dimanche 26 juillet 2009

Americhan beauty

25/07/2009

Edit : Je vire les espaces entre chaque paragraphe, c'était un peu naze. Je préfère sans.

Une foule dense se mouvait dans les rues. Yuriko enfila comme elle pouvait le manteau qu’elle venait d’acheter, malgré les bousculades répétées, et retourna les poches de celui qu’elle portait avant, pour récupérer son blé et ses cigares. C’était un beau vêtement, il lui seyait bien mieux que l’autre, en tout cas. Elle jeta l’ancien près d’un tas d’ordures, composé essentiellement de déchets organiques. Ce détail lui fit relever la tête, et remarquer deux choses. La première, c’est que ses déambulations l’avaient amenée tout près d’un marché ouvert ; la seconde, c’est qu’Hiruko n’était plus avec elle. La populace lui envahissait le champ de vision. En fouillant du regard, il lui sembla apercevoir le visage qu’elle cherchait, mais au bout de quelques secondes, la face avait disparu. De toutes façons, c’était pas sûr que ce soit la bonne, et puis, même, elle était assez grande, non ?
Le marché était immense, on n’en voyait pas le bout. N’écoutant que sa curiosité, Yuriko s’engouffra dans la grande rue, en laissant traîner son regard au hasard des étalages. Décidément, cette ville était plaisante, pleine de surprises et de variété. Tout ce qu’elle voyait lui semblait neuf et changeant, éternellement jeune. Il faudrait voir si ça tiendrait sur la durée, et pour cela, s’y installer, peut-être ? Tiens, des lapins. Mannrig aimait bien les lapins, et puis, il disait souvent vouloir se lancer dans l’élevage. Elle en acheta un, un blanc, et le mit dans sa besace après qu’on lui eût refusé un emballage cadeau. Pourtant, il n’y avait pas besoin de grand’chose : du papier kraft, un ruban rose et c’était tout bon. En continuant un peu à marcher, Yuriko finit par trouver le stand approprié, et s’en approcha en se demandant combien ça pourrait coûter. Bonjour, dit-elle en tendant le lapin présumé à la couturière mijaurée qui trônait derrière son comptoir, je voudrais un ruban, c’est pour offrir. Oh, qu’il était mignon, oui, elle s’occupait de ça tout de suite ! répondit la vendeuse en saisissant avec des gestes experts une paire de ciseaux très pointus et un mètre quarante environ de ruban de soie rose, avant d’attraper vivement le petit mammifère et de le jeter en l’air. Yuriko cligna des yeux et observa, ébahie, le lapin halluciné se faire décorer d’un ruban rose dans une posture acrobatique, sans même toucher le sol, puis retomber entre les mains de la couturière une fraction de seconde avant que les ciseaux encore fumants ne se plantassent avec un bruit sec dans le bois de l’établi de travail.
Un silence respectueux se fit, alors que les derniers lambeaux de ruban rose choyaient autour de la couturière, dans un ballet tournoyant, comme les feuilles des arbres dansant sur les ruines de l’été. Elle rouvrit les yeux, et ce fut le signal. Un tonnerre d’applaudissements submergea la star, et bientôt elle se fit emporter par la foule en délire, pour qui rien n’existait plus que l’idole païenne qu’ils venaient de prendre pour déesse. Yuriko se pencha et ramassa le lapin délaissé. Au moins, maintenant, il avait un ruban. Et rose, en plus. On n’allait pas trop tarder à rentrer, vu que la lumière du soleil commençait à décliner. C’était la fin du jour, et surtout le début de la nuit. On entrait maintenant dans les heures enfumées des tables de jeu et des alcools de brune ; la froide lumière du soleil s’esbignait derrière l’horizon, pour laisser place à la nuitée, moite et chaleureuse.
Il fallut à Yuriko une bonne heure pour retrouver l’auberge où ils s’étaient arrêtés. Mannrig dégustait un Surprenez-moi à la table du fond. Elle s’approcha, sortit le lapin de sa besace, et le tendit au sauvage en le tenant par les oreilles (le lapin). Tiens, cadeau, c’était le premier d’un élevage qui serait un jour, heu, gargantuesque. Il avait l’air content, tant mieux. Comme il lui demandait où était passée Hiruko, elle lui expliqua que cette dernière s’était spontanément changée en lapin, comme ça, dans la rue, et qu’il la tenait entre ses mains. Au moins, ça n’appelait pas de questions supplémentaires. Eh, dis, sinon, ne voulait-y pas aller visiter le tripot avec elle ? C’était plus drôle à deux, non ?

Des lumières envahirent les yeux de Yuriko. À peine entrée, elle avait reconnu ce bruit caractéristique ; cette rumeur faite de dizaines de voix indicibles, les chocs de la bille sur le plateau de la roulette et, au cœur des bavardages impersonnels, les exclamations de surprise ou de joie, qui à chaque fois témoignaient d’un gros gain, d’une prise de risque ou d’un quinte flush, quelque chose comme ça. L’odeur de tabac, d’anxiété et d’argent sautait aux narines dès que l’on franchissait le pas de la porte. Cet endroit était excitant comme dix rails de coke et convivial comme un Surprenez-moi, comment pouvait-on ne pas l’aimer ? Un jour, elle y amènerait la sainte, et ça la guérirait, c’était sûr. Elle se dirigea d’un pas rapide vers la roulette, mais il y avait besoin de jetons, et elle dut aller faire changer son argent au comptoir. Il fallait garder six pièces d’or pour payer Roger, il lui en restait donc un peu plus de deux. Seulement ça… Bah, pas grave, de toutes façons, elle allait gagner plein de fric, alors… Elle alluma un cigare, courut presque vers la roulette, déposa dix jetons d’argent sur la table, et annonça « le 31 », mais ce fut le 11. Double mise sur le 27, et tomba le 23. Cette fois, elle annonça le 24, en doublant à nouveau la somme. Le 11 tomba à nouveau.
Elle s’arrêta un instant pour réfléchir. Le 11 ne tomberait plus ce soir-là, en tout cas, pas avant un bon moment. Par contre, l’impair était tombé trois fois de suite ! Elle posa son unique jeton d’or, et déclara « pair. » Ce fut bon. Quelque chose lui disait que le pair allait à nouveau tomber, elle prit ses deux jetons d’or et les remit en joue. Ce fut pair, à nouveau. Tiens ? Trois impairs, et deux pairs. Pour que la boucle soit bouclée, il fallait… Oui, pair ! À présent, c’était équiprobable. Elle avait huit jetons d’or. Certes, elle pouvait tout perdre, mais enfin, quand même ! Cela pouvait tout aussi bien se transformer en seize jetons. Alors, le pair ou l’impair ? Le pair lui avait porté chance, c’était pas le moment qu’il la lâche, mais jusqu’ici, ç’avait été un ami plutôt fidèle, alors… Pair ! L’impair tomba. Et merde. Yuriko se releva et s’éloigna un peu de la table de jeu. Elle avait le tournis. Mannrig, qui n’avait pas beaucoup plus gagné qu’elle, ne tarda pas à faire la même chose, et lui proposa une partie de Poker. Que voilà une bonne idée ! Ils s’installèrent à une table avec quatre autres joueurs, et commencèrent avec dix pièces d’argent, pour n’effrayer personne. Elle perdit la première partie. Mannrig était un excellent joueur. Ils doublèrent la mise et, cette fois, elle se concentra sur les visages soucieux et les fronts plissés. La victoire échût au joueur qui se trouvait à sa droite. Il fallait le surveiller, lui aussi. Troisième partie, avec cette fois quarante jetons d’argent en jeu. Tout le monde était concentré, mais elle eut juste la bonne main qu’il fallait, et l’emporta de justesse. La partie suivante fut rapide ; elle gagna également. À présent, elle avait pas mal de thunes, et retourna à la roulette. Après quelques coups de chance, elle monta à vingt jetons d’or de gains, mais en perdit la totalité au bout de quelques minutes. Il lui restait les six cent jetons d’argent qu’elle avait gagné au poker. C’était juste assez pour payer Roger, heureusement, car la réserve de six pièces d’or qu’elle avait conservé au début n’avait pas tenu longtemps. Un instant, elle avait cru qu’il ne lui resterait pas suffisamment. Le hasard avait bien fait les choses, finalement.
Elle sortit, il faisait frais. Mannrig était juste derrière, et lui demanda combien elle avait gagné. Oh, ben, heu… répondit-elle en s’apercevant qu’elle n’avait pas fait le change. Il devait être une heure du matin, à peu près. Elle jeta un coup d’œil au sauvage. Le lapin, qui d’après lui était une lapine, sommeillait dans un pan de sa veste. Tandis qu’il allait se coucher, Yuriko retourna au tripot pour rendre les jetons et récupérer son dû, parce que tout de même, c’était plus pratique d’avoir un peu de fraîche sur soi.
Une fois ceci fait, elle retourna à l’auberge pour y passer la nuit, comme font les honnêtes gens. Cela avait été une excellente soirée, comme on en voudrait plus souvent. Cette ville était un endroit fabuleux, une perle rare ! C’était décidé, elle s’y installerait, au moins pour essayer. Elle s’allongea dans son lit, un sourire aux lèvres, paisible. Demain serait un autre jour.

Deux heures plus tard, on ouvrit la porte de sa chambre à la volée. Yuriko posa sur la commode le bouquin qu’elle avait entamé, et demanda à un Mannrig surexcité la raison de cette intrusion. Après avoir dormi une bonne heure, pour être en forme, elle avait commencé à lire le second des trois livres qu’elle avait empruntés de manière définitive à la bibliothèque de Brudge, mais voilà qu’on la dérangeait au moment où ça commençait à devenir intéressant. Des lapins enflammés pourchassant de pauvres petits lapins blancs avaient attaqué la ville de Brudge, justement ! Hein ? Comment le savait-il ? Ben, il l’avait rêvé. Mais c’était un rêve prémonitoire, sûr, et d’ailleurs, les lapins non incandescents représentaient vraisemblablement les habitants ! Oh, vraiment ? Et il y avait autre chose ? Oui, pendant que ses sbires détruisaient la ville, le lapin-sorcier incantait et disait genre qu’il était trop tard, et que l’étoile rouge de la destruction allait raser la ville. Rien que ça. Et aussi, il disait que la dame aux miracles (mémoire personnelle défaillante concernant ce rêve) n’était plus là, que c’était trop tard, et tout et tout.
Tout ceci ressemblait fort à l’apocalypse selon sainte Jedidah, surtout, il fallait pas paniquer. Une dame aux miracles, disait-il. Yuriko réfléchissait intensément. Les gens qui faisaient des miracles, on les appelait comment, déjà ? Les prophètes ? Non. Les saints ! La sainte ! Elle le dit à Mannrig, qui s’exclama que point de doute il n’y avait : la leur, de sanctifiée, avait quelque chose à voir avec ça. Il fallait donc la réveiller. Ah, au fait, il avait tué Hiruko, dans un moment de panique. Quoi ? La lapine ? Oui, quand il s’était réveillé de ce cauchemar, en sueur et effrayé par l’attaque lapinesque, il l’avait attrapée et l’avait explosée contre le mur, histoire de s’exorciser. On l’y reprendrait à faire des cadeaux, se dit Yuriko, avec une petite pensée, brève mais émue, pour l’animal. Ils montèrent l’escalier, la sainte dormait au deuxième étage, mais où ? Travail d’équipe. Yuriko frappait aux portes en passant, et Mannrig les ouvrait derrière, cherchant Skyla dans ces visages bouffis et ces grognements hirsutes. Au bout d’un moment, il s’écria « elle est là » et sa coéquipière fit demi-tour pour aller voir. En effet, elle était là.
Si le Valium avait existé, sainte Jedidah en aurait sans doute vidé cette nuit-là plus d’un tube, à voir la tête qu’elle faisait en écoutant les explications (quelque peu confuses, il faut bien l’avouer) de Yuriko et du sauvage. L’apocalypse qu’elle avait prédite était enfin arrivée ! Les lapins enflammés avaient attaqué Brudge ! Ce rêve était prémonitoire ! L’étoile rouge allait raser la ville ! Hiruko s’était transformée en lapin ! Skyla sembla réagir quelque peu à cette affirmation de Yuriko, qui regrettait déjà ses paroles. Oui, expliqua-t-elle, hier, alors que je marchais avec elle, elle s’est subitement –ne me demandez pas pourquoi- changée en lapin. Cela arrive même aux meilleurs, hein. Mais, dit la sainte, peu crédule à trois heures du matin, je l’ai vue aller se coucher en même temps que moi, ce soir même ! Ah oui ? Voilà qui serait étonnant… Elle était dans cette chambre, ajouta-t-elle en montrant une porte voisine que Yuriko ouvrit en affectant d’être sûre d’elle. Hiruko était là, dans son lit, réveillée depuis un moment. C’était pas étonnant, avec tout ce barouf. Peut-être qu’en allant vite, elle pourrait la défenestrer avant que les autres ne l’aperçoivent ? Non, c’était une mauvaise idée. Cherchant un moyen de se sortir de là sans sacrifier pour ce faire sa crédibilité, Yuriko posa son index sur sa bouche en adressant un regard éloquent à la l’asiatique ensommeillée, et referma la porte. « Je l’avais dit, elle n’est pas là. » déclara-t-elle à Skyla, l’air désolé. Mais elle insistait pour vérifier par elle-même, alors il lui fallut rouvrir la porte, et ajouter que oh, quelle surprise, mais comment qu’ça s’fait que je t’avais pas vue !?
Léander sortit de sa chambre et demanda ce qui se passait. Pourquoi faisaient-ils tant de bruit ? Il apparaissait, déclara Mannrig, qu’ils allaient sans doute devoir repartir pour Brudge. Quoi ? Alors, d’apprendre qu’une étoile apocalyptique vînt de choir, ou fût sur le point de le faire (ce qui était pire) sur une ville, ça lui suffisait pour y aller ? Ils avaient fait un voyage aussi lent que pénible, et Yuriko venait tout juste de décider qu’elle s’installerait ici. Hors de question de repartir dès maintenant pour de longues semaines, simplement pour s’assurer que oui, la mort avait frappé Brudge et que, d’ailleurs, il n’y avait plus rien à faire.
C’était décidé, elle irait elle-même là-bas, et reviendrait le jour suivant pour leur faire part des nouvelles du front. Hein ? Mais c’était impossible, dit Léander. « Impossible n’est pas Yuriko ! » répondit-elle avec une pose vraiment classe, avant de prendre les paris. Il y avait deux mille kilomètres à faire. Elle serait de retour le lendemain, même heure. Dix pièces d’argent à ma droite… qui dit mieux ? Pff… C’était vraiment une bande de petits joueurs. Heureusement qu’il y avait encore des pigeons comme Léander pour claquer leur grisbi à l’occasion dans des paris foireux.

Après une dizaine d’heures de course effrénée, Yuriko ralentit, car elle approchait de Brudge. La ville n’avait pas été remplacée par un gros cratère fumant, le ciel n’était pas noir corbeau, les charognards ne dévoraient pas les restes des habitants, il n’y avait pas trace d’une attaque de lapins enflammés ni d’odeur de chair brûlée dans l’air. Pour ainsi dire, tout semblait normal. Avec une prudence véritablement myopathique, elle s’approcha de l’une des maisons, puis la toucha du bout du doigt, avant d’oser (carrément) poser sa main dessus, puis les deux. Aucun doute n’était permis : c’était de la pierre. Une vraie maison en vraie pierre, avec du mica, du grès et d’autres impuretés, parfaitement aux normes de construction et sans rien d’anormal.
Elle fit mine de faire demi-tour, puis changea d’avis. Il fallait vérifier autre chose. Entrant quelque peu dans la ville, elle toucha de l’index l’épaule de quelqu’un au hasard. Là aussi, c’était bien de la chair, composée vraisemblablement de 70% d’eau, de sel, de sucre et de quelques carbones. Rien à signaler. L’homme se retourna et lui demanda oui ? Qu’est-ce qu’il y avait ? Rien, elle voulait juste s’assurer d’un truc. Visiblement, il la prenait pour complètement barge. Bah, pas grave.
Elle s’éloigna un peu des habitations, et commença à courir, jetant un dernier regard par-dessus son épaule à la ville portuaire. Après tout, elle aurait simplement fait un bon footing et gagné un pari, se dit-elle pour se consoler. Cette journée n’avait pas été perdue, ni particulièrement désagréable. La seule chose qu’elle regretta réellement, sur la route, c’était de ne pas avoir pris de sandwich à Brudge, mais c’était trop tard pour faire demi-tour : le challenge l’attendait.

Sans se laisser griser par le tango argentifère des cartes et des billets verdâtres, Yuriko dévala à vitesse réduite les ruelles Americhaines, direction l’auberge. Surprenez-moi colorés, danseuses dévêtues, ivrognes abattus, chevelures pailletées, volutes de fumée et paradis perdu. Cette ville était une merveille.
Elle ouvrit la porte d’un geste théâtral, puis s’aperçut que personne ne l’avait attendue, et qu’en plus, comme il était tard, ils étaient sans doute allés se coucher. Génial. Il n’y avait même pas Roger, elle l’avait raté, c’était sûr. Elle s’approcha d’un pilier de bar qui pintait dans un coin, sortit de sa poche une seringue, puis préleva vingt millilitres de graisse sur le pachyderme. Ensuite, elle vida le petit réservoir sur le comptoir et demanda une bougie allumée à la serveuse accorte dont les lèvres pulpeuses et gorgées de sang foncé articulèrent avec érotisme un « tout de suite » aguicheur et mystérieux comme un pari incertain. Yuriko se saisit du morceau de paraffine que lui tendait la lesbienne généreuse, et approcha lentement la flamme de la petite flaque de gras brun. La substance prit feu à quatre centimètres, ce qui indiquait un degré d’éthylisme proche de vingt-trois heures trente. Elle avait gagné son pari !
Après avoir monté les escaliers quatre à quatre, Yuriko tambourina à la porte de Léander, puis entra dans sa chambre pour lui annoncer qu’il avait perdu. Et pour ce qui était de Brudge ? Quoi, Brudge ? Ah, oui, Brudge ! Eh bien, dorénavant, ce n’était plus qu’un gros cratère noir. Non, c’était une blague, en fait, il n’y avait rien. Comment ça, « rien » ? La ville avait été désintégrée ?! Ben non, mais rien ne s’était passé, quoi. Brudge était comme neuve, ou plutôt pas plus délabrée qu’elle ne l’était quelques semaines auparavant… Maintenant qu’il était rassuré, le pèze, vite. En fait, Léander avait prévu de l’arnaquer depuis le début : elle avait mis moins de vingt-quatre heures à faire l’aller-retour, et d’après lui, elle avait perdu son pari. Yuriko grogna que vice de forme, il y avait et que sur les mots, il jouait, mais finit par payer, de mauvaise grâce. En ce qui concernait cette petite panique, elle était désolée, hein, mais c’était la faute de Mannrig, qui lui avait dit que c’était un rêve prémonitoire. Les rêves prémonitoires… Savait-elle qu’on commençait tout juste à explorer ce domaine de la psychologie ? De la quoi ? De l’étude des boyaux d’la tête, parce que psycho = des boyaux de la tête et logie = de l’étude. Enfin bon, si c’était un rêve montrant l’avenir, cela pouvait tout aussi bien arriver dans l’avenir, non ? Il y croyait, lui ? Oh, savait-elle, en ce moment, il était prêt à croire n’importe quoi, avec des saintes chirurgiennes qui soignaient les gens en claquant des doigts, et puis « il y a vous ! Vous revenez de Brudge, je vous rappelle ! Vous volez… ». Ah, mais non, elle, ça n’avait strictement rien de surnaturel ; tout le monde pouvait faire ça chez soi avec un peu… Bon, d’accord, avec beaucoup d’exercice. La seule différence étant la facilité avec laquelle cela s’utilisait. Certains y étaient naturellement prédisposés, d’autres non, voilà tout. Ah oui ? Cela l’intéressait beaucoup !
Au fait, Roger était revenu ? Roger ? Ernst. Ah, l’indic ? Non, mais il avait envoyé une lettre, qu’elle demande à Mannrig, c’était lui qui l’avait gardée. Ok, d’accord, elle ferait ça, répondit-elle en se dirigeant déjà vers l’escalier, avec dans l’idée d’aller réveiller le sauvage. Il était dans quelle chambre, déjà ? Ah, oui, celle-ci. Ouuh, dis, ça sentait le cadavre, là-dedans. Des taches sombres maculaient le mur du fond, et les morceaux pourrissants d’une carcasse animale jonchaient le sol. Yuriko parvint reconnaître en cette masse sanguinolente la défunte lapine et l’observa avec attention, vu que c’était encore plus fun qu’écoeurant. Ensuite, et parce qu’elle était quand même venue pour ça, elle s’approcha du chevet du pithécanthrope endormi et le réveilla d’un coup de pied, parce qu’avec un bisou ou la radio, de toutes façons, ça n’aurait pas marché. Salut, il était vingt-trois heures, et elle aurait aimé voir la lettre envoyée par Roger, s’il te plaît. Léander entra en jetant des regards affolés sur les morceaux de barbaque, ne sachant pas trop comment réagir. Mannrig sortit lentement de sa torpeur et indiqua un bout de papier (?) sur la commode, pendant que l’érudit s’approchait pour lui poser plein de questions sur sa mère et le rapport qu’il entretenait avec elle. Le sauvage se tenait la tête à deux mains, expliquant que vous savez, sa mère, il l’avait pas beaucoup connue, et que d’ailleurs il s’en souvenait même pas vu qu’il avait dû se débrouiller tout seul dans la forêt très jeune, avec les lapins…
Yuriko déplia le message. Roger disait que salut les p’tits poux, il était tombé sur quelque chose d’énorme, et ses tarifs passaient à dix pièces d’or. Ah bon. Il ajoutait qu’il risquerait sa réputation (d’indic fiable ?) dans cette affaire, et qu’il les retrouverait deux jours plus tard. Au fond, Yuriko regrettait presque de l’avoir envoyé sur cette piste. Ils en avaient eu la preuve deux semaines plus tôt, Bardley et ses potes (si ce n’étaient pas déjà des serviteurs) ne rigolaient pas. Il n’y avait qu’à espérer que l’indic’ se contenterait de risquer sa réputation, et qu’il ne ferait pas de conneries. Le message n’en disait pas plus, Mannrig, par contre… Il était en train de démontrer à un Léander ébahi que quand vous vouliez rentrer dans une ville, si vous disiez que c’était pour faire du commerce de lapins, on vous laissait passer sans problème, et que, d’ailleurs, il était sorti de la forêt parce que les lapins faisaient les gros yeux, refusaient de lui parler, etc. Il voulait trouver la solution à ce problème. D’ailleurs, c’était pour cette raison qu’il avait fait ce rêve (prémonitoire, oui, c’était sûr), il fallait absolument qu’il éradique les lapins enflammés pour se faire pardonner auprès des autres. Mais il n’était pas fou, hein, il comprenait aisément que tout cela n’était qu’une métaphore ingénieuse, et qu’il fallait trouver le message qui se cachait derrière ces symboles. À la fin, c’était Léander qui avait l’air vraiment fatigué. Yuriko s’en fut sur ces entrefaites, préférant s’éclipser avant d’y laisser trop de neurones.
Son heure de sommeil fut à peu près tranquille, rassérénée par la certitude qu’elle avait d’avoir enfin trouvé un endroit à sa convenance. Il faudrait penser à acheter une portion de ce coin de paradis, au fait. Demain. Elle n’oublierait pas. Et demain, aussi, elle préviendrait les saintes pleines de flouze qu’elle n’avait pas assez pour payer toute seule les informateurs onéreux qu’elle dépêchait pour leur pomme.

Allez. Réveille-toi. Allez. Réveille-toi. La sainte se réveilla. Le soleil était déjà assez haut. Au début, elle semblait ne pas s’être aperçue qu’elle n’était pas seule, mais au bout de quelques secondes, son regard se posa sur la porte entrouverte, et elle se figea. « Qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ? demanda-t-elle d’une voix glacée qui ne lui était pas coutumière. Dégagez.
- Oh, quoi ? C’est pas interdit, non ? » répondit Yuriko, adossée au mur qui se trouvait à côté du lit, et un peu agacée du fait qu’on lui dise de se casser avant même qu’elle ouvre la bouche. C’était vrai, tout de même, voilà comment on la remerciait de se soucier du bien-être des autres ! Peut-être qu’elle aurait préféré un réveil express avec des claques, du café, des pompes et un footing d’une petite vingtaine de kilomètres à cinq heures du matin ? S’il n’y avait que ça pour lui faire plaisir, pas de problème, ça pouvait s’arranger. Intérieurement, elle se promit qu’elle ferait ça un de ces quatre matins. « Bon, maintenant, je saurais, dit-elle en ravalant quelques insultes qui eussent été bien plus spontanées, il se trouve que j’ai engagé un informateur pour faire quelques recherches sur votre… Bardley, qui, pour être franche, me débecte un peu, moi aussi. » C’était pas bientôt fini de la regarder avec des yeux de merlan frit et légèrement courroucé de l’être ? Rester zen, ne pas la brusquer, ne pas l’insulter, ne pas lui faire de remarque désobligeante, raciste, infâmante ou justifiée. Après avoir passé une bonne partie de la nuit à faire de la relaxation, Yuriko était parfaitement calme et pacifiée, purgée de toute violence. Pourquoi fallait-il que Skyla troublât son éden à peine éveillée ? « Et, je me sens obligée (le fric, toujours le fric) de vous prévenir que, d’une part, il sera de retour après-demain soir et que, d’autre part, il a augmenté ses tarifs…
- Vous voulez de l’argent, c’est ça ?
- Ouais. Plus ou moins. Enfin, ce que je veux dire, c’est que si vous pouviez le payer à ma place, ça m’arrangerait bien, parce que… » Après tout, c’était pas elle qui avait des monomaniaques à tendances évangilophiles sur le dos, et qui était payée pour éradiquer la menace d’une apocalypse même pas avérée. Apocalypse qui, si on la prenait dans son sens littéral, était un peu n’importe quoi, mais qui, si on la prenait au sens figuré, pouvait aussi bien être un présage de guerre, non ? Tout était une question de degrés d’interprétation, comme pour ce bouquin, la bible. Skyla avait lu quelque chose. Elle, Yuriko, avait compris autre chose, et parmi tous ceux qui l’avaient lue, on pouvait sûrement trouver des points de vue incroyablement disparates. Un silence un peu gêné s’était installé. La sainte avait l’intention d’aller à l’église, comme d’autres plongent la tête dans un seau d’eau glacée à peine sortis du lit. Chacun se réveille comme il peut, mais quand même, il fallait la prévenir. Qu’elle fasse gaffe, surtout, parce que les églises, c’était plein de vieux, et hargneux, en plus. Ils sortaient surtout la nuit, mais ce n’était pas une raison pour baisser sa garde. ‘ttention, hein ?
Après s’être faite traiter de folle par la chrétienne hystérique, Yuriko descendit prendre son petit déjeuner, et retrouva à leur table attitrée un Léander encore mal remis de la psychanalyse de Mannrig. Ce qu’il avait entendu devait être plutôt dérangeant. Il fallait lui parler d’autre chose, voilà tout. Voyons voir, heu… Il avait semblé plutôt intéressé par ce qu’elle lui avait dit de l’énergie interne, aussi aiguilla-t-elle la discussion dans cette direction. Cela fonctionna très bien, un peu trop bien, même, et il redevint bientôt comme il était d’habitude, c’est-à-dire piqué d’une curiosité insatiable. Les questions fusaient. À ce rythme-là, on en avait pour l’après-midi.
En effet, on en eut pour l’après-midi, et par ailleurs, ce babillage était loin d’être inintéressant. Cet érudit était pétillant de ressources et de curiosité, empreint d’un émerveillement de tous les instants qui n’en finissait pas de la surprendre. Un émerveillement fabuleux, constant et, pour ainsi dire, juvénile.

C’était le soir. Léander avait fini par retourner dans ses quartiers, ainsi que Mannrig et la sainte. Yuriko était retournée à cette table finalement bien agréable, pour y fumer en solitaire son seul cigare de la soirée. L’onanisme pouvait revêtir bien des formes. Ses yeux étaient fermés, et leurs bords étaient plissés par un sourire. Elle se rappelait, cet après-midi, avoir vu le sauvage passer avec à la ceinture une petite sacoche aux oreilles de lapin. Finalement, un cadeau trouvait toujours une utilité quelconque. Elle attendit à sa table jusqu’à ce que les derniers petits cylindres de cendre grise tombassent lamentablement à ses pieds. Qu’attendait-elle ? Rien de particulier. Peut-être Roger aurait-il l’idée de revenir un jour plus tôt ? Peut-être un trompettiste noir viendrait-il illuminer la scène et la soirée ? Peut-être ferait-elle une rencontre fortuite mais enrichissante ? (Oui, je suis un hippie pacifiste et végétarien, j’écoute du reggae et je vous emmerde.)
Finalement, rien ne se passa ; ça aussi, c’était inattendu. Elle monta dans sa chambre, en se souvenant qu’elle avait oublié de s’occuper de l’achat à crédit d’une propriété. Il faudrait qu’elle se trouve un boulot, aussi. Plus vraiment envie de bosser en tant que tueuse à gages, même si par ici, l’offre ne devait pas manquer. Le statut d’indépendant était assez stressant et précaire, et en plus, quoi qu’on en dise, le métier était plutôt dangereux. Bah, on verrait bien, elle n’était pas pressée. Elle éteignit les bougies et s’endormit.

Une lente foule obscure se mouvait entre les murs rouges. C’était une sorte de village minier aux toits noirs, au-dessus duquel d’épaisses fumées industrielles étaient suspendues, immobiles et intimidantes. Les gens marchaient comme des somnambules : ils n’avaient pas de visage, et sur leurs faces lisses étaient imprimés des symboles rouges et noirs. Pique. Cœur. Trèfle. Carreau. Ils avançaient tous dans la même direction, tenant tous dans leur main droite, à hauteur de leur tête, une carte.
Au bout d’un moment, ils rejoignirent une grande file indienne, composée d’individus similaires. Chacun d’entre eux portait sa carte bien haute, comme un absurde trophée. Au bout de cette procession se trouvait une grande estrade de pierre, entourée de marches hautes et gardée par des bonshommes semblables aux autres, mais armés de lances pointues, ayant bien sûr la forme du symbole « pique ». Les hommes-cartes montaient sur ce piédestal à la suite les uns des autres, accueillis une fois rendus au sommet par un bouffon hilare assis derrière une table. Chacun son tour, ils posaient leur carte, que les doigts graciles de leur maître faisaient disparaître immédiatement dans les replis d’un mouchoir de soie, comme ceux des magiciens de scène. De l’autre main, il jouait avec un sceptre jaune or.
Une fois sa carte disparue, chaque porteur allait lentement se jeter dans une grande fosse qui se trouvait derrière la table, comme pour y mourir, et à chaque fois que l’un d’entre eux sautait, cette étoile rouge, dans le ciel noir de fumée, grossissait un peu plus. Sans qu’elle sache vraiment pourquoi, cette atmosphère lui semblait terriblement angoissante. Yuriko cessa de regarder l’étoile un instant, le bouffon se tenait devant elle, son sceptre à la main. Il souriait, les grelots de son chapeau firent un petit bruit. Soudain, il la frappa à la tête du bout de son accessoire doré.

Elle était en sueur, ses doigts étaient crispés sur le tissu de son lit. Au bout de quelques minutes, le noir cessa de l’inquiéter, et elle comprit qu’elle se trouvait dans sa chambre. Seul la hantait à présent le souvenir du rêve. D’une main fébrile, elle attrapa une bougie sur sa table de nuit, et l’alluma en tâtonnant. Surtout, ne pas y accorder plus d’importance que cela n’en avait réellement. Gardant cela en tête, Yuriko fouilla dans son sac et en sortit ses cartes. Le bouffon la regardait, c’était exactement le même que celui du cauchemar. Il portait un sceptre, absolument identique à l’autre. Elle fouilla un peu dans les cartes jusqu’à trouver l’as de pique. Le dessin était, là aussi, le bon. Ouh, là, attention au danger de l’interprétation abusive : quand on cherchait des coïncidences, le plus souvent, on en trouvait. Et cette étoile rouge… C’était troublant, mais il ne fallait pas se laisser gagner par cette folie de la superstition. Elle frissonna légèrement. Si elle commençait à prendre toutes les similitudes pour des signes, elle ne mettrait pas longtemps à finir comme cette sainte. Tout mais pas ça. Cela faisait trop longtemps qu’elle jouait avec le même jeu, il faudrait en changer, voilà tout.
Enfin bon, à présent qu’elle était réveillée, que faire ? Un peu de course à pied ? Non, pas envie pour le moment. Yuriko se saisit du livre qu’elle avait commencé l’autre jour, et retrouva sa page. Il lui en restait environ un tiers, mais elle ne parvint pas à se concentrer dessus avant un bon moment, car l’image du bouffon et de l’étoile rouge ne voulait pas la quitter.
Au milieu de la nuit, elle entendit un pas traînant dans l’escalier, leva les yeux de son bouquin, et les rabaissa. Un pochetron qui allait dormir, sans doute. Elle déduisit du nombre de pages qu’elle avait lues qu’il s’était écoulé environ une heure. Les bruits cessèrent quand le soudard s’écroula, pas très loin de sa porte. Yuriko soupira imperceptiblement, plia la page à laquelle elle était rendue, et se leva. On n’allait pas le laisser comme ça, quand même. Au moins fallait-il l’aider à se traîner jusqu’à sa chambre. Après tout, il n’avait certainement pas fait exprès de l’interrompre juste au début de l’avant-dernier chapitre ; elle n’avait pas de bonne raison de lui en vouloir outre mesure.
Yuriko fit un premier voyage sans prendre de lumière, ouvrit sa porte et s’aperçut qu’il faisait noir. Une respiration rauque émanait de l’obscurité. Comme ce n’était pas super pratique, elle fit un aller-retour express, puis un autre plus lent, car le premier avait éteint sa bougie. Dans le couloir était étendu face contre terre ce qui semblait être un homme habillé de vêtements sombres. Elle s’approcha, s’accroupit à côté de lui et posa la main sur l’épaule. Sous ses doigts, c’était moite. Ouh, là, ça lui rappelait quelque chose, ça, et pas de bons souvenirs. Si on ajoutait à cela que l’homme affalé ne traînait pas avec lui l’odeur caractéristique d’alcool et de sueur que laissent dans leur sillage les gens beurrés, il y avait de bonnes raisons de penser que ce n’était pas la boisson qui l’avait mis dans cet état. Yuriko regarda sa main : c’était bien ce qu’elle craignait. La paume était rouge.
Assez maladroitement, elle retourna le corps inerte. C’était Roger, et dans un sale état. Il avait pas mal d’entailles au niveau du visage, et une auréole de sang s’étendait sur le sol, derrière lui. Beaucoup de trous pas naturels du tout avaient pris place sur le buste et les membres. Merde ! Merde ! Il se vidait de partout ! Yuriko paniquait, pensa à lui transmettre son énergie pour le soigner, mais ça n’aurait jamais suffi ! Elle pouvait aider à la réparation, pas rafistoler un puzzle pareil. Pas besoin d’être médecin pour s’en apercevoir : c’est un miracle, qu’il lui aurait fallu. Hé, un miracle ?!
Quelques secondes plus tard, une porte qui se trouvait à l’étage juste au-dessus s’ouvrit d’un coup, et une sainte fut attrapée par les deux épaules, puis secouée sans ménagement. « Réveille-toi, réveille-toi, debout, allez ! Il va crever. » Skyla ouvrit des yeux fatigués, vit la personne qui l’avait réveillée, et s’emmitoufla dans ses couvertures en se tournant dans l’autre sens, comme pour échapper à un mauvais rêve. Elle ne comprenait pas ! C’était vraiment important ! Yuriko, à bout de patience, attrapa deux pans de la couverture de l’endormie, se fit un baluchon, et sortit en courant de la chambre, avant de dévaler les escaliers, d’ouvrir son paquetage en face de Roger étendu, et de redresser à bout de bras la sainte éméchée, mais réveillée. « Maintenant, c’est le moment de faire un miracle, je compte sur vous. » dit Yuriko sans cacher son anxiété. Avec une certaine réactivité, appropriée à la situation, Skyla se jeta sur le blessé, et commença à lui prodiguer les premiers soins.
Bientôt, les coupures au visage commencèrent à se refermer, et la chirurgienne annonça d’un ton professionnel qu’il était stabilisé. Etait-il encore en danger de mort ? Impossible de le savoir sans lumière, mais il y avait… merci, dit-elle à Yuriko, qui venait de poser deux bougies allumées à proximité du blessé. Dans tous les cas, des organes internes avaient peut-être été touchés, pour s’occuper un peu de ça, elle aurait besoin de son matos. Roger tenait serré dans son poing ce qui semblait être un bout de papier. M’enfin, c’était pas la priorité. Attendez ! Ce type était vraisemblablement poursuivi par ceux qui l’avaient mis dans cet état ; ces derniers pouvaient être au rez-de-chaussée, ou dans la rue, et débarquer à tout moment ! Ah, oui, pas faux ça. « Ma chambre est là, venez, on va l’y mettre.
- Doucement. Prenez les épaules, mais avec délicatesse. Voilà. » Elles le posèrent sur le lit. Et maintenant, ajouta Skyla, elle n’avait plus qu’à prendre un morceau de tissu quelconque et à effacer les traces de sang dans le couloir. Pourquoi faire ? Mise en situation : vous recherchez cet homme, vous l’avez blessé, et des traces de sang vous amènent jusque devant une auberge, puis vous conduisent à la porte d’une chambre du premier étage. Ah, d’accord. Et puis non, finalement, allez d’abord me chercher mon matériel. Une dizaine de secondes passèrent, puis une sacoche pleine de scalpels, compresses et bistouris atterrit à proximité de sa propriétaire, qui ne prit même pas la peine de remercier son esclave d’un jour, et retroussa ses manches avant d’attraper ses outils.
Le sauvage dormait paisiblement, dans une posture qui eût semblé inconfortable au commun des mortels, mais qui seyait parfaitement à cet homme des cavernes. Elle le réveilla avec une bonne grosse claque pour se calmer les nerfs, puis lui expliqua à toute vitesse que se lever, il fallait, car du danger, il y avait. Devant le mur d’incompréhension auquel elle se heurtait, Yuriko répéta avec lenteur et application que Roger était revenu, qu’il était blessé, peut-être poursuivi et que, subséquemment, elle attendait de lui, Mannrig, qu’il aille voir au rez-de-chaussée pour s’assurer que l’indic’ n’avait pas été suivi. Ça Y’en avait être bon.
Après quoi elle courut vers la chambre de Léander, pour lui hurler dans l’oreille : « venez voir, une opération de Battista ! » L’érudit était parfaitement réveillé, maintenant, elle pouvait lui dire que non, en fait, c’était une blague, mais qu’il y avait un blessé et peut-être des tueurs en bas, alors, s’il pouvait aider d’une manière ou d’une autre… Elle ? Eh bien, elle allait faire la femme de ménage portugaise, puisqu’on le lui avait demandé si gentiment. Ce disant, dans le couloir, elle déchira la couverture dans laquelle elle avait transporté Skyla, et essuya le gros du sang avec l’eau de la bassine qui se trouvait dans sa propre chambre. Ensuite, et quand la tache humide ne se différenciait plus (si ce n’était par l’odeur) d’une flaque de vomi qu’on aurait essuyé, Yuriko déchira un autre morceau de couverture, plus petit, et entreprit d’essuyer les petites gouttes que Roger avait laissé en bas et dans la cage d’escalier.
Au rez-de-chaussée, il n’y avait personne d’autre que Mannrig. Quelle heure pouvait-il bien être ? Où était le gérant ? En suivant et en essuyant les traces de sang, elle parvint à la porte, et jeta un œil dans la rue. Personne. Mannrig regardait aussi, et se tourna vers elle en faisant non de la tête. Ouf ! Elle s’autorisa enfin à se départir d’une part de son anxiété, et contourna le bar. Bientôt, le verre tinta alors qu’elle attrapait parmi les alcools forts une bouteille verte fluo, dont le volume élevé était plutôt bienvenu. Elle remplit un verre de cette mixture explosive, et monta les escaliers en notant au passage que les quelques gouttes qui s’échappaient de son récipient creusaient des trous dans le bois des marches.
Arrivée dans sa chambre, et voyant que Skyla avait recousu la brioche de Roger, Yuriko s’approcha du lit et tenta de verser une petite lampée de la boisson dans la bouche ouverte du convalescent, mais la doc’ l’en empêcha en demandant qu’est-ce que c’était que ça. Ben, c’était un remontant, quoi. De l’alcool ? Pour l’instant, elle préconisait surtout un maximum de repos. Il avait perdu beaucoup de sang, et elle ne savait pas si le foie et la rate avaient été touchés. Le foie ? Oui, vous savez, quand on boit trop, on peut être malade et avoir mal à cet endroit-là… Ah, la tête ! Pff, les médecins et leur précieux jargon, quand même…
Léander avait récupéré le papier que Roger tenait dans son poing, et le montra à Yuriko en prévenant que c’était assez obscur. En effet, il y avait des noms, des flèches, des points d’interrogation, et le tout était plutôt confus. Ce type aurait dû s’exercer un peu à la prise de notes. Sans doute serait-ce plus clair avec des explications mais, en tous cas, il méritait visiblement ses dix pièces d’or. Elle redescendit, puis descendit deux verres du liquide fluo, en compagnie de Mannrig, avant de lui raconter son cauchemar. À la fin, le sauvage sembla assez troublé par l’étoile rouge et les cartes qui disparaissaient, et dit que bordel, deux étoiles rouges dans deux rêves différents, c’était suspect ! Au fait, où était le gérant ? Le gérant ? Ah, oui, le gérant. « Il est parti quand je suis arrivé.
- Parti ? Tu lui as fait quoi ?
- Mais rien…
- Bon. Autre chose ?
- Ouais. Un client.
- Et tu lui as donné une chambre, je suppose ?
- Ben oui, mais après, il est descendu…
- Quoi, tu l’as descendu ?! »
Enfin bon, ça commençait à s’embrouiller grave, et Mannrig finit par retourner dormir, incompris de tous, et peut-être même de lui. Yuriko ferma la porte avant d’aller chercher dans les casiers du personnel s’il n’y avait pas un vêtement qu’elle pourrait endosser pour la nuit, mais il n’y avait que des costumes pour homme, la serveuse accorte citée plus haut étant, dans la réalité de cette fiction, inexistante.
Après avoir mis beaucoup de désordre dans les costumes de groom, les trois-pièces, les cravates marron et autres nippes professionnelles, Yuriko résolut de remonter voir la doc’ et son patient. Dans sa chambre, Léander, observait avec un plaisir visible Skyla fouiller dans les tripes sanglantes d’un Roger que, visiblement, elle avait bien fait de ne pas réveiller. L’activité de la sainte confirmait que oui, un chirurgien, ce n’est qu’un boucher avec un diplôme. Et en plus, c’était sale. Comment pouvait-on soigner quelqu’un en l’ouvrant comme une carcasse de bœuf ? Alors, avis aux médecins et aux érudits : on allait pas trop moisir ici, parce que 1) c’était pas discret, 2) le sauvage avait fait fuir le gérant et un des clients, ou pire, et 3) ils avaient, pour au moins la moitié d’entre eux, un signalement assez simple à retenir. Okay, d’accord, on allait trouver quelque chose pour transporter le blessé, et puis on était partis.
« Réveille-toi, on s’arrache », dit Yuriko à un Mannrig qui venait à peine de retrouver son lit, en lui donnant une claque sur l’autre joue parce qu’il la méritait. (Au moins pour le lapin.) Véritablement désespéré, il se leva pour rejoindre les autres et aider Léander à bricoler une civière en démolissant le lit. Une fois ceci fait, ils sortirent dans la rue en transportant plus ou moins délicatement Roger, qui était toujours inconscient. Léander et Mannrig tenaient la civière, et Skyla râlait après cette jap’ qui avait remis les lambeaux de couverture ensanglantés dans sa chambre. Il fallait au moins changer de rue, mais pas la peine d’aller trop loin. La nuit devait être bien avancée, et pourtant, il y avait encore du trafic. Des gens isolés passaient de temps en temps à côté d’eux, sans ralentir, jetant simplement un regard un peu fouineur sur le convoi suspect. Yuriko était nerveuse, d’autant plus qu’ils étaient obligés d’avancer très lentement, selon les conseils du médecin. D’ailleurs, ce médecin était en train de lui expliquer qu’à voir les blessures, celui qui l’avait agressé était armé d’un poignard, mais surtout d’une force titanesque. Des ravages si nets et si profonds avec une lame courte, c’était à peine croyable ! Le genre de coups qui broie les os et arrache les organes en même temps qu’il découpe la chair. Skyla ajouta que même baraquée comme elle était, c’était pas elle, Yuriko, qui aurait pu faire aussi mal avec un poignard ou une dague. Regardant du coin de l’œil l’informateur amoché qui avait finalement risqué bien plus que sa réputation, elle se demanda s’ils avaient maintenant des raisons d’avoir peur. Il fallait espérer que ceux qui l’avaient mis dans cet état n’aient pas cherché à en savoir plus, et aient simplement tenté de réduire au silence ce petit bonhomme trop curieux sans se poser de questions. Si ce n’était pas le cas, ils avaient peut-être déjà tous les quatre, et elle la première, une grosse somme sur la tête.
Ils finirent par arriver en face de l’enseigne d’une autre auberge. Elle frappa à la porte et attendit, en essayant d’oublier les regards inquisiteurs des passants noctambules. La porte s’ouvrit dans un grincement sinistre, une masse sombre bougeait à l’intérieur et s’approchait. La lueur de la lune se répandit sur un visage creusé par les années, comme une face de plâtre qu’on aurait lacéré avec un couteau. L’éclairage faisait ressortir le rictus jaunâtre et les canines pointues du vieil homme, en même temps qu’il révélait des cheveux blancs et une peau granuleuse, trouée et cadavérique. C’était la nuit : ils revêtaient leur véritable apparence.
À toute vitesse, (même si moi j’ai mis plus de temps à tilter) Yuriko attrapa la poignée et referma la porte, avant de mettre ses pieds contre les murs pour avoir plus de force et bloquer l’huis ainsi clos. « Allez-y, dépêchez-vous, je vais essayer de le retenir ! » cria-t-elle aux autres. Skyla leva les yeux au ciel, puis montra une enseigne voisine vers laquelle ils se dirigèrent. Une fois qu’ils furent tous rentrés, Yuriko lâcha sa porte et courut les rejoindre. Cette fois, elle était passée à deux doigts de se faire avoir. Ils étaient vraiment partout, même ici. Surtout, ne jamais relâcher sa vigilance, ou c’était la mort assurée.
La tenancière de l’autre auberge était fort sympathique. D’ailleurs, à bien y regarder, c’était pas vraiment une auberge, plutôt un bordel. Tant mieux. Quand on traquait un blessé, la première idée qui venait à l’esprit n’était pas de faire la tournée des lupanars, si ? Bon. La patronne n’avait pas de chambre, jusqu’à ce que Mannrig lui fasse voir la couleur de son or, et lui explique que leur présence ici n’avait rien de public. Elle tira sur son fume-cigarette, et répondit avec la voix de Tom Waits au lendemain d’une cuite qu’il n’y avait pas de problème, si ces messieurs dames voulaient bien la suivre… La sainte était visiblement désolée de son erreur, mais ne pipa mot jusqu’à la chambre, que la propriétaire vida de ses occupants pour eux. Un client débarrassa le plancher en protestant, suivi d’une prostituée surprise d’être ainsi dérangée dans l’exercice de ses fonctions. À l’intérieur, il y avait un sacré bordel (justement), des vêtements étaient répandus par terre autour d’un lit défait, et il y avait plein de matériel pour se déguiser/ se maquiller/ se perruquer/ forniquer. Chouette ! Yuriko essaya une perruque blanche poudrée qui lui allait moyennement. Evidemment, la sainte fanatisée ne se contint pas plus longtemps, et commença à s’offusquer du manque de tenue du personnel et des traces blanches au sol. Oh, hé, c’était elle, le médecin, non ? Oui, mais elle restait femme avant tout ! Tiens, c’était marrant, elle, elle aurait dit chrétienne avant tout. Ou plutôt, dans cet ordre : Chrétienne, médecin, individu de sexe féminin puis être humain… C’était bon, là ? Qu’elle garde pour elle ses remarques ineptes !

Suite dans un mois, ou peut-être moins, faut voir.

samedi 25 juillet 2009

Ecrits d'une mentaliste intérimaire.

17/07/2009

1er Mai 98x

Je crois qu'il est mort.
Vraiment mort...

Mes tentatives pour le réanimer avec de l'énergie semblent sans effet, et les autres restent les bras ballants.
''Paola'' finit par se décider à l'examiner sur ma demande alors que Myllenia se sent obligée de sortir un commentaire bien senti, mais néanmoins tout à fait adapté au pathétique de la situation : ''Non, mais quel con !''.
Et pendant ce temps, l'eau qui composait le soi-disant ''garde du corps'' continue de se répandre dans la pièce...

Mais n'est pas médecin qui veut et Paola se redresse bien vite du corps toujours sans vie de Max en le faisant savoir. Voulant bien faire et paraître plus efficace, Nero ne trouve rien de mieux que de lui assener de paires de claques, comme si cela pouvait suffire, avant de se faire écarter vigoureusement par la paladine.
Son verdict est bref et sans appel, Max est bien mort...

$NOM qui en a terminé avec les volets depuis quelques instants nous regarde d'un air passablement énervé, charge le corps de Max sur son épaule, et redescend l'escalier, suivi de Néro, Myllenia et Virgil.
Paola nous retient Kurt et moi pour discuter de ses intentions. La première est d'essayer de se faire passer pour Max à l'aide de sa magie d'illusion vis-à-vis de l'ordre de Magus, ce à quoi j'objecte qu'ils sont probablement suffisament doués pour découvrir sa manoeuvre très facilement. La seconde, réjouissant notre assassin de service, consiste simplement à régler son compte à notre ''hôte'' pour qu'il ne puisse pas prévenir l'Inquisition.
Tous des dingues. Je préfère aller vérifier ce qu'il se passe en bas.

Effectivement, j'avais raison d'avoir peur, car si voir un de ses amis se faire tuer par une espèce d'ombre est difficile, voir ce même ami mort se faire fourrer des gousses d'ail dans la bouche sur une table de cuisine, puis se faire coudre les lèvres par un grand type baraqué marmonnant que c'est pour empêcher les morts de se relever, c'est autrement plus dérangeant, n'est ce pas ?
Nerveusement, c'est trop pour moi et Virgil. Non, pas de crise de nerfs, juste le sentiment que notre tour viendra aussi, et bien plus tôt qu'on ne le voudrait...

$NOM en ayant terminé avec ses procédés destinés à rendre la mort définitive, se retourne vers nous et nous explique de sa manière affable habituelle, rendue encore plus froide depuis les évènements récents, qu'il est trop tard pour retourner dormir, et que dès l'aube, nous avons intérêt à nous casser avec le corps et le reste de nos affaires.
Aube que nous nous mettons à attendre dans un silence de mort, troublé seulement par les hurlements lugubres du chien, enfermé dans une autre pièce de la maison.

L'attente ne durera qu'une longue paire d'heures. Une vérification rapide dehors pour constater que les roulottes et les chevaux vont bien, et nous préparons notre départ. Un passager de moins, et un sac en plus...
Avant de partir, Nero dépose ''discrètement'' une bourse contenant dix pièces d'or à l'attention du maître des lieux, ladite bourse qui lui revient en plein visage quelques secondes plus tard. Mieux vaut partir maintenant...

Durant la matinée, le groupe discute de ce qu'il convient de faire du cadavre du magicien. Le garder pour le ramener à Archange est rapidement exclu, trois autres possibilités sont envisagées : l'enterrer, l'incinérer, ou le balancer dans un lac ou équivalent. C'est finalement la dernière option qui est approuvée, et appliquée le midi, dans un étang sympathique, du moins par rapport aux critères du Moth. Myllenia s'occupe de préparer le corps pour éviter qu'il ne remonte à la surface de l'eau en le lestant, puis en l'emballant à l'aide d'une couverture et d'une corde. Un grand plouf, et puis plus rien, on fait mieux comme oraison funèbre.
Au moins, il repose dans son environnement de prédilection. Et puis, c'était de sa faute.

Durant la nuit, Virgil fait de nouveau un cauchemar, dans lequel il voit Max avancer, entouré par des flammes noires, titubant et poussant des hurlements qui pourraient êtres de rage ou de terreur, avant de disparaître au milieu des arbres.

2 – 6 mai

Rien à signaler de particulier, route, pluie un jour sur deux.

6 mai

Vers les dix-huit heures, nous arrivons dans un hameau nommé Jaarenghäff, d'environ mille deux cents habitants. Étrangement, le village est littéralement construit sur un marais, à l'aide de pilotis. Apparemment parce qu'ils vivent de la culture d'un végétal lié à ce marais.

Qui dit ville dit recherche d'auberge, et nous continuons selon nos habitudes. Le choix est vite arrêté, Jaarenghäf n'en comptant qu'une seule...
A l'image de ses compatriotes et du pays, Grigory, le gérant semble morne, et c'est plus qu'une impression.
Je décide de m'occuper des négociations. Oui, il y a de la place pour six personnes, oui, il peut nous faire des rations à emporter pour le lendemain, non, il n'y a pas d'écuries, oui, nous pouvons avoir de l'eau pour nous laver, cela fera six pièces de cuivre, non, la pièce d'or lancée vivement sur le comptoir par un Virgil enthousiaste, c'est beaucoup trop...
On voit bien que c'est pas lui qui se coltine des migraines quatre fois sur cinq en tentant de modifier la structure profonde de la matière. Entraînant l'incinérateur en puissance et sa pièce d'or à l'écart, je paye l'aubergiste avec dix pièces de cuivre en lui demandant de préparer des baquets d'eau pour moi et Paola rapidement.

Le virtuose martial, tout content d'avoir des disciples, demande alors à Grigory l'autorisation de s'entrainer cette nuit DANS l'auberge, parce que dehors il fait nuit et que c'est boueux. Craignant pour son mobilier, et semble t-il aussi pour le salut de son âme, le tenancier rétorque que non, cela ne va pas être possible, que cela ne se fait pas, qu'en plus nous ne semblons pas être de bons croyants et qu'il ferait mieux de sortir.
C'est vrai ça, ce n'est pas que j'y crois vraiment, mais bon le coin semble tellement malsain qu'il vaut mieux être prudents, on ne sait jamais. Petite pensée rapide vers Nero l'invitant à prendre la porte au sens figuré, sous la menace de terribles sévices mentaux à l'encontre de sa personne s'il persiste à nous faire passer pour des cas sociaux. Le message est passé, il sort et j'en profite pour demander à Grigory s'il peut nous procurer croix, eau bénite et autre attirail de protection contre les esprits en tous genre. Cette demande semble le rasséréner sur notre moralité, du moins la mienne et il se propose d'aller voir le prêtre pour aller nous chercher cela, en échange d'une substantielle donation pour la paroisse. Une pièce d'argent semble suffisamment substantielle pour qu'il y aille immédiatement.

Ce genre d'affaire est rondement menée dans le Moth car nous le voyons revenir quelques minutes plus tard avec un petit flacon en bois d'eau bénite et six chapelets dotés de crucifix. J'en enfile un, en donne un autre à Virgil à sa demande, et empoche le reste.

Notre eau nous est finalement apportée, enfin, disons tirée directement du puits et mise en baquet, autrement dit bien fraiche... Ma question sur la possibilité d'avoir de l'eau chaude, car c'est quand même plus agréable, le lance dans un dialogue sur les dangers de se laver autrement qu'à l'eau froide.
Bon d'accord, dis-je pour couper court à cette discussion perdue d'avance, l'eau froide ça ira très bien, tout en pensant qu'une légère concentration de ma part suffira à porter l'eau à la température souhaitée, ce que Paola a bien compris elle aussi.

Repas rapide (tellement rapide que je crois qu'on n'en a même pas parlé).

A la fin du repas, je décide d'aller vérifier ma chambre, pour m'apercevoir que ce n'est qu'un dortoir commun. Pas grave, pour le prix que j'ai payé, je ne vais pas demander un remboursement, je vais plutôt aller dormir dans ma roulotte. J'en profiterai aussi pour lire tranquillement ce livre étrange ; il doit bien avoir une utilité.

Sur le chemin, les roulottes ayant été placées près des arbres, à environ trois cents mètres de l'auberge, je croise Nero et Virgil en train de s'entrainer à la lueur des torches. J'espère qu'ils ne vont pas faire trop de bruit, je n'aime pas être dérangée quand j'étudie. Un moment j'envisage même de couper le lien mental qui me lie à l'ancien clochard, mais je me ravise. Il peut arriver tout et n'importe quoi par ici...

Sensation étrange que de lire ce livre, enfin si on peut dire lire, vu que le texte semble littéralement me sauter aux yeux avant de disparaître, tout cela sans que je n'y comprenne quelque chose. Néanmoins j'ai l'impression que cela n'est pas inutile, sans pouvoir l'expliquer.

Malheureusement, à peine arrivée à la onzième page, Néro me contacte mentalement pour m'appeler à l'aide. Il revoit le fantôme de la fillette croisée la semaine précédente, après qu'il ait fouillé sa tombe... Au départ peu disposée à voler à son secours, je finis par lui ouvrir ma porte, me disant que ce n'est pas ce soir que je pourrait lire en paix, entre Néro tambourinant à la roulotte et Virgil répétant en boucle de son côté ''j'ai peur, j'ai peur, j'ai peur...''. Pas de fantôme en vue, ''il n'y a que moi qui peut la voir, et elle veut que je devienne son grand frère '' m'explique t-il en tremblant.
''Passe moi un de tes livres, elle m'a demandée de lui raconter une histoire''
Bon... pourquoi pas, je lui prête mon livre de contes sur le Moth, bien que ce ne soit pas vraiment le genre de lecture à conseiller aux enfants, mais question histoires, je n'ai pas vraiment mieux.

Ne sentant pas de danger de mort immédiat, je reverrouille mon cadenas et étudie l'espace d'un instant la possibilité de me replonger dans ma lecture. Idée vite abandonnée, car entendre quelques instants plus tard la voix blanche de ''l'homme qui rêvait de voir un fantôme'' tenter de raconter l'histoire du Coucou ferait sombrer n'importe qui dans la dépression...

Mais pourquoi fais-je des voyages avec ces gens là ?

Publié par Doctor B le 20/07/2009.

mardi 21 juillet 2009

Les brumes de Walpurgis.

10/07/2009

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines… Au pied d’un mur haut comme trois hommes et délicat comme un bunker, des miliciens patrouillaient dans le plus grand sérieux. Ce rempart entourait un cimetière gigantesque, un des trois de la ville, qui abritaient à eux seuls la quasi-totalité des cadavres produits par Torda au cours de son histoire. Et il y en avait ! En moyenne, depuis la fondation, un fléau ravageait les constructions et/ou les habitants tous les cinquante ans, et jamais le même, de surcroît…
Ce cimetière avait un certain charme, propice aux poèmes morbides ou aux inspirations désespérées surgissant parfois lors de ces brunes si particulières qui voilent de mauve et de rouge le ciel du nord continental. Mais les murs, les murs ! On aurait dit qu’ils cherchaient à être plus dissuasifs et plus sombres encore que les tombes sur lesquelles ils veillaient. Une sobriété coercitive et intimidante, prévue pour éviter que les gens y rentrent autant, peut-être, que pour éviter que des choses en sortent. (Quelque chose à mi-chemin entre Guantanamo et le ghetto de Varsovie, mais sans barbelés électrifiés autour ni juifs encore en vie à l’intérieur.)
Après avoir laissé un pucelage inutile à une prostituée qui n’en avait que faire, Néro s’en était allé rôder près du cimetière le plus noir de la ville. Il commençait à se faire tard, mais la lumière déclinante du soleil jetait toujours son feu sur de gros nuages lourds, annonciateurs d’une nuit couverte. Quoique le plus gros de la pluie se fût écoulé, il subsistait un crachin froid et constant qui s’insinuait sous les vêtements pour mieux geler les articulations. Ce soir-là, l’envie d’aller fouiner dans cet endroit fantasque, dans ce lieu de naissance de toutes les superstitions, l’avait pris à la gorge. D’abord, il avait demandé l’autorisation d’entrer aux gardes postés devant les grilles, mais ces derniers lui avaient signifié très clairement que le cimetière était interdit d’accès pendant la nuit, et déconseillé aux promeneurs en règle générale. Visiblement, ils l’avaient pris pour un vrai malade. Ici, personne n’était censé se trouver encore dehors à la tombée de la nuit, alors, que quelqu’un veuille aller visiter un endroit pareil à cette heure-ci, c’était inconcevable…
Qu’importe ! Néro n’avait besoin ni de porte, ni de l’assentiment de qui que ce soit pour entrer. Et puis, ce qu’il recherchait était sans doute ce que les habitants craignaient le plus : des fantômes, des morts-vivants, ce genre d’aberrations. Il en avait une curiosité maladive, de celles qui poussent les enfants à mettre les doigts dans le mixer pour voir si ça fait vraiment mal et, devant l’absence de douleur, à le mettre en marche, histoire d’en être bien sûr. Il avait donc gravi les hauts murs, en s’isolant de la gravité terrestre par la manipulation de son énergie interne. Le seul objet dans l’univers qui l’attirait était à ce moment-là cette paroi de pierre. Il pouvait marcher dessus, littéralement, sans risque de chute.
À présent, il errait entre les tombes, modestes ou onéreuses, en pierre érodée ou en métal oxydé. Même les caveaux familiaux et les mausolées collectifs ne suffisaient pas à faire suffisamment de place aux morts qui s’amoncelaient en tas ; en sépultures superposées. Les nouvelles tombes prenaient place par-dessus les anciennes ; les nouveaux cadavres recouvraient les anciens squelettes, et l’ensemble donnait l’impression d’être plein à craquer, ce qui était sans doute le cas.
Le profanateur noctambule s’approcha de l’entrée d’une crypte, et descella la dalle de marbre qui en interdisait l’accès en y injectant violemment une part de son énergie. À l’intérieur, il n’y avait rien, sinon des tiroirs pleins d’ossements puants. Pas de fantômes dans le coin. Il cherchait depuis une heure, déjà, et c’était le deuxième caveau qu’il ouvrait, sans succès. Mais enfin, quand même, les gens avaient bien peur de quelque chose ! Ils ne se cloîtraient pas chez eux toute la nuit sans aucune raison valable, si ? De dépit, il donna un coup de pied dans un pot de fleurs, notant au passage que la plante (ce qu’il en restait) avait pourri à cause de l’humidité, et s’en retourna vers le mur.
Il monta dessus, mais ne redescendit pas immédiatement. Il faisait nuit, et même s’il y voyait parfaitement, il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où se trouvaient les autres. Dans une auberge, probablement, mais laquelle ? Il n’y en avait pas qu’une. Et puis, Nalya ne lui parlait plus dans sa tête, et il ne pouvait donc pas lui demander de l’orienter. Apparemment, son truc ne fonctionnait plus quand on était trop loin. Enfin, il valait mieux ne rien capter du tout que de capter des paroles vous poussant au suicide. Il frissonna légèrement, sans savoir si c’était à cause du froid ou à cause de ce souvenir. Tout de même, c’était assez effrayant. Les murs étaient surplombés d’une grille à bouts pointus, dont Néro détruisit tout un pan à l’aide de son énergie pour pouvoir s’asseoir tranquillement. Il passerait la nuit là, faute de mieux.
Du moins, c’est ce qu’il croyait. Au bout d’une demi-heure seulement, un milicien le héla. Qu’est-ce qu’il foutait là-haut ? Il regardait les étoiles ? Plaisanterie stupide dans la mesure où le firmament était cette nuit-là sous-couché d’une large épaisseur de nuages sombres, empêchant les rêveurs de compter les constellations. Néro se redressa dans un soupir, et sauta, atterrissant sans un bruit à côté des trois abrutis qui l’avaient dérangé. « Si je venais du sud et que j’arrivais à Torda, où trouverais-je une auberge ? » demanda-t-il à un milicien qui, surpris, indiqua vaguement une direction du doigt, avant de s’en retourner à sa patrouille avec ses collègues.
Bon, eh bien puisque c’était comme ça, il allait essayer de les retrouver. Les ruelles étaient humides, sombres et silencieuses. Pas un chat. Mais de quoi pouvaient-ils bien avoir peur, tous ? Ah, que n’aurait-il pas donné, lui, pour voir un fantôme… Ses pas résonnaient sur ces pavés inégaux dans un petit bruit sec et régulier, comme un métronome réglé sur la vitesse la plus lente. (Quand le balancier est en haut de la réglette) Malgré l’impression qu’il avait d’avancer de moins en moins vite et de se perdre un peu plus à chaque pas, il finit par déboucher dans une allée légèrement plus large que les autres, sur les bords de laquelle des enseignes oscillaient faiblement au vent mauvais de la nuitée. Eh bien ici, il y en avait, des Auberges, mais l’une des enseignes était étrange… D’ailleurs, à bien y regarder, ce n’était pas une enseigne, mais un drap qui pendait à une fenêtre, et qui touchait le sol. Plusieurs draps, même. Noués entre eux. Peut-être une jeune fille s’était-elle enfuie à la faveur de la nuit pour échapper à des parents trop honorables pour tolérer les amours volubiles des adolescences endiablées ? Non, y’avait peu de chances, surtout par ici.
« Salut, fit une voix, on se demandait où tu étais. » Néro sursauta et se retourna vivement, pour s’apercevoir que c’était Virgil, qui déboulait d’une rue adjacente. Au lieu de débagouler sur lui un chapelet d’injures inconvenantes comme il l’aurait mérité pour s’être signalé de manière aussi flippante, Néro lui demanda où il était allé, avant de remarquer à quel point le sorcier était pâle, et d’ajouter « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Ben, heu, il était allé se balader, quoi. Et puis, pour ça, il avait fait le mur, quoi, parce que sinon, ici, on vous laisse pas sortir. Et alors, dans une ruelle sombre, comme ça, sans raison, quoi, il avait eu mal au bide et s’était mis à vomir des trucs sombres, qui s’étaient enfuis avant qu’il puisse essayer de les ravaler, quoi. Et c’était pour ça qu’il avait perdu, heu… les charmantes couleurs qui le caractérisaient depuis quelques temps ? À l’évidence, oui, mais il avait encore les yeux noirs, et une large tache sombre lui dévorait toujours la poitrine…
Au moins, se dit Néro pendant que Virgil remontait dans sa chambre, maintenant, il savait quelle était la bonne auberge. Il grimpa sur le toit dans le plus grand silence, et s’y assit pour attendre le jour. Ce n’était pas encore cette nuit-là qu’il verrait des revenants.

C’était un peu chiant de ne pouvoir partir qu’au soir, pour attendre que le carrosse qu’avait commandé Nalya soit livré avec ses chevaux, mais bon, on ferait avec. Et puis, comme ça, ils avaient plus de temps pour dénicher les praticiens occultes du coin. Ils savaient sûrement où on pouvait trouver le lieu décrit dans le livre de Virgil, nécessaire à sa cure, puisqu’ils habitaient ici. Normalement, avec l’hameçon illusoire qu’elle avait mis en place, ils n’auraient pas dû tarder à mordre, mais ils ne s’étaient toujours pas pointés. Y’avait pas de lait, ici, pour le petit déjeuner ? « J’ai déjà demandé, dit Virgil, maussade, ils disent que c’est indigeste d’en boire le matin. » En tout cas, lui, il allait mieux. Il avait repris des couleurs à peu près humaines et, même si ça ne durerait pas, c’était encourageant. Par contre, ce qui l’était moins, (encourageant) c’est les êtres noirs qu’il disait avoir vomi, cette nuit-là. C’était malin, ça ! Et si il s’était transformé, il aurait fait quoi ? On n’avait pas idée de se balader comme ça tout seul la nuit dans un endroit aussi craignos ! Oui, à toi aussi, je te parle, Néro ! Tu étais où, d’ailleurs ? Hein ?
Au cimetière, il était allé, ce con. Il avait envie de voir des fantômes… l’ambition de toute une vie. Assurément, lui, il lui manquait une case. Après, faudrait voir s’il n’y avait pas moyen de lui retirer les autres, ça pourrait être marrant. Quoique… Il avait étonnamment bien évité de devenir fou, enfermé avec sa corde, ce qui dénotait sans nul doute une santé mentale assez solide. Enfin, tout le monde a ses faiblesses…
Pernilla réfléchissait. Comment contacter ces mages ? Elle pouvait se cacher, et même cacher les autres, mais déceler la magie, cela lui était plus difficile. Virgil n’était pas beaucoup plus doué, mais peut-être que Max, s’il était bien magicien comme Nalya l’avait dit, pourrait les aider ? D’autant plus qu’elle n’était toujours pas parvenue à ressentir sa magie, ce qui semblait indiquer qu’il se débrouillait mieux qu’eux. Bon, il était bavard comme un choux de Brudge, mais peut-être qu’il consentirait à lâcher quelques mots pour les aider, après tout, y’avait pas de raison.
« Eh, Max.» Mouvement circulaire horizontal de la tête du concerné, pour reporter son attention sur celle qui l’appelait. « On cherche d’autres mages (ce mot à mi-voix) dans le coin, pour leur soutirer quelques renseignements sur la région, vu qu’on va être amenés à faire du tourisme. » Pas de réponse, seulement un regard un peu étonné. « Et, heu, du coup, on se disait que… tu pourrais peut-être, je sais pas, moi, nous aider, par exemple. » L’autre était toujours silencieux, et tourna la tête vers Nalya. « Et tu peux me répondre, au moins ? Je sais pas si tu t’en rends compte, mais c’est super désagréable !
- Oui, c’est moi qui lui ai dit, répondit soudain Nalya à Max, Il est muet », ajouta-t-elle à l’adresse de Pernilla. Un muet… Elle avait toujours eu de la chance. « Papier, crayon, lui dit-elle, moi y’en a vouloir communiquer. » Le sorcier haussa un peu les sourcils et sortit un bout de parchemin de son sac, ainsi qu’une plume, avant de griffonner quelque chose. Pendant qu’il écrivait, elle scrutait son âme. Le don était parfaitement invisible, même en regardant très attentivement. Elle prit le mot qu’il lui tendait, le lut et releva les yeux. « Et tu peux me conduire à eux ? » C’est à ce moment-là qu’elle aperçut deux hommes derrière Max. Comme elle évaluait encore la magie, elle vit avec surprise que tous deux étaient des magiciens. Comment il avait fait pour les amener aussi vite ? Elle était abasourdie, quel coup de bol ! Un des magiciens s’approcha de Max, et ils échangèrent quelque chose discrètement.
Hep ! Il fallait attirer leur attention, c’était fait. Ils semblaient enfin mordre à l’hameçon. Elle avait mis sur elle et Virgil une illusion qui les faisait passer pour moins doués qu’ils ne l’étaient, et très faciles à détecter. Messieurs, ils avaient à parler. Dans sa chambre ? Cela convenait parfaitement, oui… Alors, ils s’amenaient ? Virgil se leva et les suivit, ayant probablement lui aussi compris à qui il avait affaire.
Les chambres avaient, il faut l’admettre, quelque chose de miteux. Les draps sombres et épais prenaient la poussière entre ces murs couverts de traces d’humidité, les clients ne bougeant pas suffisamment dans leur sommeil pour les épousseter. Et puis, il ne faisait pas chaud. On caillait, même, pour ainsi dire. M’enfin c’était mieux que rien. Or donc ! Le jeune homme qu’ils voyaient là avait une particularité, mais voyez plutôt, déclara Pernilla tout de go, en révélant la véritable apparence de Virgil aux yeux des magiciens. Le plus proche des deux eut un mouvement de recul, avant de demander ce que c’était que ça. Deux fois rien, une petite malédiction sans gravité, fallait pas s’inquiéter. Par contre, on allait avoir besoin, pour tenter de soigner ça, d’un endroit un peu spécial, qui se trouvait par ici, dans le Moth. Comment tu appelles ça, déjà, Virgil ? Un nœud de magie, et plus précisément de magie d’obscurité. Voilà, comme il dit. Un nœud d’obscurité… Oui, il y en avait bien un, mais pour être honnête, c’était dans un lieu duquel ils avaient assez peu de chances de revenir. Accouchez. C’était dans la forêt de Ghéhenna, au nord de Torda. Bien ! Voilà qui simplifierait leurs recherches. Sinon, il y avait deux ou trois autres choses… déjà, ce petit truc, dit-elle en extrayant de sous sa laine le gri-gri de Franz. Ils n’avaient pas une idée de ce que cela pouvait être ? Elle captait une faible magie à l’intérieur, mais pas moyen d’en savoir plus. C’était un homme qui descendait du nord du pays qui le lui avait donné, et qui n’avait pas voulu dire un mot sur la façon dont il l’avait acquis. Il semblait que ce soit un objet chamanique, peut-être fabriqué par les gitans… Mais quelles en étaient les propriétés, ça, il n’en avait pas la moindre idée. Bon, pas grave, dit-elle en le récupérant, on verrait ça un de ces quatre. Sinon, question toute conne, s’y connaissaient-ils en matière de maladies d’origine mystique ? Dites toujours. Eh bien, il y avait un homme qui les accompagnait vers le nord en ce moment, qui souffrait d’une terrible maladie. Ce mal apparemment incurable avait laissé sceptiques tous les médecins consultés jusque-là, ce qui la portait à soupçonner un problème d’ordre animique. D’autant plus que cet individu possédait une immunité totale ou quasi-totale à toute forme de magie. Peut-être cela avait-il un lien ? Voulaient-ils l’examiner ? Au point où on en était, pourquoi pas.
Elle alla donc chercher Kurt, qui se trouvait encore dans la sale principale de l’auberge, et qui accepta de la suivre du bout des lèvres, intéressé par tout ce qui était susceptible de reporter ne serait-ce que d’un jour l’échéance fatale de sa mort prochaine. Sans surprise, les magiciens n’en savaient pas plus que les médecins, et il fallut faire ressortir Kurt avant qu’il ne les insultât trop violemment. Excusez-le, vraiment, il était quelque peu emporté, mais pas méchant quand on le connaissait bien, mentit-elle.
Les deux sorciers prirent congé, retournant à la grisaille de leur quotidien. Pernilla les regarda sortir, suivis de Virgil, visiblement assez soulagé de savoir à présent dans quelle zone chercher, même si la destination annoncée n’avait rien de rassurant. Ces tueurs, iraient-ils la chercher dans un endroit aussi perdu ? La suivraient-ils jusqu’en enfer ? C’était pas dit, mais ils étaient bien partis pour… Elle sortit d’une des poches intérieures de son manteau une barrette à cheveux qu’elle avait trouvée chez un antiquaire, et l’examina. Elle était en cuivre, incrustée de pierreries en toc. Aucune valeur pécuniaire, assurément, mais là n’était pas la question. On sentait une activité magique imprécise à l’intérieur, qu’elle avait identifiée le soir précédent, en l’observant d’un peu plus près que dans le magasin : c’était un contenant, fait pour stocker l’énergie animique. Pernilla en injecta autant que possible à l’intérieur, puis se leva avec lenteur et sortit de sa chambre en fermant la porte derrière elle.
Ce matin-là, la pluie s’était un peu calmée. Un soleil un peu timide perçait enfin la couche de nuages et, même si cela ne devait pas durer, c’était assez agréable d’avoir droit à une pause, entre deux averses. Ils ne repartiraient qu’au soir. Cela lui laissait le temps de faire quelques achats et de réfléchir un peu à une idée qu’elle avait eue la nuit précédente, en lisant un des bouquins qu’elle avait acheté. (Glauque, voilà le mot.)

Huit jours qu’ils avaient quitté Torda. Le temps était changeant en apparence, mais constant dans sa médiocrité. Le paysage aussi semblait varier, mais les couleurs n’allaient en réalité que d’un vert délavé à un noir pur, en passant par toutes les nuances de gris. Même le ciel ne parvenait pas à se montrer bleu. On était le 30 avril, cela faisait plus de quatre mois qu’ils étaient partis d’Archange, et même s’ils touchaient, géographiquement parlant, au but, la lassitude se faisait sentir. Pour faire simple, tout le monde était crevé, sauf peut-être Néro et Max, l’un car il semblait ne pas ressentir la fatigue, et l’autre car il ne voyageait pas depuis très longtemps avec eux. Ce jour-là, Myllenia n’arrivait pas à lire, et somnolait à l’intérieur de la roulotte, bercée par les cahots irréguliers. C’est quoi, ça, fit quelqu’un, juste à côté d’elle. Elle ouvrit les yeux, et demanda à Kurt, car c’était lui, de quoi il parlait. Ce dernier, sans dire un mot, désigna quelque chose qui se trouvait hors de la roulotte, et donc hors du champ de vision de son interlocutrice. Subodorant sans doute que son explication n’était pas satisfaisante, il ajouta « le truc, là, tout blanc ». Piquée de curiosité, Myllenia fit l’effort de se lever et de jeter un œil. En effet, une grande chose blanche déferlait de la droite, une masse gigantesque et silencieuse, qui fonçait vers eux en recouvrant tout, comme un raz-de-marée.
À présent, tout le monde avait remarqué que quelque chose d’anormal se passait, et se tenait sur le qui-vive. « C’est de la brume », fit quelqu’un. Effectivement, et si c’était de la brume ? La plupart des autres semblaient calmés par cette affirmation, mais elle conserva la main sur la garde de son épée.
Bientôt, la masse blanche les submergea. Un silence de mort régnait autour des deux roulottes, qui s’étaient immobilisées. Il semblait bien que ce fût de la brume. D’ailleurs, les lanternes s’éteignaient les unes après les autres, à cause du taux d’humidité élevé. Alors qu’elle commençait à peine à se décontracter, Myllenia eut une surprise désagréable, et tira brusquement son épée, avant de sauter de la roulotte. Celle-ci vibrait. Peu de lampes étaient encore allumées, mais de toutes façons, avec ce brouillard, on ne verrait pas mieux avec. Et puis, elle voyait dans le noir.
Les autres descendaient également du véhicule. Seules Nalya et Paola, l’une conduisant son propre véhicule, l’autre chevauchant sa propre monture, ne posèrent pas leurs pieds dans la boue. La brume sembla se solidifier pour former une silhouette blanche. Une gamine. Elle était pâle comme la mort. D’ailleurs, à bien y regarder… Etait-elle seulement vivante ? Son teint de craie se fondait dans le brouillard, et faisait ressortir ses longs cheveux noirs légèrement emmêlés, ainsi que ses grands yeux sombres et froids. À propos de froid… la température n’avait-elle pas chuté, depuis tout à l’heure ? Ou bien était-ce à cause de l’humidité ? Non… même dans cette purée de pois, on s’en apercevait, tous ses compagnons faisaient de la buée en respirant. Tous sauf la gamine… Myllenia rangea son épée bâtarde. Pas la peine de s’alarmer, fantôme ou pas, ce n’était qu’une enfant. Elle s’adossa contre le bois de la roulotte et attendit, observant la scène.
La… chose montra Néro du doigt, et dit « Tu m’as réveillée… Tu m’as réveillée. » d’une voix infantile et aiguë absolument insupportable. C’en était visiblement trop pour le profanateur inconséquent, qui donna un coup de lance en avant pour repousser cette créature. À côté, Virgil tenait son katana dégainé, prêt à intervenir lui aussi. Avec une vivacité inattendue, la petite fille évita la pointe de la lance. Elle continuait à parler, répétant les mêmes paroles, comme une litanie morbide. Dans le cimetière, il l’avait réveillée, elle voulait se rendormir… Paola descendit de son cheval et, alors que Néro allait frapper une deuxième fois, s’interposa entre lui et l’enfant. « Tu vas pas la buter, quand même ?! » Là, chose étonnante, la gamine passa au travers du bras de sa protectrice sans quitter Néro des yeux, exactement comme si personne d’autre n’existait à ses yeux. Paola retira vivement sa main, on aurait dit qu’elle l’avait posée sur quelque chose de brûlant, (c’est plutôt le contraire, mais bon) et recula, sans doute autant sous le coup de la surprise que de l’effroi. C’était assez déroutant. D’un côté, ce spectre n’avait pas une attitude plus menaçante que ça, mais d’un autre point de vue, les morts-vivants, les fantômes, tout ça… Ce n’était jamais bon signe que d’en voir. Que faire ? Myllenia était indécise. Assurément, Virgil l’était moins. Il venait de se jeter sur la fillette, et de la frapper, mais en pure perte, car sa lame passa au travers sans qu’elle fît un seul mouvement pour l’éviter, comme s’il n’existait pas, lui non plus.
C’est alors que la fillette attrapa Néro par le bras, dans un dernier « tu m’as réveillé » désespéré et presque attendrissant. Presque. Comment se faisait-il qu’elle puisse toucher le combattant ? Ayant probablement remarqué que la chose n’était plus immatérielle, le pyromancien maladroit l’attrapa à bras-le-corps, et tenta de lui faire lâcher prise. Le fantôme avait l’air surpris, comme s’il venait de remarquer les autres, et se débattit. À eux deux, ils parvinrent à dégager le bras de Néro, qui était bleui et marqué d’empreintes de doigts, témoignage de la poigne de fer de la fillette. Cette dernière disparut dans la brume en sanglotant, avant qu’ils ne puissent réagir. Eh bien, se dit Myllenia sans s’émouvoir, il semblait bien qu’à force de troubler le repos des morts, on finisse par se faire des amis. En ce qui concernait celle-là, ils ne la reverraient sans doute pas, mais combien de tombes Néro avait-il profané ? Comme s’ils n’avaient assez d’ennuis ! Il fallait, en plus, qu’il aille traîner dans les cimetières et réveiller des spectres. La prochaine fois, il allait déterrer des zombis pour se marrer, et parce que ça manquait au tableau des horreurs qu’ils avaient croisées dans ce pays de merde ?
La plupart des voyageurs remontaient dans les roulottes, mais celles-ci ne démarrèrent pas. Les chevaux refusaient d'avancer, à l'exception de celui de Paola. Myllenia, impatiente, prit les rênes, mais ne parvint pas à faire mieux. C'est à peu près à cet instant qu'elle remarqua quelque chose. Là-bas, dans la blancheur opaque, des ombres se mouvaient.

Le brouillard se superposait à l'obscurité naturelle du soir, de sorte qu'on n'y voyait rien. À droite et à gauche, des auras magiques très mal dissimulées collaient à la peau de la plupart des voyageurs, mais il semblait que le spectacle fut fini : il n'y avait plus trace de la gamine fantôme. Max sourit et repositionna son carnet de voyage dans son sac, avec ses livres et son peu de matériel. Il fallait voyager léger, après tout. Pourquoi les autres n'avançaient-ils pas, à présent ? On n'allait pas rester dans pareille purée de pois, quand même ! À ce moment-là, il entendit les voix.
Dans le blanc de la brume, on distinguait des formes noires, desquelles émanaient d'étranges cris articulés, un peu comme un enregistrement sur un disque vinyle rayé d'un chanteur de métal libanais, avec le volume assez bas. Max se saisit d'une lanterne, l'alluma et s'éloigna un peu des deux roulottes et de leurs occupants, en direction des ombres. Derrière lui, quelqu'un lança, sur le ton de l'avertissement : "Ils nous disent de venir ; de nous approcher... de manière très moyennement rassurante !"
La curiosité était trop forte. Il continua à s'avancer en ignorant les paroles de celle qui criait, étrangement fasciné par ces créatures d'un autre monde. Reviens ! Tu vas te faire tuer ! Max s'arrêta et leva sa lanterne devant lui. Il y avait une dizaine de ces choses à portée de vue, c'est-à-dire pas bien loin. Que dire ? Qu'attendaient-elles de lui, à présent qu'il était venu ? Il semblait qu'elles hésitaient à s'approcher, comme si la lueur de la lampe qu'il tenait les dissuadait de fondre sur lui. Max frissonna, et prit conscience du froid qui l'entourait. L'humidité de l'air s'insinuait sous ses vêtements, et des gouttes glaciales perlaient sur la nuque et le long de son dos. On aurait dit que la lumière faiblissait ; que le feu lui-même était engourdi par ce froid soudain. Les créatures s'approchaient lentement. La lumière et la température déclinaient de manière progressive, comme dévorées par la brume. Au milieu du chœur de ces voix inhumaines, Max entendit le cri de quelqu'un qu'il connaissait, comme venu de très loin. On aurait dit un écho sans le bruit initial. Il comprit les paroles de façon désynchronisée ; avec un temps de décalage. On lui disait de revenir, vite. Une grosse voix retentit. Qui était-ce ? Il y eut une gerbe lumineuse, une lanterne se fracassa au beau milieu des créatures, qui se dispersèrent en poussant des hurlement de frayeur. Max se rendit compte qu'il tremblait légèrement. Sa propre lanterne reprenait de l'éclat. Jetant un œil, il s'aperçut que du givre s'était formé sur les vitres de verre qui entouraient la flammèche. "Allez, on avance", mugit une voix puissante. Il tourna les talons et se dirigea vers les roulottes. Un colosse était en train de crier sur les bêtes pour les faire avancer, et doucement le convoi se mettait en branle.
L'homme était immense et musculeux. Il tenait à la main une arbalète chargée, et se mouvait avec des gestes sûrs et puissants. "C'est la nuit de Walpurgis, il ne faut pas rester là !", tonna-t-il. En jetant un regard par-dessus son épaule, Max s'aperçut que les ombres les suivaient toujours, clamant avec ardeur leur sinistre complainte désarticulée. L'autochtone les mena en silence jusqu'à son domicile, escortant la troupe rescapée. La maison surgit brusquement devant eux. On aurait dit qu'elle avait jailli du brouillard au moment où celui-ci ne pouvait plus la cacher. Leur sauveur ouvrit la porte et s'écarta pour les laisser entrer. Qu'ils laissent ici les véhicules et les chevaux ; il était trop tard pour ça ! Les uns après les autres, ils franchirent l'huis. Max entra dans les derniers et eut une légère frayeur en voyant l'animal qui se tenait à l'intérieur. La porte claqua derrière lui. La bête poussa un grognement.
C'était un chien, si l'on peut dire. Un chien de la taille d'un gros poney, aussi musculeux et aigri que son maître, avec des crocs visiblement faits pour broyer des nuques de taureaux. Max se sentit soudain petit, en même temps qu'il imaginait cette mâchoire puissante se refermer sur sa cage thoracique pour en moudre les os. Il semblait que la présence indésirable du cheval de Paola l'importunât intensément. Il grognait, montrait les crocs et bavait sur le sol. "COUCHÉ, BORIS !!" hurla le colosse au premier semblant d'aboiement, avec une voix d'une virilité gargantuesque, qui fit trembler tous les murs de la maison. L'animal sembla se calmer sous cette autorité indiscutable, puis s'éloigna quelque peu, laissant en paix les touristes. Après ce petit interlude musical, l'homme se tourna vers ses hôtes et indiqua l'escalier. Les chambres. Qu'ils montent, et vite.
Max gravit les marches grinçantes. Devant lui, l'obscurité reculait à mesure qu'ils montaient. Le colosse tenait une autre lanterne, ou une bougie, quelque chose comme ça, pour éclairer leur chemin.

- Nous sommes répartis dans les diverses chambres. Kurt dort en bas, dans le lit de notre hôte.
- Les chambres sont toutes fermées, leurs volets itou, avec interdiction d'ouvrir.
- Virgil demande, un peu plus tard, à prendre un bain. On lui montre une bassine, et le groupe doit passer à table.
- Patates et ragoût. Le type répond "on n'en parle pas" à toutes les questions portant sur Walpurgis, etc. Il est assez froid. À la question "vous récupérez souvent des touristes en danger sur la route ?", il répond "D'habitude, je me contente de les enterrer."
- On boit une tisane.
- Maintenant, on va se coucher, ou presque.
- Pernilla va voir dans la chambre de Virgil et Néro pour s'informer sur le rituel. (si si.)
- Nalya va espionner le type en bas en forme astrale, après avoir vérifié, dehors, que les chevaux, etc. ne sont pas morts. Il est en train d'effectuer un rituel très répétitif. ("Au nom du père, du fils et du saint-esprit..." x10^40) Il fait ça face à un autel avec de l'eau, et la vapeur envahit progressivement la pièce. Dans une bassine, ou quelque chose comme ça, apparaît une silhouette blanche. Nalya se reconnaît, et s'enfuit. L'effigie effectue les mêmes mouvements qu'elle.
- Pernilla retourne dans sa chambre.
- Virgil est mort de peur, et Néro, comme d'habitude, ne dort pas. Ils entendent des bruits derrière les volets. Histoire de blaguer, en rentrant dans sa chambre, Nalya lui fait un petit "bouh" qui fait peur avec sa tête de fantôme, et il crie.
- Notre cher hôte monte, engueule Virgil et Néro et leur donne une tisane à éteindre un volcan actif pour les aider à dormir.
- Nalya décide de pioncer, tout le monde, en fait, à l'exception de Max.
- Max entend des bruits derrière les volets, et décide de les ouvrir.
- Il réussit son jet de dex', et une ombre rentre. Elle court partout sur les murs et les plafonds avec une vivacité infernale. Il balance plusieurs sorts de destruction dans la pièce, sans parvenir à la toucher. Les murs et le plancher sont ruinés par le combat. Notre hôte, qui est monté à cause du bruit, commence à défoncer la porte.
- L'ombre, qui l'a déjà touche deux ou trois fois, l'attaque encore et c'est le hit ! Il foire son jet de résistance, et fait une superbe crise cardiaque.
- La brute finit de défoncer la porte, fait fuir l'ombre en lui lançant sa lanterne et referme précipitamment les volets. Nalya, réveillée part le bruit, regarde par un trou dans le mur et essaie de ranimer Max à coups de décharges d'énergie, mais ne parvient qu'à l'abîmer un peu plus.
- Il meurt.

Fini, avec un retard monstre, mais bon.

Aucune bête n'a été maltraitée durant le tournage.

03/07/2009

Avant toute chose, désolé pour le titre.

La route était longue. Encore quatre jours avant Torda, ils n’arriveraient jamais à temps. Virgil leva une main en face de son visage, et tira un peu sur sa manche pour dénuder son avant-bras. Après que sa peau eut atteint la pâleur la plus extrême, elle était devenue presque translucide. Il pouvait voir très nettement les petites veines, et les soubresauts de l’artère de son poignet quand ce sang noir qui n’était pas le sien pulsait à l’intérieur. Cette histoire de voix et de rêves étranges l’inquiétait. Il se désintéressa de cette fascinante maquette dynamique de la circulation sanguine, et jeta un énième coup d’œil sur cet horizon toujours identique. Cette fois, quelque chose attira son regard. Assez loin devant, il y avait une silhouette… non, deux silhouettes. Une grande et une petite. Immobiles.
La roulotte avançant, il s’aperçut qu’il s’agissait de deux hommes. Le grand était encapuchonné et silencieux. Le petit était tête nue, hilare, mais également silencieux. Virgil regarda par-dessus son épaule. Certains semblaient n’avoir rien remarqué, d’autres, au contraire, réagissaient au quart de tour. Néro regardait à l’avant avec l’air soucieux de celui qui essaie de se souvenir de quelque chose sans y parvenir, alors que Paola était juste à côté, arborant l’air inquiet de celle qui craint pour ses jours. Le véhicule, sans s’arrêter, passa à côté des deux individus. Un silence lourd de suspicion planait sur la scène ; seul le petit homme arborait un grand sourire. « Vous avez un problème ? » fit une voix, celle de Paola. Pas de réponse. Myllenia, visiblement sur les nerfs, descendit et attrapa le plus grand par le col, nimbée d’une aura meurtrière qui fit légèrement frissonner Virgil, même à cette distance. Il n’aurait pas aimé être à la place de la victime. « Réponds, raclure ! » dit-elle avec une voix purement et simplement démoniaque, à nouer les tripes d’un dinosaure sourd. La raclure était peut-être décérébrée, ou incroyablement flegmatique, quoi qu’il en soit, sa seule réaction fut un silence encore plus glacé qu’auparavant.
Myllenia, désarmée par cette réaction digne des murs de brique les moins émotifs, se tourna vers le petit homme, dont le sourire, on l’aurait juré, était moins marqué qu’auparavant. Observant tranquillement depuis l’arrière de la roulotte, Virgil n’en était pas moins estomaqué. Non content d’être grand et massif, cet individu venait de refuser tacitement d’obtempérer à un ordre de… C’était inconcevable qu’il ne soit pas à genoux dans la boue en train de décliner nom, prénom, âge, lieu de résidence, motivations et code de carte bleue. Peut-être était-il mort de trouille, incapable de bouger ou de dire quoi que ce soit ? Oui, ce devait être ça, il n’y avait pas d’autre explication possible. Le deuxième type semblait moins froid, peut-être serait-il plus réceptif ? Virgil en ricanait d’avance, mais au lieu de lâcher comme il s’y attendait un tsunami de haine sur ce petit homme qui à côté d’elle avait vraiment l’air d’un nain, Myllenia interrogea d’une voix sans colère : « Max ? ».
Son interlocuteur hocha la tête d’un air affirmatif, et montra du doigt la roulotte qui s’éloignait. « Hé, ho, stop ! » cria Myllenia aux chevaux, qui s’immobilisèrent instantanément, tremblant de peur. Pauvres bêtes, se dit Virgil, sentant son cœur s’emplir de compassion, comme à chaque fois que la brute à l’épée bâtarde dirigeait son autorité métallique sur quelqu’un d’autre que lui. Il essuya une larme du revers de la manche parce que c’était vraiment trop triste, et pointa des yeux un peu rougis vers ce Max. Nalya, qui s’était enfin levée, s’approcha du nouveau venu et le regarda longuement. Mais qu’est-ce qu’ils foutaient ? Elle était en train de lire dans ses pensées, ou quoi ? Et pourquoi il ne disait rien, lui ? Max et Nalya s’approchèrent de lui, et cette dernière lui annonça que le médecin ci-inclus allait l’ausculter. Ce petit homme avait quelque chose d’angoissant ; quelque chose d’inexplicablement humide. Il fit se pencher Virgil, et regarda attentivement, avant de se tourner vers Nalya qui, l’air dépité, murmura en fronçant les sourcils « Comment ça, la conjonctivite ? C’est une malédiction, dont on parle…». Max haussa les épaules et alla voir Kurt. Cette fois, il regarda beaucoup plus longtemps et plus attentivement le sujet, mais l’auscultation se déroulait toujours sans un mot.
« Il est bizarre, non ? fit la voix de Paola derrière lui. Mais apparemment, il ne faut pas s’inquiéter, Nalya le connaît bien. » On sentait un certain soulagement. « D’après elle, c’est un médecin et un magicien, mais je ne sens pas son don… » Virgil, un peu surpris, ferma les yeux un instant et les rouvrit pour observer le comportement du flux magique autour de ce Max. Aucune activité mystique ne transparaissait. Ou bien il n’y avait effectivement rien, ou bien il était beaucoup plus doué que lui et dans ce cas, il les avait très probablement déjà grillés. Il le dit à son interlocutrice, qui hocha la tête mais marmonna que quand même, hein, il avait été blousé par l’illusion qu’elle avait mise pour cacher les effets de cette malédiction au public indésirable. La roulotte se remit en branle, chargée de ses nouveaux occupants. Le géant qui accompagnait Max n’avait pas prononcé un seul mot depuis le début, lui non plus. Néro avait bien essayé de lui parler un peu, pour voir, mais il n’avait rien obtenu. Qu’est-ce que c’était que ces types ? Deux jours plus tard, le petit convoi s’arrêta à proximité d’un hameau, qui d’après Nalya était celui d’où venait l’homme qu’elle avait –involontairement- inhumé peu de temps auparavant.

Un hameau ? Tu parles, une ferme, plutôt. Il n'y avait que quatre maisons, cernées de champs fraîchement labourés et de petits sentiers boueux. La route passait à quelque deux cent mètres des habitations, et un chemin de terre spongieuse y menait. Les autres commençaient à descendre de la roulotte, s'enfonçant jusqu'aux chevilles dans le sol en émettant des bruits de succion dégueulasses et s'étirant avec des craquements à peine plus ragoûtants. Tout le monde était ravi de se dégourdir enfin les jambes, mais Kurt n'avait pas la moindre envie de bouger. C'était trop humide, trop gris, trop sale, trop perdu à son goût, et en plus, les gens étaient trop joyeux. Comme on l'appelait, il finit tout de même par descendre de la roulotte, quelques secondes avant que celle-ci ne se mette en mouvement pour se rapprocher des maisons. Vie de merde, il aurait pu s'épargner de marcher dans cette gadoue sur les cent premiers mètres au moins ! En baragouinant à mi-voix des insultes dans sa langue maternelle à l'égard de la mère de la conductrice, il s'approcha des maisons d'un pas aussi vif que le lui permettait cette mozzarella de boue, car certains de ses compagnons étaient déjà rendus au bout du chemin.
En face de la première porte, une macabre découverte lui arracha un sourire. En soi, ce n'était pas particulièrement drôle, certes, mais la réaction de Virgil était plutôt amusante. Il aimait sans doute un peu trop les chiens, et le fait était que celui-ci avait quelque chose d'incomplet. Seule la tête trônait au milieu d'une mare de sang, le corps s'étant apparemment volatilisé. Esthétiquement, cela se défendait, mais c'était tout de même dommage d'avoir complètement ignoré le matériau fourni par le corps de la bête. Ce style épuré, quoique loin d'être déplaisant, restait malgré tout assez simpliste. Qu'avait bien pu vouloir dire l'artiste ? Le choix d'un corps de bête ; de chien, n'était pas anodin, assurément, et il fallait prendre en compte la forme de la flaque de sang qui se diluait dans la boue... L'être humain n'était peut-être finalement rien de plus qu'une dépouille périssable qui se faisait absorber par la terre sitôt la mort venue ? Seul l'esprit, symbolisé par la tête, élevait l'humanité au-dessus du règne animal, mais le choix du chien dénotait chez l'artiste la vision pessimiste de celle-ci ; il la montrait enchaînée, servile et déclinante, comme le chien, évoquant la grandeur passée et la régression, à travers l'image du loup. Intéressante vision du monde, analysa Kurt en fin connaisseur, avant de jeter un regard aux autres. Virgil détournait ses yeux noirs de la dépouille. Philistin, va. Et les autres ne valaient pas mieux. Incapables d'apprécier les bonnes choses ; complètement insensibles à la beauté. Rien à attendre de gens pareils.
Un craquement arracha Kurt à ces hautes sphères intellectuelles, et lui fit relever la tête. Il y avait une trace de choc sur la porte. Les planches qui la composaient étaient enfoncées, un peu comme si on avait donné un coup de poing dessus (mais alors avec un poing en acier). Myllenia ouvrit la porte en actionnant la poignée, et entra. Hé, venez voir ça ! Quoi, ça ? Ah, ça ! La pièce d'en bas était ravagée. Presque tous les meubles et objets étaient cassés. Kurt fouilla un peu pour la forme, mais ne trouva rien d'autre que des clopinettes. Super. La seule chose qui manquait au spectacle, c'était des cadavres déchiquetés. Avec ça, ç'aurait été parfait. Peut-être était-ce une représentation du chaos, d'où les corps étaient volontairement exclus, pour montrer la vanité de croire que le désordre puisse naître de l'ordre humain ? Le chaos était nature avant tout, voilà ce que lui inspirait cette scène.
Le tueur blond sortit de la maison, avec vaguement dans l'idée d'aller uriner, mais Néro l'attrapa par l'épaule. "On va se répartir, dit-il, ça ira plus vite. Il n'y a rien dans cette maison-là, alors amène-toi, on passe à la suite." Se répartir ? Et pourquoi c'était lui qui héritait de ce partenaire ? Rageant, Kurt s'avança vers la maison suivante, à la suite de ce blaireau de lancier. Sous son manteau, il serrait dans ses poings deux poignards. Si seulement il avait pu se débarrasser de ce maléfice ! En plus, il n'aurait même pas la joie de les emporter dans sa tombe, car il n'avait pas la tuberculose. Après auscultation, on s'était aperçu qu'en fait, on ne savait rien de ce qu'il avait. À quoi servaient les médecins, dans ce cas ? La deuxième maison n'était pas plus intéressante que la première, mais sensiblement dans le même état. Kurt ouvrit la fenêtre et les volets, pour faire de la lumière, puis s'attarda un instant en face d'un canapé déchiqueté. On n'avait pas fait ça avec une lame, c'était tout simplement déchiré. Le bois de l'escalier grinça, alors que Néro montait. Ce canapé était dans un sale état, et le reste de la pièce ne valait pas mieux. Le tueur attrapa un morceau d'étoffe et tenta d’en faire de la charpie en tirant de toutes ses forces. C'était un tissu très solide !
C'est à peu près à ce moment-là qu'il prit conscience du silence qui régnait, et monta les escaliers. Cette baraque avait quelque chose d'angoissant. En haut, il y avait deux portes. L'une ouverte, l'autre fermée. Il ouvrit celle de gauche, et regarda la pièce. C'était une chambre, avec un meuble contenant des livres. Aucun intérêt. La seconde chambre contenait juste un tabouret, et il y avait une fenêtre ouverte. "Néro ?" appela-t-il. Puis, plus fort "Néro !? NÉRO !" Où était-il, ce crétin ? Si c'était une blague, c'était pas marrant. Il y avait un moyen de vérifier... Il allait le forcer à sortir de sa cachette. Retournant dans la première chambre, Kurt renversa la bibliothèque, ramassa autant de livres qu'il en pouvait porter et descendit avec. Une fois en bas, il les jeta sur le canapé et déchira quelques pages pour aider à la combustion. Explorant ses poches, il s'aperçut qu'il n'avait rien pour allumer. Aucune importance, se dit-il en sortant, un grand sourire aux lèvres, il savait à qui demander.
Et puis comme ça, si l'autre imbécile mourait dans l'incendie, c'est pas vraiment lui qui l'aurait tué.

Ce qui restait de la porte traînait dans l'entrée. Pernilla enjamba les débris et sentit son pied s'enfoncer à nouveau dans la terre meuble alors qu'elle sortait de la maison. Il y avait de l'eau plein ses bottines, et chaque pas soulevait des éclats de boue. À l'intérieur, elle n'avait rien trouvé. Virgil était retourné à la roulotte, refusant de marcher dans cette terre pleine d'eau, et l'avait laissée toute seule avec Myllenia. C'était pas cool. Comme si cet endroit n'était pas assez flippant, il fallait en plus qu'elle se tape cette brute comme coexploratrice !
C'est à ce moment-là qu'elle aperçut une colonne de fumée qui s'élevait à partir de l'une des maisons. Pas de fumée sans feu. Elle s’avança sans précipitation vers l’incendie. Apparemment, tout le monde y était déjà, sauf Néro. Où était-il, celui-là ? C'était pas la maison qu'il était censé explorer, en plus ? Tiens, on aurait dit que le feu faiblissait... Lorsqu'elle arriva à la hauteur du bâtiment, il était tout à fait éteint. Virgil se tourna vers elle, avec une expression de profonde détresse. "De la flotte, dit-il, au bord des larmes, tout ça, c'est d'la flotte !
- Mais de quoi tu parles ? demanda Pernilla sans comprendre.
- Ce pays, c'est de la flotte ; le grand type qui ne dit rien, c'est de la flotte ; les nuages, c'est de la flotte ; tout le monde, c'est de la flotte ! C'est une malédiction ! Comme si ça suffisait pas de se transformer en réglisse... Tu vas voir que bientôt, je vais me changer en démon élémentaire de glace à l'eau !
- Dramatise pas, t'as qu'à tout brûler, ça te calmera. Dis-toi que cela pourrait être pire..." Elle laissa sa phrase en suspens. Effectivement, comment pourrait-ce être pire ? "Tu pourrais, je sais pas, moi, heu... être poursuivi par, heu... des tueurs sanguinaires qui te retrouvent où que tu ailles..." Non, c'était un mauvais exemple, d'autant plus que c'était peut-être déjà le cas. "Enfin, ce maléfice mis à part, t'es plutôt bien portant, non ?" Oh, et puis merde, elle ne pouvait pas lui reprocher de déprimer un peu dans la situation désastreuse où il se trouvait, après tout. Kurt semblait très déçu que le feu soit éteint, mais il était bien le seul. Tout le monde se demandait où se trouvait Néro, et fouillait autour ou dans la maison. En haut, un coup de vent fit claquer une fenêtre contre le mur extérieur. Reculant pour mieux voir, Pernilla aperçut au premier étage Nalya, qui montrait un point dans l'air, proche de la fenêtre, et dit à Max, situé juste en-dessous : "Ça s'arrête là". Un peu intriguée par ces énigmatiques investigations, elle entra dans la maison, pour voir. Il y avait un bordel inimaginable : des objets cassés et brûlés partout, un cadavre de sofa... Elle marcha sur quelque chose de dur, qu'elle ramassa. C'était une reliure en cuir, à laquelle étaient encore attachés des bouts de pages carbonisés. Il y en avait plein... Il fallait vraiment n'avoir rien d'autre à foutre pour faire un truc pareil. Ayant repéré un escalier roussi mais encore assez solide, Pernilla monta à l'étage. Le plafond était noir, à cause de la fumée, mais le feu n'avait pas eu le temps de monter jusque-là. Il y avait deux chambres ; les portes étaient ouvertes, et Nalya se trouvait dans la chambre de droite. La seule chose que remarqua Pernilla en entrant fut un petit tabouret, au milieu, mais Nalya, elle, s'était brusquement retournée, alarmée. "Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? demanda la nouvelle arrivée, un peu vexée d'inspirer une telle méfiance.
- Il y a quelque chose de magique dans cette pièce ! répondit Nalya en regardant autour d'elle.
- Tu vois ça, toi ?
- Moi non, mais lui oui, dit-elle en désignant la fenêtre du pouce.
- Max ? Aah, d'accord. Qu'est-ce que tu lui montrais, tout à l'heure ?
- L'endroit où s'arrête le lien que j'ai attaché sur Néro.
- Le lien ?
- Mental.
C'était bizarre. Elle n'avait jamais entendu parler d'une magie fonctionnant de cette manière. Au début, elle avait cru que cela permettait simplement de lire dans les pensées des autres et ça, c'était encore concevable, mais avait-on jamais vu quelqu'un changer la pierre en diamant simplement en le voulant ? Pernilla montra la fenêtre de doigt « il est là, ton lien ? ». Son interlocutrice répondit par l’affirmative. Selon la logique la plus élémentaire, si Néro se trouvait à l’autre bout du fil, il n’y avait qu’une manière de le rejoindre. Elle fit affluer la magie pour se protéger de l’éventuelle chute, (parce que pas fou tout de même) prit son élan et sauta. L’atterrissage se fit sur le garde du corps de Max, qui éclata en une multitude de gouttelettes au moment de l’impact, avant de se reformer presque instantanément. En effet, c’était bien de la flotte. Comme c’était vraiment trop frais, elle remonta en courant et resauta, cette fois en visant le bodyguard, dans l’espoir de lui éclater sa face aqueuse encore mieux que la première fois. Max la regarda d’un air excédé, et monta à l’étage en même temps qu’elle pour empêcher toute récidive. Ils entrèrent dans la chambre de droite, où Nalya les attendait. Selon Max, l’activité magique ne se déclenchait que pendant qu’elle, Pernilla, était à l’intérieur. Ce truc à plumes que lui avait donné Franz, elle l’avait toujours ? Ouep. Ici même, dit-elle en retirant le pendentif. Woaw ! Ajouta-t-elle en s’apercevant que ce machin chamanique luisait comme un œil de chouette vivante. (Ben ouais, sinon ça luit moins, fatalement.)
Virgil entra à son tour, flanqué de Kurt, qui se contenta de jeter un regard noir sur l’assemblée avant de tourner les talons. Pernilla tendit l’objet à Max, qui le regardait avec des yeux de chouette, vivante également. (Même si la luisance n’a ici pas d’importance, car l’image évoque plutôt la taille, m’est avis que des yeux de chouette morte auraient un aspect torve et inexpressif ne seyant pas à la situation.) Elle précisa néanmoins qu’on l’avait surnommé reviens, parce que fallait pas déconner quand même.
C’est après une bonne heure à se prendre la tête et à essayer de trouver pourquoi, au grand pourquoi, ce truc brillait ici et pas ailleurs et pourquoi les puceaux simplets avaient tendance à disparaître sans laisser de traces que l’absent réapparut, sortant de nulle part. Selon ses dires, il avait passé tout ce temps enfermé dans une chambre bétonnée, en face d’une corde et d’un tabouret avec, en plus, Nalya qui lui parlait dans sa tête pour l’encourager à se foutre en l’air. Mais non, se défendit la concernée, elle n’avait rien fait ! C’était quoi, cette histoire ? Pernilla rigolait doucement, car l’inculpée n’avait aucun autre recours que la confiance des autres pour faire valoir son innocence. C’était humain de vouloir la mort de quelqu’un, après tout. Peut-être y avait-il entre ces deux-là une haine tacite pour une raison x ou y ? Comment savoir…
En tout cas, cet enfermement avec du matériel pour dépressif chronique était une torture très raffinée. Et particulièrement dure psychologiquement, pour quelqu’un de normal. Il y avait sûrement moyen de reproduire ceci via des illusions… Il suffisait ensuite de rajouter des trucs marrants, (pourquoi pas un cilice fantasmatique ?) et on avait de quoi rendre fou n’importe qui. Ah, et puis le coup de la porte qui s’ouvre au moment où la victime se pend, c’était magistral !
Ils sortirent de la maison et remontèrent dans la carriole les uns après les autres. Aucun cadavre humain n’avait été trouvé : c’était bizarre, compte tenu du fait que toutes les bâtisses étaient détruites de l’intérieur, et que les champs n’avaient pas été abandonnés depuis longtemps. Sauf erreur, c’était pas si fréquent de voir tous les habitants d’un hameau, aussi petit soit-il, partir du jour au lendemain en saccageant tout derrière eux.
Encore deux jours avant Torda.

Les bâtiments décharnés de cette ville à l’agonie semblaient recouverts d’un métal terne et assombri par le temps et les pluies. Des gargouilles mutilées par l’érosion crachaient tout au long du chemin une eau sale qui ruisselait sous les arches en arc brisé, au gré des caniveaux. Une pluie régulière faisait briller les ruelles et les toits recouverts de multiples ornements, dans le plus pur style gothique de la période Morbide. Tout ça pour dire que Torda n’était pas à proprement parler un piège à touristes.
En voyant tous ses compagnons de voyage partir dans des directions différentes, Nalya descendit de la carriole et s’en fut trouver un coin où passer la nuit. « Où vas-tu ? » demanda-t-elle à Max par la pensée. Trouver des magiciens dans le coin. Ah, bon, mais tu ne crois pas que ça serait bien d’éviter de se perdre, pour commencer ? Hein ? Pas de réponse. Max ? Merde, il était déjà trop loin. Bah, qu’il aille où il voulait, c’était son problème, après, de se retrouver dans ce dédale de ruelles menaçantes, pleines de croix tordues et de rats squelettiques. En cherchant un peu, elle finit par trouver un gîte décent, et entra pour payer six, non, sept chambres. Au fait, n’y avait-il pas un concessionnaire de roulottes, par ici ? Oh, super, en plus, c’était tout près.
Combien cela pouvait-il coûter ? Peu importait le prix, maintenant, elle avait les moyens. Nalya entra dans l’établissement, distinct de l’atelier, et commença à discuter prix avec le vendeur. Voulait-elle des lits pliables à l’intérieur ? Et des lanternes autour ? Et un hublot ? Voulait-elle toutes les options possibles et imaginables ? Eh bien, comme ça, c’était plus simple. Oui mais non, pas besoin du cortège d’esclaves noirs livré en kit, ni de l’orchestre symphonique à l’intérieur, ni de la cathédrale portative avec son orgue et son chanteur de Gospel, on ferait sans. Elle voulait des chevaux, avec ça ? Oui, tant qu’à faire. Ok, il allait lui arranger ça, autre chose ? Combien de temps ça prendrait ? Bôh, il dirait une semaine… Il n’y avait pas moyen d’accélérer un peu les choses ? Si, pour sûr, y’avait moyen, il pouvait prendre de la main d’œuvre temporaire, par exemple, mais ça allait se voir sur la facture… « C’est pas un problème, vous pouvez me faire ça pour demain ?
- Demain soir, ça ira ? demanda le commerçant.
- Demain soir, c’est d’accord.
- On peut dire que vous, vous avez les moyens… »


Suite bientôt. Si, si, c’est vrai.