vendredi 17 avril 2009

Boucle d'or et les cinq ours, interlude meurtrier.

Ce matin, j’ai fait un doux rêve. Impossible de m’en rappeler, mais il était merveilleux, et puis, un choc m’a tiré de mon bien-être. C’était une collègue quelque peu magicienne sur les bords, qui venait de me tirer de ma torpeur avec une grande claque dans la tête pour être sûre que je me réveille. Les autres étaient partis sans nous. Ah, bon ? Quelle heure est-il, au fait ? woaw ? Déjà ?
Je me suis étiré en faisant craquer tous les os de mon corps. J’allais bien, malgré ma courte nuit de quatre heures, alors on est partis assez tôt, juste le temps de vomir ma gueule de bois et de m’habiller. J’ai demandé à un paysan de nous accompagner avec une charrette et une mule, et j’ai pris cet onguent que le prêtre m’a donné quand je lui ai annoncé que j’irai un de ces quatre matins récupérer les corps des disparus. C’est pour que les cadavres ne pourrissent pas plus qu’ils ne le sont déjà. On est partis. Quoi de mieux pour se réveiller qu’une petite rando de cinq, six heures…
Nous avons atteint les grottes dans l’après-midi, où nous avons retrouvé les autres. Il n’y aurait eu que moi, on aurait simplement cassé la croûte avant de récupérer les cadavres et de repartir, histoire d’être de retour pour dîner, mais ils avaient repéré une crevasse dégueulasse et se sentaient en veine de faire du canyoning. Avec un soupir résigné, je les ai suivis. Karel, le barbare, était déjà descendu. Je lui ai demandé de m’aider à descendre les pièces de mon armure, mais il m’a dit de sauter. J’ai eu beau répondre qu’avec l’armure de plaques, c’était trop lourd, il m’a défié de le faire. Bon, eh bien j’ai parié qu’il n’arriverait pas à me rattraper et que j’allais m’écraser en bas. Oui, parfois, parfois seulement, je fais des paris stupides. Enfin, bon, il m’a rattrapé, et maintenant, je lui dois dix pièces d’or. Ne jamais parier de l’argent avec un sinanthrope entêté. C’est à ce moment-là que nous avons aperçu un panneau signalant de fréquentes chutes de magiciennes, et qu’il m’a lâché pour rattraper la nôtre.
Nous avons marché dans la flotte sur environ deux cent mètres. Les kobolds devaient jeter tout et n’importe quoi là-dedans : déchets, déjections, cadavres non consommés, etc. Mes pieds déjà calleux ventousaient le fond de mes bottes dans un bruit de succion immonde. Et qu’est-ce que c’était que cette bestiole ? Une sorte d’hydre (en plus petit) venait d’attraper le moine, qui ouvrait la marche, avec une de ses nombreuses tentacules, dans le but à peine dissimulé d’en faire son repas du midi.
Pour toute réaction, j’ai levé la tête et cligné des yeux, avant de me faite bousculer par un barbare débordant de testostérone et de soif de tueries. Et puis, quand même, j’ai ajouté ma modeste contribution au massacre en cours, en entamant la découpe à mon tour. Une flèche venant de derrière s’est plantée dans la bête, et comme pour se venger, elle s’est saisie du barbare et a commencé à le traîner vers elle à son tour. Il a tiré lui aussi, et le tentacule indiscret s’est détaché du corps de la bête. Enfin, bon, à force de cogner, on a fini par l’avoir. La magicienne a jeté un regard sur le corps inerte, avant de nous annoncer que c’était légèrement urticant, et que ceux qui avaient été touchés n’avaient pas à s’inquiéter si ils se retrouvaient deux jours plus tard alités en train de délirer sur leur 40 de fièvre. C’est tout à fait normal.
Nous avons continué à marcher jusqu’à ce que le canyon devienne assez large, et que nous trouvions un affluent pour en ressortir. Enfin de l’herbe grasse et une clairière paisible ! Ravi de les laisser polémiquer sur l’ordre des tours de garde, je me suis étendu sitôt que nous eûmes fait partir le feu. Le contrecoup de la nuit précédente se faisait sentir et… bah ! Ma nuit a été fort paisible. À nouveau, j’ai fait un rêve très agréable, à la fin duquel quelqu’un me criait quelque chose… C’était une jeune femme avec une voix étrange que j’étais sûr d’avoir déjà entendue. « réveille-toi » a-t-elle dit avec violence. J’ai ouvert les yeux. Une dague acérée s’est plantée dans l’herbe, à quelques centimètres de ma gorge offerte d’agneau sacrifié. Sur le manche était crispée une main rattachée à un bras, au bout duquel était suspendu, ma foi, un joli brin de fille. Un grognement bestial retentit, et j’ai abandonné mon abandon dans la contemplation de ma meurtrière pour tourner la tête à gauche. C’était moins joli. Ça avait l’air fort méchant. Ça a essayé de me frapper, et j’ai pu esquiver en roulant sur moi-même, mais c’était plusieurs, et j’ai encaissé l’attaque du second en grognant. (MJ : « c’est comme des ours, mais avec un bec et des plumes… ») Allons, me dis-je, reprends-toi, quoi ! Tu n’as pas souffert toutes ces scolioses pour que tout s’arrête ici ! Ragaillardi par mes nobles pensées, (encore un point pour mon karma) j’ai saisi mon épée me suis relevé pour frapper ma cible, mais, justement, en parlant de karma, puis-je décemment égorger une ado sans malice, même quand c’est elle qui a commencé, ou bien ça risque de me pourrir ma réputation (presque) sans taches auprès de mon dieu ? Dans le doute, évitons. En plus, elle n’était pas mauvaise, cela ressemblait trop à une gamine abandonnée par des monstres et recueillie par des monstres. Rien de trop maléfique, quoi… Je lui ai mis ma lame sous la gorge dans un geste magistral, et lui ai ordonné avec autorité de rappeler ses fauves. Qu’est-ce que je croyais ? Voyant que j’avais baissé ma garde, les deux autres bestioles proches m’ont frappé avec violence, et je suis tombé sous le choc. Avant de m’évanouir, j’ai eu juste le temps d’apercevoir mes compagnons qui se faisaient dans l’ensemble massacrer par des créatures semblables.
« au suivant », a dit le type blond qui s’occupait des entrées, caché derrière ses lunettes rondes de bureaucrate du début du XX° siècle. « Euh… C’est moi, j’ai dit, mais qu’est-ce que je fais là ? et qui êtes-vous ?
- Vous êtes à la pointe, m’a-t-il dit sans lever les yeux de son pupitre, quant à qui je suis, cela ne vous regarde pas. Sachez seulement que l’on condamne les loyaux neutres comme moi à une vie de bureaucrate à l’entrée du paradis, parce qu’on ne peut ni les envoyer en enfer pour leurs mauvaises actions, ni les autoriser à entrer au paradis, car il faut les punir d’être incapables d’avoir un peu de recul par rapport aux règlements. Je signale à tout hasard que vous êtes le huit cent quarante-quatrième à me poser ces questions aujourd’hui, alors qu’il n’est qu’une heure du matin, heure du paradis. Si tous les clients étaient comme vous, et ils sont tous comme vous, imaginez le temps qu’on perdrait. Enfin, en ce qui me concerne, j’ai du temps devant moi, mais les autres attendent, alors revenons-en à nos moutons. Tout ça sur un ton égal d’indifférence profonde. Il m’a regardé avant de lever une feuille à hauteur de mon visage. Tiens, la photo ne correspond pas, vous êtes bien Ariel Blaque ?
- Oui, ai-je répondu simplement, de peur de le gêner à nouveau.
- Encore une erreur, a-t-il déploré. Le type sur ce cliché fait environ un mètre soixante dix-huit, or il est indiqué deux lignes plus bas que vous faîtes un mètre cinquante-neuf et deux millimètres après douze heures de sommeil. D’ailleurs… Ce n’est pas la seule erreur. Un paladin avec un curriculum pareil, c’est une blague ? » a-t-il demandé alors que son sourcil droit montait de 2,28 millimètres sous l’effet de la surprise.
J’ai défendu comme j’ai pu ma cause, essayant d’expliquer à ce robot écervelé que, si j’avais parfois failli, j’y mettais tout de même de la bonne volonté. Voyant que ce cas n’était pas mentionné dans son registre, il a déclaré qu’il fallait appliquer l’article 92. 32 alinéa 28 du code du fonctionnaire, et appeler la direction. « Ah bon ? a-t-il dit au téléphone en relevant le sourcil gauche au même niveau que le sourcil droit à cause de la probable incongruité de la réponse, oui, fort bien, a-t-il ajouté avant de raccrocher. Vous allez retourner parmi les vivants, là-haut, ils sont indécis vous concernant. Vous avez cependant le droit de regarder pendant 4.12 secondes le paradis sur un écran cathodique, une idée de Mr. Satan, qu’ils ont accueilli avec enthousiasme. Ses sourcils sont retombés au niveau habituel. J’espère que vous l’avez compris, l’idée, c’est de vous motiver, même si Mr. Satan pense que cela vous poussera au suicide d’avoir raté ça. » Il s’est levé avec un soupir, et a ajouté que la prochaine fois, au lieu de poser la question, je serais un peu plus attentif. Il avait mis en évidence son badge, sur lequel se trouvait inscrit son nom. Jeeves. Un écran est apparu, l’image montrait des fleuves de lait de miel dans lesquels se baignaient de divines et lascives créatures. Il y avait des fêtes partout, des… cela s’était éteint. « c’est fini, a-t-il constaté sans émotion aucune. On me prie de vous conseiller de frapper d’abord, et de penser ensuite. Bon retour, et faîtes attention à bien fermer la porte. »
J’ai ouvert les yeux à nouveau. Aïe ! Mon bras métallique traînait dans le feu, et je l’ai retiré prestement. Il y avait du bruit. Apparemment, ils n’étaient pas morts. Sauvons ce qui peut être sauvé, à commencer par ma pomme. Charité bien ordonnée commence par soi-même, non ?
J’ai donc apposé mes mains sur le trou sanguinolent qui me servait de poitrine, et puis je me suis relevé et j’ai regardé autour de moi. Le barbare avait les tripes en lambeaux, mais continuerait assurément à se battre tans qu’un souffle lui resterait, même si son encéphalogramme allait finir par s’aplatir encore plus qu’il ne l’était déjà. Le moine canardait avec sa fronde celle que j’avais encore sous ma lame trente secondes auparavant. La magicienne semblait gravement blessée, mais tenait debout et immobilisait avec un succès mitigé mais salvateur une partie des bêtes hurlantes. Celle qui semblait être en la plus mauvaise posture, (excepté le barbare, mais cela ne sert à rien d’essayer de le calmer une fois que du sang ennemi le recouvre. Et s’il a mal, c’est pire ! Ça l’excite.) c’était la prêtresse qui, quoique pas encore blessée et en mesure de poignarder la sauvageonne, était entourée de ces animaux étranges et agressifs. Un retrait stratégique s’imposait. J’ai attrapé la prêtresse par le bras et l’ai tiré en arrière à son corps défendant. (sans mauvais jeu de mots) Les bestioles arrivaient. « retraaiiite ! », ai-je crié à tue-tête sans que personne ne m’écoute. Merde ! À présent que j’avais eu un aperçu du paradis, il était absolument exclu que je les abandonnasse. Alors, exaspéré, j’ai formé la ligne avec la prêtresse, et on a commencé à démolir le portrait du monstre le plus proche. L’impensable s’est produit. Le barbare, plus gravement blessé que nous tous réunis et même pas encore recousu, a pulvérisé son adversaire avant de sauter sur le suivant, et le plus gros de tous, non sans avoir lancé sa hache en travers de la gueule de la fille. Les deux bêtes les plus imposantes étaient paralysées par les sorts païens de la magicienne. Avec une ferveur nouvelle due à ces succès inattendus, j’ai frappé la bête qui était devant moi, et elle s’est écroulée. La prêtresse a tiré une flèche sur la sauvage, qui s’est affaissée à son tour. Le moine a dégainé son saï, et attaqué la bête la plus proche. Le barbare a démoli son nouvel adversaire et virevoltait en tous sens, semant la mort et ses organes dans le chaos de la clairière. Ayant terminé le mien, j’ai foncé sur le deuxième monstre qui restait, et que la magicienne paralysait avec difficulté. J’ai frappé, frappé, bientôt rejoint par la prêtresse, mais rien n’y faisait. La bête semblait invulnérable. Nous l’avons hachée, tranchée, tranchée, déchiquetée, mais non ! Elle restait debout et continuait de se battre. Et puis, le barbare est arrivé (il avait fini l’autre…), et ça a été très vite. Il a foncé avec sa hache, qu’il avait récupérée, et a ouvert la chose comme une huître crue, si je puis me permettre. À partir de là, on l’a finie sans aucun problème.
Dès lors, le héros du jour a accepté qu’on fasse quelques nœuds dans ses artères pour essayer de calmer ses multiples hémorragies. Nous sommes retournés à la charrette, sérieusement éclopés, mais satisfaits pour la plupart d’entre mes compagnons. J’ai ramassé le cadavre de la gamine (absolument imbaisable en l’état, de toutes façons) en pensant à ce qu’allait prendre mon karma si je ne lui offrait même pas une sépulture décente. Nous avons récupéré les animaux, pour les peaux et la viande, et retrouvé les cadavres des villageois dans la grotte. Après que j’ai badigeonné l’onguent, nous sommes repartis.
On ne m’y reprendra pas pour autant ! La prochaine fois, c’est la mission officielle d’abord, et la mission-suicide ensuite. Je ne suis pas plus pressé que ça de revoir Jeeves, avec tout le respect que je lui dois.

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