît, où était enfermé Marcus Hemmet.

L’entrée de la cellule 95.2 se trouvait au second sous-sol, au fond d’un couloir long comme ça, devant lequel étaient postés deux soldats. À l’intérieur se trouvait un homme âgé d’une trentaine d’années environ, poussiéreux, étique, à l’œil torve et à l’air hagard. Il était vautré sur une planche en bois, qui formait une parodie de lit.
« Marcus, c’est vous ? demanda Yuriko, légèrement haletante, et en nage sous sa cagoule.
- Il paraît, répondit l’autre après un moment.
- On m’a demandé de vous tuer.
- Je m’en doutais. C’est souvent comme ça.
- Souvent, oui, mais toutes les règles sont faites pour être transgressées un jour ou l'autre.
- Combien ?
- Hein ?
- Combien percevrez-vous pour ma tête ?
- Cent vingt pièces d’or, théoriquement, mais avez-vous entendu ce que je vous ai dit ?
- Peu m’importe, dit-il en se levant enfin de son lit. À ce prix-là, personne ne transgresse les règles. »
Yuriko sourit. Il ne le vit pas, bien sûr, mais la regardait tout de même à l’endroit où devait se trouver son visage. « Vous miseriez combien là-dessus ? » demanda-t-elle, amusée par ce scepticisme. Il ne répondit pas, l’air étonné. Elle retira sa cagoule, prit un autre cigare, et l’alluma, avant de fermer la porte de la cellule. Les deux gardes neutralisés avaient été poussés dans un coin à l’arrache, juste pour qu’on ne les voie pas du premier coup d’œil.
Le plafond était très haut. À environ quinze mètres, il y avait une fenêtre qui laissait entrer le jour, à défaut de laisser sortir qui que ce soit. Yuriko décolla du sol sous le regard ébahi de Marcus pour aller la voir de plus près. D’épais barreaux faisaient obstacle, mais elle avait prévu le coup. Cherchant dans son manteau, elle finit par trouver ces petites boîtes d’acier desquelles dépassaient des mèches de lin. Un artificier lui en confectionnait spécialement pour cet usage, il les remplissait d’un mélange à base de poudre à canon. Elle déchira son masque en lanières de tissu, à l’aide desquelles elle attacha deux de ces bombes aux bases scellées des barreaux. Une fois ceci fait, elle tira sur son cigare pour s’assurer de son incandescence, et alluma la mèche avec.
Yuriko redescendit précipitamment, et colla Marcus au mur pour le protéger d’éventuels éclats. Il y eut comme un bruit de tonnerre, à la suite de quoi quelques débris de pierre vinrent s’écraser au sol de la cellule. Elle attrapa le prisonnier par la taille, et décolla avec lui. Bien sûr, les barreaux n’étaient pas tombés, mais la pierre autour de leur base était dorénavant déstructurée, friable. Yuriko se concentra un instant, puis tira dessus brusquement et de toutes ses forces. La roche céda. En sueur après cet effort, elle lâcha la grille qui atterrit quinze mètres plus bas dans un puissant vacarme métallique. Marcus sous le bras, elle prit alors son essor. Après avoir étouffé sous ce masque et dans ces couloirs éclairés mais oppressifs, l’air frais de la nuit et le goût inégalable de la liberté étaient un délice. Elle planait au-dessus du fleuve, vers le nord. Si tout se passait bien, ils y seraient en moins de deux heures. Elle était dans les temps.

« Bien sûr qu’il est mort ! », dit-elle, pressée d’en finir avec ça. Ce vieux parvenu la regardait fixement. Il lui avait servi un verre auquel elle n’avait pas touché. À vrai dire, il l’avait invitée à s’asseoir, mais elle était restée sur le pas de la porte.
« La famille aussi ? demanda le bourgeois, Vous vous êtes occupée de ça ? Plus personne n’est susceptible de témoigner ?
- Plus personne, non, vous pouvez dormir tranquille, ironisa-t-elle.
- J’ai su ça, vous avez également fait brûler la maison, dit-il en risquant un sourire. Bonne initiative. Comme à votre habitude, vous ne laissez pas de traces…
- C’est bon, maintenant ? coupa Yuriko, glaciale. J’ai à faire, et vos boniments ne m’intéressent pas. »
Il soupira avec une fatigue perceptible, et prit un parchemin scellé dans un tiroir. « Bon, je suppose que vous n’avez pas de temps à perdre. Voici la somme convenue. » Ce disant, il le posa sur son bureau. Yuriko s’en approcha à contrecœur, s’en saisit le plus vite possible et tourna les talons. Ce type la rendait malade, et inexplicablement nerveuse. Peut-être était-ce autant à cause de son âge que de son imperturbable cynisme. C'était une véritable ordure, et il ne s'en était jamais caché, au contraire, il en semblait même fier.
Une fois dans la rue, elle se dirigea vers l’établissement bancaire le plus proche. Arrivée au guichet, et un peu plus calme, elle donna le parchemin, et demanda à faire transférer l’or de ce coffre vers le sien. « Tout de suite, dit l’employé, souhaitez-vous un inventaire ?
- S’il vous plaît, oui.
- Veuillez attendre un peu. »
Puis elle s’appuya contre le mur. Elle recevrait cent vingt pièces d’or pour avoir tué Marcus et sa famille, et en avait dépensé presque cinquante pour lui trouver une autre maison, un autre nom et l’avoir installé à 150 km de là avec son épouse et sa fille. Garder les mains propres et la conscience tranquille était à ce prix. Soixante-dix pièces d’or la nuit, c’était pas si mal, finalement. Le banquier réapparut. « Voilà, le transfert se fait, dit-il. Il y avait cent vingt pièces d’or et ce rouleau dans le coffre »
Au moins, le vieux ne s’était pas foutu de sa gueule.
« Je voudrais le rouleau.
- Bien sûr. »
Cinq minutes plus tard, elle déroulait le parchemin dans la rue. Quelqu’un d’autre devait mourir dans la semaine. Elle soupira de lassitude. Au moins, celui-là était célibataire : il ne serait pas trop dur à reloger.



Chapitre 3 : Home sweet home.


Chez elle, c'était plutôt grand. Du moins, cela semblait grand, car il y avait assez peu de mobilier et les murs étaient restés nus. S'effondrant sur son lit, Yuriko sentit quelque chose dans sa poche. C'était une pièce d'argent qu'elle avait gagné en pariant avec l'épouse de Marcus, Clémence, qu'elle l'aurait ramené avant six heures du matin. Sympathique, Clémence, d'ailleurs.
Ce qu'elle soupçonnait depuis quelques mois déjà arriva cette nuit-là. C'était pour ça qu'elle avait fait mettre, malgré des prix prohibitifs, des vitres à toutes les fenêtres et que sa porte ne fermait (et donc ne s'ouvrait) que de l'intérieur. C'était une question de sécurité : trop de gens du métier étaient morts de cette manière, dans leur sommeil. Elle, elle avait un double avantage : le premier, c'était de s'y être préparée. Le second, et non le moindre, c'était de n'avoir que très peu besoin de dormir.
Vers minuit, ou une heure, par là, il y eut un bruit de verre brisé quelque part dans la maison. Yuriko leva les yeux de son livre. Il n'y avait pas de fenêtre dans cette chambre. L'autre n'avait pas pu voir que la lumière était allumée. Une lampe à pétrole fumait doucement, et projetait une légère lueur jaune dans la pièce. Elle se leva, prit sous son lit un poids de dix kilos dont elle s'était rarement servie, et alla se coller au plafond, juste au-dessus du chambranle, à côté de la charpente.
Un individu entrouvrit la porte, puis entra dans la pièce. Il était grand et massif, mais se déplaçait souplement, sans faire le moindre bruit. Comme un papillon, attiré par la lumière... se dit Yuriko au moment de lâcher le poids qui devait lui défoncer le crâne. Avec des réflexes proprement surhumains, il évita le coup en roulant sur lui-même, puis lança un objet brillant qui vint se ficher dans le bois du plafond, exactement là où se trouvait la gorge de Yuriko une fraction de seconde auparavant.
Cette dernière descendit en lévitant, et se posa à l'autre bout de la pièce. Ce type était visiblement habile et expérimenté. Il dégaina un sabre incurvé et s'approcha d'elle, confiant. Il eut un éclat de rire et annonça "Ne sais-tu pas qu'il faut toujours avoir une arme à portée de main lorsqu'on travaille dans ce domaine ? Cette négligence aura causé ta perte !" En prononçant ce dernier mot, il frappa circulairement, visant la gorge. Yuriko se pencha au dernier moment pour éviter l'acier, et se jeta sur lui, sentant avec satisfaction la pommette de son adversaire entrer en contact avec la partie la plus dure de son poing. Après quoi elle put le ceinturer, lui bloquer les deux bras et lui faire lâcher son arme. Haletante, mais souriante, elle commença "Maintenant, tu vas..." mais s'interrompit et le lâcha sous l'effet de la douleur.
Même immobilisé, il était parvenu à dégainer un poignard et à le lui planter profondément dans la cuisse droite. Yuriko recula en lévitant, saignant abondamment. L'homme se redressa, il était un peu barbu, et vêtu d'un long manteau noir. Ses yeux semblaient gris à cause de la faible luminosité. Le tueur ne riait plus. Il pointait son regard dans toutes les directions, et celui-ci finit par se fixer sur la lampe à pétrole. Sentant venir le coup, Yuriko se rapprocha de la porte de sa chambre en lévitant doucement, sans quitter le mercenaire des yeux, mais en se concentrant en même temps sur l'endroit de sa plaie. Bientôt, ce fut douloureux, mais supportable, et l'entaille cessa de saigner. C'était là une des premières choses que lui avait apprise Yoichi. Se soigner, soi, d'abord, et éventuellement répondre ensuite. Rien ne servait de combattre si c'était pour y laisser sa peau. Tout cet enseignement martial, elle en était parfaitement consciente, était un moyen, pas une fin, l’existence n’ayant d’autre finalité que sa propre préservation.
La lumière s'éteignit soudain. Le tueur venait de briser la lampe à pétrole par terre. Heureusement qu'elle s'était rapprochée de la porte, se dit-elle en s'y précipitant. Dans la pièce voisine, une sorte de salon, il y avait une fenêtre vitrée visible grâce à la clarté relative du ciel nocturne, qui explosa quand Yuriko passa au travers. Une fois dehors, dans les airs, elle fit demi-tour, ce qui lui permit d'éviter in extremis un autre poignard volant. Elle se posa dans son propre jardin et attendit. Ce type était dangereux, très dangereux. Et cette obscurité... Si elle n'avait pas pensé à se placer près de la porte, elle y serait vraisemblablement restée. Elle se calma, respira profondément et posa la main sur son cœur. Il semblait sur le point de s'arracher à sa cage thoracique. Elle pouvait sentir la sueur perler à la racine de ses cheveux.
Soudain, deux projectiles jaillirent de la fenêtre brisée. Yuriko fit deux petits bonds successifs pour les éviter, puis l'assassin sortit lui aussi de l’ouverture. Il semblait très en colère. Le gris de ses yeux scintillait à la lumière de la lune, du même éclat que son sabre courbe, qu'il avait récupéré. Il s'élança alors vers elle, et frappa vivement, mais sa cible avait déjà esquivé, décollant du sol dans le sens opposé en tournant sur elle-même dans les airs. Il lança un autre couteau d'un geste sûr et préparé mais, s’il avait prévu la trajectoire du vol, il n'en avait pas prévu la vitesse. Yuriko le contourna le plus vite et le plus largement possible, et il fit volte-face nerveusement, cherchant à la suivre du regard. Puis elle s'éleva et redescendit, avant de partir à droite, etc. Multiplier les feintes et les piqués, jusqu'à ce qu'il soit complètement déboussolé, voilà où elle voulait en venir. De son côté, il perdait son calme, et se mit à lancer des objets tranchants dans toutes les directions, sans parvenir au résultat escompté.
Là, sans prévenir, Yuriko lui fonça dessus, le heurtant violemment. Profitant de son déséquilibre, elle bloqua un bras, deux, puis brisa le premier, celui avec lequel il tenait son arme. Cela fit un bruit sec, comme une pierre qui se fend. L'autre hurla de douleur et tenta de se libérer, en vain. Ils basculèrent, puis elle se releva en volant et le frappa du pied au niveau du torse, sentant plusieurs côtes céder sous son talon. L'autre émit un cri bref, puis tenta de se relever. Exténuée, Yuriko trouva -mais où ?- la force de le traîner à l'intérieur, en le tenant par une cheville parce qu'il gigotait trop. Elle alluma quelques bougies et l'installa dans son lit. "Vous avez cassé ma lampe à pétrole, déplora-t-elle en voyant l'ustensile fracassé par terre, il suffisait de l'éteindre" Puis elle se dirigea vers la sortie. Au moment de franchir le pas de sa porte, elle lui lança "je reviens dans une petite demi-heure, surtout, ne bougez pas" avant de la refermer, partant d'un grand éclat de rire dans la rue déserte.

Dix minutes plus tard, à l'autre bout de la ville, un vieil homme barbu à l'air fatigué ouvrit brusquement la porte. Yuriko sursauta et fit un pas rapide en arrière au vu de l'apparition. « C'est pourquoi ? Ah, c'est vous... Amandine ! » Hurla-t-il à l'adresse de quelqu'un qui se trouvait à l'intérieur.

"Tu ne devineras jamais la raison pour laquelle je viens te chercher...
- On parie ? répondit Amandine, moyennement réveillée, mais déjà elle-même.
- Si tu veux. La même somme que d'habitude ?
- Voyons voir... Nous volons vers chez toi, tu vas vite et tu pues la sueur. Un blessé nous attend dans ton salon ? Un type que tu devais dessouder, qui a pris un mauvais coup ?
- Non, mais pas loin, dit Yuriko en souriant face à la perspicacité de son amie, l'aiguillant malgré elle.
- Alors, ils ont enfin sérieusement essayé de te supprimer !
- Gagné, mais je t'ai un peu aidée...
- Oui, ça ne compte pas. Tu vas partir ?
- Probablement. Cette fois, ils ont envoyé un pro. Il connaissait son boulot, cet enfoiré.
- J'ai vu ça. Tu ne veux pas que je m'occupe un peu de cette entaille ?
- Cela peut attendre...
- Non, je vais te faire un bandage en arrivant, sinon, je te parie tout ce que tu veux que demain, ce sera rouvert. »
Amandine gagnait très souvent ce genre de paris. "D'accord, finit par concéder Yuriko, mais lui d'abord.
- Si tu veux. Il a quoi ?
- Un bras et quelques côtes cassées, je crois bien. Sans doute aussi des éclats de verre, ajouta-t-elle en se souvenant soudain de la manière dont, fourbue, elle l'avait traîné par terre dans l'obscurité.
- Je vois... J'espère qu'il ne va pas essayer de s'enfuir. Les côtes cassées, c'est le meilleur moyen de se perforer un poumon.
- Désolée. Pour ma défense, il ne s'est pas contenté d'essayer de me neutraliser, lui..."

Amandine tira d'un seul coup. Il y eut un craquement, et l'autre se contracta. Puis elle prit dans son sac deux planchettes avec lesquelles elle lui fit une attelle. Yuriko s'approcha et apposa la main sur son bras, pour injecter de l'énergie et commencer à ressouder les os. Ce n'était pas parfait, mais ça lui éviterait de se balader avec un bras cassé et douloureux pendant plusieurs mois, ce qui aurait équivalu à le condamner à mort. "Mais enfin, quoi ! explosa soudain le blessé. Je peux savoir ce que j'ai fait pour que quelqu'un que je viens d'essayer de tuer ne pense qu'à m'amener un médecin ?" Il pointa sa main valide vers Yuriko "Vous devriez m'avoir égorgé depuis longtemps !
- Le fait est, répondit-elle assez sèchement, que je considère le meurtre en général, le vôtre compris, comme profondément inutile, pour ne pas dire contre-productif. Un exemple vaut mille discours : si au lieu d'essayer de me tuer, vous m'aviez prévenue que ma tête était convoitée dans les environs, j'aurais discrètement quitté la ville. Vous auriez prétendu que vous m'aviez tuée, votre employeur aurait été ravi, vous payé, et tout ça sans le moindre effort. Au lieu de quoi vous m'avez fait mal, dit-elle en montrant sa plaie, vous êtes convalescent et même pas sûr de percevoir votre paye. Précisons aussi qu'avec quelqu'un d'autre que moi, vous seriez probablement déjà enterré au fond du jardin.
- Sans oublier toutes ces coupures, ajouta en passant Amandine, qui joignit le geste à la parole en jetant le dernier éclat de verre dans une bassine tâchée de sang, avant de s'essuyer les mains.
- Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda-t-il, ahuri.
- Moi, rien. Je veux juste que vous sachiez ceci : ça fait presque cinq mois que j'officie en tant que tueuse à gages dans cette ville. Je viens de m'occuper hier de mon vingt-deuxième contrat, et, jusqu'ici, je n'ai jamais tué personne. Il n'y a vraiment pas besoin de ça." Elle se leva, puis ajouta en regardant autour d'elle. "C'est dommage, j'avais presque fini de payer cette maison... Enfin, tant pis. Brûlez-la, et dites à ceux qui vous emploient que vous avez laissé mon cadavre dedans.
- Tu me ramènes ? demanda Amandine en rangeant ses ustensiles.
- Si tu veux."

Une heure et demie plus tard, Yuriko passait la frontière sud, en direction du Kanon. Elle avait tout laissé derrière elle, et c'était tant mieux. Les villes sont faites pour être goûtées. S'y installer, c'était leur faire perdre leur plus grande saveur : celle de la nouveauté. Peut-être existait-il, quelque part, un endroit qui lui semblerait éternellement neuf. Peut-être pas. En tout cas, ce qui était sûr, c'est qu'elle ne s'installerait nulle part ailleurs qu'en ce lieu.








Chapitre 4 : Un village au Kanon.

Etait-ce un cheval ou une jument ? Elle n’avait pas la moindre idée de la couleur, ni du sexe de l’animal qu’elle venait de prendre. S’avançant à tâtons en tenant la bête par la crinière, ainsi qu’on lui avait appris, elle atteignit les portes de la grange et chercha du bout des doigts le loquet, dans le noir complet. Enfin, elle sentit sur sa peau le contact froid du métal, et tira la barre de fer pour ouvrir la porte. La nuit était nuageuse, on n’y voyait strictement rien. Pour l’instant, il valait mieux marcher à côté de l’animal, le monter serait trop hasardeux. Et puis, comment aurait-elle pu attacher la bride dans cette obscurité ? On pouvait monter sans, bien sûr, mais elle préférait tout de même attendre le lever du jour.
Yuriko trouva le chemin de terre sans aucun problème, connaissant cet endroit presque par cœur, et commença à marcher à côté de la monture qu’elle venait de voler. Après deux mois à vivre ici, dans ce petit village, la géographie des environs n’avait plus de secrets pour elle. Elle y avait été plutôt mal accueillie. Il n’y avait pas d’auberge, rien pour entreposer les visiteurs, aussi avait-elle demandé l’hospitalité aux villageois, mais personne ne voulait, ou presque. À force de persévérance, elle avait fini par trouver une maison où on voulait bien la laisser dormir dans la paille, mais ç’avait vraiment été la croix et la bannière.
Sur la route, les gens qu’elle croisait lui avaient souvent conseillé d’aller à l’église si elle avait besoin d’un accueil. C’est ce que faisaient beaucoup de gens du voyage et d’errants. Cependant, les lieux de culte, quoique n’étant pas laids en eux-mêmes, étaient le plus souvent infestés de vieillards en robe noire, qui attendaient que vous vous endormissiez pour vous tuer de manière horrible. Aussi Yuriko craignait-elle de s’approcher des églises la nuit, préférant demander aux habitants un coin de paille pour sommeiller. Le soir où elle était arrivée, c’était la fin de l’été, et les nuits étaient encore courtes. Elle avait dormi une heure et demie, pour être d’attaque, puis elle s’était levée en emportant le peu d’affaires qu’elle possédait. Mais elle n’avait pas pu partir discrètement comme elle l’aurait souhaité, car ses hôtes, méfiants, avaient chargé quelqu’un de la surveiller. En temps normal, cela n’aurait pas été un problème, mais le jeune homme qui s’était signalé au moment où elle s’apprêtait à sortir lui avait demandé sans colère si elle pouvait rester, sinon il allait se faire engueuler, en ajoutant que si elle ne voulait pas, c’était égal vu qu’il l’y obligerait.
Alors elle était restée, ne voyant pas de raison pour refuser. Comme il était censé veiller toute la nuit, elle avait pas mal discuté avec lui. Il était plutôt sympa, et beau, en plus, ce qui l’avait décidée à prolonger son séjour. Ils avaient fini leur nuit à faire des paris stupides sur le nombre de verres du tord-boyaux régional qu’ils pourraient engloutir, ce qui n’avait pas vraiment favorisé son intégration chez ces paysans méfiants et xénophobes. Vidanger la réserve d’alcool de son hôte en une nuit, faut avouer, on fait mieux comme première impression. Et pour ne rien arranger, elle l’avait plumé jusqu’au slip, même si elle avait fin par renoncer à son dû pour pouvoir rester. D’habitude, elle trouvait les occidentaux plutôt laids, mais ce gamin de seize ans, Simon, avait une beauté indéniable, et un sens de la dérision assez exceptionnel pour un paysan illettré. Bref, pour tout dire, il était super séduisant.
Rester au village, qui abritait moins de quatre cent âmes, ne fut pas une mince affaire. Elle le comprit trop tard : leur méfiance à son égard était due au fait qu’ils ne pouvaient la ranger dans aucune catégorie sociale ou familiale connue. Même si elle avait au départ tenté de les aider dans les travaux de tous les jours, aux champs ou ailleurs, elle s’était rapidement désintéressée de ce labeur ennuyeux, préférant leur servir de notaire/écrivain public, car le seul homme alphabétisé, le curé, était non seulement vieux, mais gâteux. Alors, et comme il fallait bien la ranger dans une case, on avait fini par lui attribuer plus ou moins le rôle de sorcière. Celle qui savait lire et écrire. Celle qui avait peur du prêtre, et même de rentrer dans l’église. Celle qui n’était pas fatiguée, au soir, après avoir travaillé toute la journée. Celle qui venait d’ailleurs, et celle que les vieilles dévotes traitaient de pécheresse, qui ne pensait qu’au jeu et à dilapider l’argent.
Tout cela ne la dérangeait pas plus que ça, surtout qu’avec Simon, cela se passait très bien. Et puis, finalement, le seul effet visible de la médisance acharnée dont elle ne soupçonnait pas le dixième était qu’un villageois lui demandait de temps en temps de tirer les cartes ou de soigner un mal de tête. Sachant que plus le remède serait infect, plus le malade le trouverait efficace ref. nécessaire, elle se contentait le plus souvent de goûter à quelques plantes dans la forêt, de choisir la plus immangeable, et de servir ça en décoction à son client hypocondriaque qui la remerciait pour le soulagement quelques jours plus tard.
Après deux mois de ce régime, l’élite extrémiste des habitants avait décrété que l’étrangère avait la « mauvue », et qu’en conséquence il fallait lui brûler les yeux. À la barbare ; au brasero. Une dizaine de malades ivres morts, sans doute autant galvanisés par l’idée de torturer et violer une femme sans défense que par celle d’accomplir l’œuvre de Dieu avaient ainsi débarqué chez elle ce soir-là, à la fin de l’été, en tenant à la main des tisons enflammés, quand ce n’était pas des crucifix ou des bouteilles. Alertée par ce bruit inhabituel, car elle habitait un peu à l’écart des autres maisons, elle n’avait eu que le temps de s’habiller et de faire sortir Simon par la porte de derrière. À présent, elle en était là, à voler une monture dans la grange du seul villageois qui en possédait plus d’une. Elle les avait semés ; il n’y avait plus qu’à s’en aller le plus rapidement et discrètement possible.
Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait plus vu la mer, aussi choisit-elle de partir vers la capitale et ensuite, pourquoi pas, vers le sud. De toutes façons, elle verrait bien une fois là-bas.