lundi 29 juin 2009

Tout a un prix.

27/06/2009

C’était en été, en fin d’après-midi. Elle en était sûre, car les moustiques étaient de sortie, et elle avait un souvenir très net de la vive douleur occasionnée par leurs piqûres et exacerbée par les grattements furieux auxquels elle s’adonnait. Yuriko courait à ce moment-là sur une herbe brûlée par le soleil, en direction d’une grande roulotte aménagée qui n’avait pas roulé depuis bien longtemps. Plusieurs roues étaient cassées, et un lierre épais s’insinuait dans les interstices dilatés par l’humidité jusqu’à faire éclater les lattes de bois. Si cela avait existé, elle aurait pu comparer cela à un vieux bungalow, vestige d’un nomadisme révolu fait de jeunesse, de voyages et de lendemains qui chantent.
Elle pensait avoir neuf ans, par là, mais n’en était pas tout à fait sûre, de même qu’elle ne connaissait pas précisément le jour de sa naissance. Tout juste supposait-elle être venue au monde au début de l’été. En juin, ou peut-être en juillet, comment savoir ?
Une fois arrivée près de la roulotte, Yuriko avait ouvert la porte en arrachant distraitement une feuille de lierre au passage. Comme d’habitude, la puanteur l’avait saisie aux narines dès qu’elle était entrée. C’était une odeur abominable de bois pourri et de cadavre à la fois. Celui qui dégageait ce fumet était assis dans un fauteuil aussi moisi que son propriétaire, et lui faisait signe d’approcher. Il était affreux à contempler, dévisagé par les rides crasseuses, profondes, brunâtres et nombreuses qui lui sillonnaient le visage. En outre, il la fixait avec ses petits yeux noirs injectés de sang et soulignés de lourds cernes violets imprimés chaque jour un peu plus nettement par le démon de l’alcool. Tremblante d’une peur impossible à faire taire, Yuriko avait obéi, s’approchant de cet homme terrifiant qui l’avait achetée deux ou trois années auparavant. C’est alors qu’un choc puissant lui avait arraché la moitié du visage ; une torgnole comme seul ce patron-là savait les donner. Cette mutilation n’était qu’une impression, mais les ongles jaunes, longs et sales du vieux avaient tout de même laissé de saignantes écorchures dans la chair de sa joue, la marquant cette fois-ci d’une petite fossette qui jamais ne devrait s’effacer. « ça fait trois fois qu’ch’t’appelle » avait-il aboyé avant d’ajouter « c’est lui » à l’adresse de quelqu’un d’autre qui se trouvait dans cette pièce sombre car dénuée de fenêtres. Yuriko se maintenait avec difficulté sur ses deux jambes maigres en serrant dans son petit poing la feuille de lierre. Elle n’avait rien mangé depuis quarante-huit heures, était éreintée, brûlée par le soleil et couverte de piqûres de moustiques grattées jusqu’au sang. Bref, pour tout dire, pas vendable. Le second homme s’était approché, et l’avait forcée à relever la tête. Il était aussi vieux, peut-être même plus que l’autre, mais différemment. Pour commencer, il était paré de beaux vêtements, et semblait plutôt riche, même si sur son visage usé se dessinait une sorte de cruauté qui aurait fait peur à n’importe quel enfant. Des cheveux blancs, encore gris par endroits, assombrissaient l’aspect général de ce vieillard encore plus effrayant que celui d’à côté, en cela qu’il était inconnu.
Cette nouvelle épave avait attrapé Yuriko par le bras, avant de la soulever brutalement. Il la tâtait en plusieurs endroits, vérifiant ses dents, ses yeux, et jetant un regard soupçonneux sur ses croûtes infectées. « Vous m’avez menti, avait-il dit sans interrompre son expertise, c’est une fille.
- Z’en voulez quand même ? demanda l’autre vieux, avant de boire quelques gorgées d’un liquide sombre à la mémoire de sa tromperie démasquée, au goulot d’une bouteille tordue.
- Qu’est-ce que je pourrais bien en faire ? » l’intéressé réfléchissait en fronçant les sourcils. « Est-elle vierge ? Il y en a qui sont prêts à payer cher pour de jeunes vierges…
- J’crois qu’non, avait répondu le vendeur, renonçant à mentir. Bon, écoutez, j’vous la laisse pour la moitié du prix qu’j’en voulais, mais prenez-la moi. »
L’ombre de la commisération était passée sur le visage du vieux aux cheveux blancs et propres. Un quart. Un quart seulement du prix, et il pouvait le croire, cela faisait déjà beaucoup. C’est à ce moment-là, quand ils en étaient à ce fameux quart, que tout s’était troublé. Les voix qui négociaient s’étaient faites plus lointaines, et la feuille de lierre était tombée de sa paume. Anémiée, maltraitée, Yuriko s’était ce jour-là tout simplement évanouie avant de savoir le prix qu’on donnerait d’elle.
Ce souvenir s’envola alors qu’elle revenait à la réalité. La respiration régulière des dormeurs était une berceuse qui la plongeait parfois dans un demi-sommeil où les rêves ne contenaient que du passé. Sa main vint toucher un petit creux dans sa joue. Elle avait trop lu ; la fatigue oculaire l’empêchait de continuer à se concentrer. Cela faisait cinq fois qu’elle relisait la même phrase, mais elle voulait finir ce bouquin avant que tout le monde ne se réveille.
Repenser au bruit intolérable des os qui se brisaient lui donnait envie de vomir. Les autres ne l’avaient pas vue tuer le grimpeur, mais ils en avaient vu le résultat, et il semblait que personne n’y ait attaché la moindre importance. Le sens aigu s’il en était qu’avait santa Jedidah de la justice lui avait sans doute soufflé que leurs agresseurs avaient trouvé là un châtiment approprié. Fascinée par l’extraordinaire propension à légitimer la cruauté et le cynisme dont faisaient preuve les religieux en général, Yuriko s’était plongée cette nuit-là avec appréhension dans la lecture des conditions générales d’utilisation (CGU) de la morale chrétienne, j’ai nommé la bible.
Etonnamment, le contenu de l’ouvrage (et même s’il lui manquait le premier tome) n’avait pas grand’chose à voir avec le peu qu’elle connaissait de la chrétienté, et différait même profondément du message que dévots et bigotes véhiculaient en chiant sciemment sur leur propre morale. Ainsi, nulle part, et contre toute attente, il n’était fait mention de ce que la mort pouvait d’une manière ou d’une autre se mériter. Au contraire, le personnage principal, Mr. Christ, défendait un point de vue somme toute respectable, à savoir qu’il fallait aimer son prochain à tout point de vue et dans toutes les positions. (Le genre de mec insupportable, qui tend l’autre joue quand on lui donne une claque, v’voyez ? M’enfin bon, on était tout de même assez loin de la rengaine habituelle « je pense donc tu suis » des ecclésiastiques croulants ou des saintes fanatiques.)
Peut-être que son étonnement à la lecture de cette œuvre (où était donc le nom de l’écrivain ?) était-il dû au fait qu’elle ne l’avait lu qu’une seule fois, au premier degré, et sans chercher à faire de la casuistique à tout va. Toujours est-il que cela l’avait occupée jusqu’au petit matin. La lumière filtrait à travers la vitre sale de la maison de Kendrick depuis environ une demi-heure, juste assez pour qu’elle ait éteint la bougie. Les autres dormaient paisiblement, sans le moindre malaise. On frappa à la porte.
Refusant de se déplacer, Yuriko donna nonchalamment un petit coup de pied au dormeur le plus proche, sans regarder lequel, et annonça sans plus d’aménité qu’il y avait quelqu’un. Léander remua et réveilla les deux autres. Le visiteur tocqua de nouveau, Skyla se dirigea d’un pas assuré comme celui de peu d’ivrognes vers la porte, et l’ouvrit. Concentrée sur son bouquin, qui en arrivait au moment où père, pourquoi m’avais-tu abandonné ?, Yuriko essayait autant que faire se peut de ne rien voir ou entendre pour, en cas de besoin, ne rien pouvoir en dire. Peine perdue. On lui colla bientôt une lettre sous le nez, avant de lui annoncer qu’un gamin venait de l’apporter.
« Hé, salut les copains, et bravo pour la performance, ils étaient les meilleurs de leur promo. Je voulais vous tester, c’est fait. Maintenant, on se retrouve sur tel bateau à dix heures et on fait copain-copain et je vous renseigne sur ce que vous avez demandé, ça vous va ? Allez, ciao, et moi aussi, je vous aime. Kornel.
PS : Amenez dix pièces d’or, j’ai besoin de fonds de soutien. » Voilà, en substance, quel était le contenu de la missive.
C’était une blague ? Il croyait vraiment qu’ils allaient se jeter droit dans ce traquenard, après le petit massacre du soir précédent ? Ha ! Ils n’étaient quand même pas si stupides… À d’autres.

Eh bien si, ils l’étaient, visiblement, sinon comment expliquer le fait qu’ils y soient allés ? Dix pièces d’or d’honoraires ? Très bien, Yuriko était prête à les payer elle-même si ce n’était pas un piège. Prépare le blé, Léander, tu vas perdre. Elle suivit donc de mauvaise grâce et en râlant le petit cortège qui se dirigeait vers le port. Après une bonne demi-heure de recherche, ils trouvèrent le bateau en question. Il n’y avait personne en face, enfin une bonne nouvelle ! Elle s’affala, sûre d’avoir gagné, à la terrasse d’un bar qui donnait sur le port. Qu’est-ce que j’vous sers ? Il y a des boissons sucrées avec des bulles ? De la bière mélangée à du jus de fruits, ce sera bon ? D’accord, mais sans la bière, s’il vous plait. Elle surveillait du fond de sa chaise en osier le bateau amarré autour duquel tournaient en vain Mannrig, la sainte et Léander, à quelques dizaines de mètres de là. Apparemment, ce n’était pas un piège, juste un lapin. Peut-être que l’érudit ne se souviendrait pas précisément des termes du pari, et qu’elle pourrait s’arranger pour ne pas payer.
C’est alors que Mannrig se hissa sur le pont du petit bateau. Elle ne le voyait plus. C’était l’heure du rendez-vous, passée, même, et Skyla et Léander l’imitèrent. Se levant à regret, Yuriko s’avança à son tour vers le lieu du rendez-vous, sans attendre son jus de fruits. Tu vas voir qu’elle avait perdu, à tous les coups ! Eh ouais ! Incroyable, se disait-elle en montant sur le pont. Elle n’en revenait pas du culot de leur barbu, là, Kornel. Leur donner tranquillement rencard, juste après avoir tenté de les faire assassiner, cela ne lui posait donc aucun problème ? Elle s’énervait, d’autant plus qu’elle avait perdu son pari. Alors comme ça, il avait voulu les tester ? Voir s’ils étaient dignes de confiance ? Et si elle le « testait », là, maintenant, tout de suite ? Hein ? Il était vraiment… Allez, qu’elle le dise, vraiment quoi ? Méprisable, tout simplement. Un gros lâche qui fanatise ses sous-fifres au point que ceux-ci préfèrent se donner la mort plutôt que d’échouer. Bravo ! Il rigolait doucement. Bon, ils les voulaient, ces infos, ou quoi ? Le fait était qu’il y avait bien un jeune premier qui montait les marches du succès à une vitesse suspecte, en ce moment. Bardley, se surnommait-il, personne ne connaissant son vrai nom. En deux semaines, il était passé du rang de sous-merde à celui de sous-chef, ou quelque chose comme ça. C’était un peu trop rapide au goût de certains, d’autant plus qu’il entraînait les dirigeants légitimes (si l’on peut parler de légitimité) de la pègre locale sur la pente glissante des très gros coups. Avant, Kornel et ses hommes se contentaient de racketter les marchands et de casser quelques doigts aux plus mauvais payeurs, mais depuis que ce Bardley était arrivé, ils étaient tous passés à la vitesse supérieure. D’ailleurs, peut-être s’en étaient-ils rendus compte, mais en ce moment, en ville, c’était chaud ! Eh oui, tout cela était l’œuvre de ce petit nouveau… Le coup des capsules de poison, c’était lui aussi, bien sûr ! Qui serait assez cruel pour faire une chose pareille, ha, ha… À présent, il préparait quelque chose avec le boss. Quelque chose de gros, suffisamment pour justifier un décuplement de l’activité criminelle pendant la préparation, histoire de faire diversion. Non, il ne savait pas en quoi cela consistait, et même pas envie de le savoir. C’était bien trop dangereux pour lui, point. La politique, c’était pas son truc…
En ce moment, ils allaient partir pour Americh, si ce n’était pas déjà fait, pour préparer leur affaire, mais il n’aurait su en dire plus. Très intéressant, tout ça ! Puisqu’Americh était au Sud-Ouest, on savait à présent qu’on allait partir pour le nord-est ! « Et pour ce qui est de cet agent de l’apocalypse, vous ne savez rien, naturellement… interrogea encore Skyla.
- Je crois pas à ces trucs-là, répondit Kornel en haussant les épaules. C’est n’importe quoi, votre truc.
- Là-dessus, on est d’accords, lâcha Yuriko avec dans la voix un peu plus qu’une simple pointe d’énervement.
- Hé, mais c’est qu’on va finir par s’entendre, dit l’autre, tout sourire.
- Nan, je crois pas, vous êtes trop égoïste, vénal et égocentrique pour ça. » Les gens comme Skyla avaient beau lui sortir par les trous de nez, elle parvenait à peu près à comprendre leur logique, mais un type comme ça, prêt à vendre sa grand’mère et à buter n’importe qui pour arriver à ses fins, (je vous dis pas la gueule des fins) c’était plus dur. Avoir envoyé à la mort cinq de ses larbins ne lui posait aucun problème, et il envisageait maintenant d’aller polluer d’autres rivages avec sa stupidité crasse et ses gros souliers de pourri de la première heure.
« Pourquoi tant de haine ? demanda-t-il d’un air faussement candide.
- J’ai tué quelqu’un à cause de vous.
- Rhooo… ‘faut pas s’en faire pour ça, moi, vous savez, la première fois, j’ai saigné du nez pendant deux jours. Après, on s’habitue.
- Pauvre chou… »
Enfin bon, le pauvre chou s’en fut sur ces entrefaites avec sa coquille de noix, pour la côte du commerce, paraissait-il. Bon vent.
Aussi incroyable que cela paraisse, l’évocation devant Skyla du nom de quelqu’un d’extrêmement dangereux avait suffi pour emporter sa décision de se jeter dans ses bras. Pire, les autres avaient l’intention d’y aller avec elle ! Où ça ? Mais à Americh, pardi ! La cité du libre-échange, où nulle autre loi que celle du marché ne gouverne. La ville indépendante et libre de l’argent, des contrats et des casinos. Des casinos ? Oui, des casinos, des tripots, de la roulette, du baccara et du poker, à ne plus savoir qu’en foutre ! Elle ne voulait toujours pas venir ? Eh bien, il fallait avouer que ce n’était pas inintéressant. En fait, y aller n’était pas vraiment le problème, de ce point de vue-là, elle, elle voulait bien… simplement, dit-elle en s’adressant à Skyla, il y avait une condition. Laquelle ? PAS d’imprudence, PAS de discours d’illuminée dans les lieux publics, PAS la peine de compter sur Bibi pour la ramasser à la petite cuillère si elle s’attirait des ennuis, comme à son habitude. C’était clair ? Bon, eh bien dans ce cas, on pouvait y aller.
Americh était à deux semaines de voyage à cheval, si on ne traînait pas.

Plus que quatre jours, et ils seraient à destination. Courage ! Yuriko était sur les nerfs, tous ses instincts de sédentaire congénitale lui hurlaient d’arrêter immédiatement cette torture. Elle n’aimait pas particulièrement voyager, mais habituellement s’arrangeait pour faire durer le trajet le moins longtemps possible. Deux semaines, c’était inconcevablement long. En plus, elle avait échoué une fois de plus à faire jouer de l’argent à Skyla, et cela faisait deux jours qu’elle-même n’avait rien parié. Indéniablement, cela lui manquait.
Tout cela pour dire qu’elle n’aurait pas pu sommeiller une nuit de plus dans cette tente qui puait le renard, et qu’elle les avait forcés à s’arrêter à un relais. Elle déprimait, au fond de cette auberge un peu sombre et sans rien d’autre de particulier que son aspect morne et gris, et commençait à songer à la boisson, quand soudain, quelque chose lui fit écarquiller les yeux autant qu’elle le pouvait. Là-bas, à la table près du comptoir, une femme asiatique venait de commander le plat du jour. Ici !? Cela faisait super longtemps qu’elle n’avait pas vu de jaunes. Le dernier en date devait être Yoichi, il y avait donc plus d’un an. Rassemblant son courage et ses idées, Yuriko essaya de se souvenir de la façon dont on disait bonjour et comment ça va dans cette langue de barbares. Quand elle fut à peu près sûre de s’en rappeler, elle se leva en dérangeant les autres, pour aller voir l’étonnante étrangère. Cette dernière était à moitié planquée derrière un éventail, voilà pourquoi Yuriko ne l’avait pas remarquée au premier abord. De près, elle se rendit compte qu’en plus, elle était vraiment très belle. Et apparemment pas emmaillotée comme l’autre drag-queen dans des nippes informes et une stupidité crasse.
« Bonjour. Comment ça va ? » Demanda Yuriko d’une voix mécanique et maladroite, due au fait qu’elle avait perdu l’habitude de ce langage. Si l’autre était surprise, elle n’en montra rien. Comme elle maîtrisait mieux le latin que son interlocutrice ne baragouinait l’ogashima, elles optèrent pour la langue du monde chrétien, somme toute bien pratique. Hiruko (pas tout à fait sûr pour le nom.), c’était son nom, avait fui le Lannet pour des raisons personnelles qu’elle ne tenait pas spécialement à étaler ici. D’accord. Elle ? Oh, ben, elle faisait le garde-chiourme pour une folle qui voyait l’apocalypse dans chaque cuvette de toilettes en attendant d’arriver à Americh. Intéressant… Elle aussi allait là-bas. Pour affaire ? Plutôt pour s’y réfugier, mais là n’était pas la question. (Avez-vous remarqué l’excellent jeu de mots ?) Ils repartaient quand ? Le lendemain matin, vraisemblablement. Elle pouvait venir, tout à fait.
Après quoi Yuriko la présenta à ses collègues de route, interrompant sans scrupules une énième discussion sur l’agent apocalyptique que Skyla soupçonnait d’être Bardley. Les trois saluèrent brièvement Hiruo, et Léander lui demanda, car deux points de vue valaient mieux qu’un, si effectivement tous les japs passaient leur temps à parier de l’argent sur tout et n’importe quoi, avant de se replonger avec la sainte obsédée dans les questions de l’un et les réponses de l’autre. « Mais au fait, demanda soudain l’érudit précoce, d’où sortez-vous toutes ces informations ? » (Assurons-nous bien du fait avant de nous inquiéter de la cause, © Fontenelle.) Skyla répugnait à répondre, mais devait bien se rendre compte qu’elle jouait là le peut de crédibilité qui lui restait. Finalement, elle lâcha le morceau : c’était la sainte inquisition.
Ah ouais, quand même ! « C’est quoi, l’inquisition ? » demanda Mannrig avec l’air candide et innocent d’un enfant qui demande à ses parents si c’est grave d’avoir la leucémie. C’était des gens comme elle, répondit Yuriko en montrant grossièrement la dévote du doigt, mais en plus dangereux. Par parenthèse, elle se permettait de lui faire des remarques sur sa moralité, et traînait avec des gens comme ça ? Enfin bon, la discussion allait bon train, si ce n’était qu’elle s’envenimait, et toute prudence les abandonna bientôt. Ils continuèrent à se disputer jusque tard le soir.
Une bonne nuit de sommeil là-dessus, et ils repartirent.

Americh.
Il y avait vraiment de tout, là-bas, sauf peut-être un pouvoir en place. Les architectures de tout poil se côtoyaient, allant des maisons orientales aux huttes ou aux casbah. Le luxe indécent de certaines demeures éclipsait la misère honteuse de la plupart des autres. La rue était bondée de gens normaux, de vieux et de mendiants qui se superposaient les uns au autres dans une cohue infâme et homogène, mais hétéroclite. Sans descendre de son cheval, Mannrig arrêta dans la rue un individu dont le principal trait caractéristique était une normalité hors du commun, et lui demanda d’effectuer une recherche sur le disque dur avec les entrées « Auberge » et « Riche ». L’homme ne sut répondre qu’un baragouinement inintelligible ressemblant vaguement à une langue humaine inconnue, et s’éloigna. « Quelqu’un parle latin, ici ? » interrogea alors à la criée le sauvage sociopathe. Refoulant au fond d’elle-même sa sainte horreur (ha, ha, ha) du troisième âge, Yuriko plongea la main à l’intérieur de la masse humaine grouillante qui s’était répandue sur la chaussée, sans oser y poser les pieds pour autant, préférant la surélévation sécurisante de sa monture. Elle parvint à agripper ce qui, au toucher, semblait bien être du tissu, et tira brutalement.
Au bout de son bras pendouillait à présent un gamin (douze ans, peut-être ?) qu’elle avait réussi à extirper de la cohue. Hiruko, qui était à côté, sursauta brusquement alors qu’elle-même poussait un soupir de soulagement à la vue de ce qu’elle avait attrapé. Essayant de faire preuve de patience, Yuriko répéta les tags déjà donnés par Mannrig avec un sourire forcé. Auberge. Riche. Et elle ajouta, vite, parce que non mais ho. Le quartier des contrats ! Allez là-bas, vous trouverez tout ce dont vous avez besoin ! Visiblement, il n’avait pas la moindre envie de les y conduire, mais se retrouva bientôt suspendu par le col, à trente centimètres au-dessus du sol. « Maintenant, tu imagines que tu es une boussole – Tu sais ce que c’est qu’une boussole, n’est-ce pas ? – dont ton bras est l’aiguille, et que le quartier des contrats, c’est le nord. Si t’es sage, t’auras cinq pièces de cuivre, sinon, je tape sur ma boussole jusqu’à ce qu’elle fonctionne correctement. » Personne dans la rue ne semblait accorder le moindre intérêt à cette pédagogie désastreuse qui aurait pu passer pour une agression. Même Skyla semblait trop fatiguée pour protester, et à part Hiruo, qui lui demandait depuis tout à l’heure de jeter cette chose dans le caniveau, les autres approuvaient visiblement cette violence utile et cette clarification dans les rapports humains. C’est vrai, quoi ! Les gosses ne s’exprimaient jamais clairement et simplement, à moins qu’on les y oblige. Des fois, c’était lourd !
Il parvint, malgré le manque d’oxygène, à maintenir le bras en l’air pendant suffisamment longtemps pour les orienter jusqu’à ce qu’ils trouvent le quartier en question. Là, chose étrange, il laissa tomber sa main et commença à se tortiller pour échapper à la poigne étouffante de Yuriko. Celle-ci, légèrement inquiétée par la teinte violette qu’avait pris le visage de son guide, le descendit suffisamment pour qu’il touche du bout des pieds les pavés de la rue. « Ici, dit-il en suffoquant, quartier… contrats… vous y êtes… ‘veux pas y aller !
- Pourquoi donc ? demanda Yuriko en le lâchant enfin.
- Vous trouverez vous-mêmes ce que vous cherchez, moi, j’ai pas à me trouver là, dit le môme en reprenant son souffle. Mon argent » ajouta-t-il en tendant la main d’un air exigeant.
Yuriko fouillait dans ses poches, mais n’y trouva pas la moindre pièce de cuivre, et demanda à Mannrig s’il n’avait pas un peu de mitraille sur lui. Il chercha à son tour, mais ne trouva qu’une seule petite pièce rouge, qu’il tendit cérémonieusement au gamin. Ce dernier l’attrapa d’un geste vif, et commença à protester. On lui en avait promis cinq ! Il gesticulait et criait. Hiruko, déjà quelque peu stressée, semblait littéralement paniquer à la vue de ce petit être hurleur. Alors, pour mettre un terme à tout ceci, Yuriko enfourna une pièce d’or dans la bouche grande ouverte qui lui cassait les oreilles, avant de la refermer de l’autre main et de secouer la bride de son cheval. On était partis, et surtout, au plaisir de ne pas te revoir, sale gosse ! (1po = 1000 pc, il s’en tire bien !)

Joli coin de ville ! Ici, au moins, il n’y avait pas de vieux mendiants sales aux doigts crochus qui cherchaient à vous attraper la jambe pour vous mordre et vous transformer en l’un des leurs ! Yuriko avançait en regardant autour d’elle, et descendit de selle au premier deux étoiles qu’ils croisèrent. Elle ouvrit la porte, regarda un instant, et changea d’avis. Il n’y avait personne, les murs étaient blancs, l’ambiance feutrée et les couloirs sans doute silencieux. On s’y ferait chier comme des rats morts ; pas question d’y aller.
Le second bouge, à quelques jets de pierre de là, était bien plus accueillant. Déjà, il y avait beaucoup de monde, les gens discutaient dans un brouhaha apaisant, et buvaient des choses alcoolisées dans la semi-pénombre nimbée de fumée bleuâtre et d’odeurs de vieux bois. Elle entra d’un pas décidé en compagnie de Mannrig et d’Hiruko, pour se diriger vers le comptoir. Le tenancier présumé cessa un instant de servir les clients pour se consacrer aux nouveaux arrivants. Combien, la nuit ? Et la bouffe ? Ok, très bien, ce serait donc cinq chambres, pour commencer. Il y avait un tripot, par ici ? En face ? Parfait. Mannrig posa une pièce d’or sur le bois en précisant bien que c’était pas un don du ciel : ils voulaient une table et des boissons. « Qu’est-ce que je vous sers ? Interrogea l’aubergiste affairé en chassant d’autres clients d’une table occupée pour faire de la place.
- Surprenez-moi ! » Lança Mannrig avant d’aller s’asseoir.
Yuriko s’installa à la même table que lui, regarda distraitement dans sa besace et ouvrit des yeux ronds en voyant le grand verre plein d’une boisson colorée à trois étages qu’on venait de servir au sauvage. « Patron, la même chose, avec des cigares ! » Réclama-t-elle en étendant les bras sur la banquette, un large sourire aux lèvres. Fabuleux, fabuleux ! Cette ville semblait réellement agréable. On lui servit un Surprenez-moi à elle aussi, qu’elle goûta immédiatement après avoir allumé un cigare. Ah, d’accord. Dans un sens, oui, c’était surprenant. Skyla et Léander entrèrent à leur tour, et vinrent s’asseoir à cette même table. Yuriko expliquait à Hiruko le fondement du monde civilisé : les règles du poker. D’abord, on prenait un cigare, ensuite, on mélangeait les cartes… Quoi ? Et pourquoi non ? Alors comme ça, on discutait les règles avant même de savoir jouer ? Fais gaffe, ma fille, ne pas fumer et ne pas boire, c’est le meilleur moyen de vivre vieux. « Mais, les interrompit Léander, quel est ce breuvage ?
- Un Surprenez-moi. » Répondirent de manière parfaitement synchronisée les deux japs et le sauvage.
Il voulait goûter, eh ben, patron, fais péter les Surprenez-moi, dans ce cas. Attention, c’est fort. Skyla n’en voulait pas, à la place, elle demanda du cidre et un saucisson. (ça m’a marqué, comme pour le coup de la biche.)
C’est à peu près à ce moment-là que Yuriko s’aperçut qu’ils étaient six autour de la table. Un petit bonhomme à l’air filou avait pris place. Bonjour, dit le nouvel arrivant, tout sourire, il pouvait prendre un cigare ? De bonne humeur, et trouvant à ce type quelque chose de très sympathique, elle lui en tendit un et l’alluma avec le sien. Un Surprenez-moi, avec ça ? Attention, c’est fort. Eh ben, va pour un Surprenez-moi, alors… Patron ! Un autre ! Bon… alors, qu’est-ce qui l’amenait ? Il vendait une marchandise impalpable, invisible et inaudible, et pourtant le genre de marchandise qui pouvait avoir plus de valeur que n’importe quoi. De l’oxygène ? Non, des renseignements.
Aaaaah… Yuriko se tourna vers Mannrig. « J’ose ? » puis, montrant Skyla du doigt « Elle. Elle a plein de questions à vous poser ! » Imaginer la tête de l’indic’ quand cette allumée commencerait à lui déballer son baratin apocalyptique lui donnait vraiment envie de rigoler. Finalement, et comme l’autre ne comprenait pas, elle lui demanda comment il s’appelait. Comme elle voulait. Roger, c’était bon ? Ah ouais, mais non, plutôt Ernst, en fait. Mais il avait dit « comme tu veux » ! Bon, bon, va pour Roger, dans ce cas. Peut-être était-il au courant de ce que le sommet de la pègre Brudgienne allait s’offrir quelques jours de bon temps dans le coin, si ce n’était déjà fait ? Non, mais où voulait-elle en venir ? Eh bien, la jeune femme qu’il voyait là aurait souhaité quelques renseignements sur ce déplacement, en particulier concernant un certain Bardley. Ils préparaient un gros coup au Kanon, pour bientôt, et elle aurait aimé savoir pour quand c’était, et de quoi il s’agissait. Ok, il leur trouverait ça en moins de deux. Qu’était-ce à dire, moins de deux heures ? Ah non, p’têtre pas quand même. Moins de deux jours ? Assurément. Et ça allait coûter combien, tout ça ? « Cela dépend de vous…
- Dites un prix.
- Cinq pièces d’or.
- Six. Et une partie de poker.
- Maintenant ?
- Maintenant. »
(MJ : « Son sourire s’élargit ») Sans surprise, ils se firent littéralement plumer par Mannrig, au point que Roger se demandait, après la troisième partie, où il dormirait ce soir-là. Yuriko lui paya la nuit ici, finit son deuxième Surprenez-moi et s’étira. Qui voulait aller un peu en ville avec elle ? Mannrig était sorti à la suite de l’indic’, Skyla était montée dans sa chambre, et Léander se tenait la tête, faute de tenir l’alcool. Restait Hiruko. C’était l’occasion rêvée de faire un peu de tourisme, elle voulait venir ? Oui ? On était parties, alors.

C’était absurde à dire, mais cette sainte ingénue ne lui apparaissait pas vraiment comme coupable d’imprudence, mais bien plutôt comme victime de naïveté. Dans le fond, Yuriko ne la détestait pas, c’était juste de la colère. Elle aurait aimé que Skyla soit plus réaliste et plus critique des informations qu’elle recevait. Croire sur parole le premier venu, c’était non seulement stupide, mais dangereux. (Bénis soient les simples d’esprit car le royaume des cieux leur appartient déjà, comme dirait l’autre.) Il y avait trois solutions, en fait. On pouvait composer avec son entêtement fanatique, l’accompagner et la raisonner, ou alors composer sans, c’est-à-dire la laisser dans sa merde. La troisième solution étant d’aller à son encontre, et l’envoyer dans cette clinique pour soigner les déments dont lui avait parlé Léander.
Ah, et pour ne rien arranger, il y avait cette histoire d’inquisition… Assurément, ils étaient encore plus malades qu’elle, dans le genre produits dérivés épiscopaux. La sainte avait-elle réellement le choix ?
Yuriko soupira en marchant dans la rue à côté d’Hiruko. Pourquoi c’était à elle que ça arrivait, ce genre de trucs ? Elle se rendait bien compte qu’ils marchaient sur un chemin dangereux, et une petite voix timide… non, plutôt une grosse voix insistante, lui disait de prendre la fuite immédiatement, avec ou sans les autres.
Cette grosse voix, c’était son instinct de survie.

Suite un jour ou l’autre. L’été, c’est long.

Cauchemars.

26/06/2009

Fini ! Marre, il était épuisé. Kurt remit son manteau sur ses épaules et quitta le "cours" magistral de Néro pour retourner à l'auberge. Les autres ne tarderaient pas à le suivre, de toutes manières. Une fois rentré, il s'assit à la table, laissa tomber sa tête dessus et attendit. Ils arrivaient les uns après les autres, comme une procession de visages mornes, mais peut-être était-ce seulement à cause de leur état de fatigue. Peut-être était-ce aussi parce qu'en ce moment, tout lui semblait gris et triste. Foutu climat. La pluie était s'était calmée, mais continuait à tomber, et pour ne rien arranger, il se savait condamné à mort autant que condamné à ne plus tuer, et cela le désobligeait. Au fond, il aimait bien ce monde, et aurait souhaité le quitter le plus tard possible.
Aussi fit-il la gueule pendant tout le repas, n'écoutant pas trop ce qui se disait. Franz parlait beaucoup, d'une voix forte et gracieuse, montrant sans doute qu'il avait de la conversation. La seule chose qui égaya sa soirée, ce fut quand Paola lui chuchota à l'oreille qu'elle avait oublié une chose : elle ne considérait évidemment pas comme un meurtre un homicide commis en légitime défense. Ça, c'était une bonne nouvelle ! Il n'avait donc plus qu'à se faire agresser, et c'était tout bon !
Après le repas, électrisé par ce qu'il venait d'entendre, Kurt prit ses affaires, sa collection d'armes, et descendit. Tout ce qu'il avait à faire, c'était provoquer quelqu'un ! Hélas, alors qu'il s'apprêtait à partir, le tenancier le retint. Où est-ce qu'il allait ? Ne savait-il pas qu'on ne devait pas sortir la nuit, par ici ? Eh bien, parce que c'était comme ça, il comprenait cet étonnement venant d'un étranger, mais on ne sortait pas la nuit si on tenait à sa peau. Non, c'était pas par peur de quoi que ce soit, mais quand on retrouvait les noctambules, c'est à dire rarement, c'était en plusieurs morceaux, et jamais entiers. D'ailleurs, son ami, là, il était sorti une demi-heure auparavant, et il vaudrait mieux pour lui qu'il rentrât en vitesse, s'il ne voulait pas trouver porte close. C'était vraiment frustrant, et en plus, cet imbécile ne voulait même pas cracher le moindre renseignement supplémentaire sur la menace qui rôdait au-dehors. Kurt l'aurait bien torturé un peu, pour vérifier et pour ne pas perdre la main, mais c'eût été imprudent, et pas très discret.
Dépité, il remonta donc les escaliers et remonta dans le dortoir. Cette pièce comportait, en plus des lits et des dormeurs, deux entrées, dont celle qui donnait sur la cage d'escalier d'où il arrivait. L'autre ouverture menait aux chambres. Soudain pris de curiosité, il s'y dirigea pour écouter aux portes. Première porte, rien, deuxième porte, des ronflements, troisième porte, ah ! Tiens, on s'éclatait, là-dedans. Kurt grimaça. Ça le foutait en rogne qu'on pût s'envoyer en l'air alors que lui-même n'avait pas droit à son calmant personnel. Absolument convaincu qu'en pareil cas le bonheur d'autrui ne pouvait être qu'illégitime, il cria, en imitant maladroitement mais du mieux qu'il pouvait la voix de l'épouse de l'aubergiste qu'on allait cesser de faire du bruit, ho, parce qu'il était temps de dormir, dediou !
Puis, dans une colère qui aurait été noire si elle n'avait pas été fortement diluée dans la peur, il retourna au dortoir et se glissa dans son simulacre de lit. De quoi avait-il peur ? Eh bien, tout simplement, il venait de réaliser qu'il avait peut-être réveillé Myllenia, ou pire, dérangé ! Si elle avait reconnu sa voix... Après plus d'une heure de profonde inquiétude, il la chassa de ses pensées et parvint à s'endormir.
Mais au cœur de la nuit, il se réveilla brusquement, et regarda autour de lui. Dans le lit voisin, Virgil semblait désseché, ridé comme un vieux cadavre, ou comme un raisin sec, selon l'image que l'on préfère. Kurt sauta de son lit. Tous ceux qui dormaient étaient dans le même était que son regretté collègue. Que se passait-il ? Il étrait presque nu, vêtu seulement d'un pagne et de bijoux dorés, des bracelets et une sorte de collier scintillants. Avant qu'il ne pense à se demander d'où venait la lumière qui faisait scintiller ces ornements, une apparitions le fit sursauter. C'était un homme habillé exactement comme lui, qui demanda d'un ton suppliant "Pardonnez-moi... pardonnez-moi..." Le tueur blond paniquait sérieusement. Mais qu'est-ce que c'était que ce type ?! "Pardonnez-moi, par pitiééé, j'ai cru bien faire, c'était pas ma faute !
- Je vous pardonne ! répondit Kurt, c'est bon, je vous pardonne tout ce que vous voulez, mais ne m'approchez pas !" Il défit pagne et ceinture, et les noua de manière à se faire un substitut d'arme de chiffonnier. L'homme (que j'imagine halé, mais je ne crois pas que cela ait été précisé... simplement, quand on me dit pagne + bracelets en or, je vois des égyptiens.) se jeta alors sur lui, et commença à se creuser de rides causées par la déshydratation. Kurt le repoussa et, affolé, courut vers la sortie du dortoir. Mais quelle sortie ? La porte des chambres, ou celle des escaliers ? Il se rua vers celle des chambres, et en actionna la poignée. Et merde, verrouillée ! Kurt jeta un regard derrière lui, l'autre le suivait. Vite, défoncer la porte ! C'est à ce moment-là qu'il remarqua qu'il n'y avait plus de poignée, et que la porte était peinte sur le mur. (MJ : "en trompe-l'oeil" ) Un instant, stupéfait, il la regarda sans rien faire. "Pardonnez-moi" cria quelqu'un, juste derrière lui, le tirant de sa torpeur. Il courut sans même regarder par-dessus son épaule vers la porte de l'escalier, qui s'ouvrit immédiatement. Dans son dos, l'homme était toujours à sa poursuite, c'était sûr, et Kurt s'engouffra dans la cage d'escalier, courant du plus vite qu'il le pouvait. Il était complètement paniqué, incapable de retrouver son calme et pour ne rien arranger, l'escalier semblait ne pas avoir de fin ! Les marches se succédaient sans que jamais n'apparaisse la dernière. Sautant, il perdit l'équilibre et chuta brutalement sur les pierres anguleuses. Endolori, il se redressa péniblement et releva le chef. Quelques marches plus haut, l'individu en pagne secoua la tête et lui demanda d'une voix toujours aussi larmoyante de le pardonner, il ne l'avait pas fait exprès, c'était pas sa faute.
Avec les ailes que lui donnaient la trouille, Kurt se releva et recommença à dévaler l'escalier. Bientôt, son pied finit par se poser sur une marche inexistante, et il tomba dans le vide. L'obscurité au fond, la lumière ne haut. Devinez dans quel sens l'entraînait la gravité. Pestant hurlant, Kurt se pinçait les bras aussi fort qu'il pouvait, mais il n'y avait rien à faire, et il ne parvint qu'à se faire mal. La chute lui sembla infinie, mais elle eut tout de même une fin, sinon ça n'aurait pas été drôle.
Il était tombé sur un tas de cadavres similaires à ceux qui se trouvaient dans le dortoir. Il y en avait partout, à perte de vue. À côté de lui, il y avait le même homme, qui lui demanda de le pardonner, encore une fois. Perdant toute raison, Kurt le frappa avec son pagne, en hurlant "je te pardonne, je te pardonne !" et le pruneau d'Agen qui lui servait de cible se désagrégea, lâchant de gros bouts de barbaque à chaque coup. Presque entièrement nu, il courait dans tous les sens, cherchant désespérément une sortie, alors que les autres corps commençaient eux aussi à se liquéfier. Il s'enfonçait, mais parvenait à surnager dans cette mélasse de chair fondue en se débattant furieusement. Il atteint une paroi à laquelle il put s'agripper, imparfaitement, mais c'était toujours ça de pris.
Soudain, une corde tomba du plafond. Kurt réfléchit à toute vitesse. S'il l'attrapait, il allait sans doute crever ; s'il ne l'attrapait pas, il allait sans doute crever. Dans le doute, il l'attrapa en se jetant dessus. La corde sursauta, comme si le pêcheur qui l'avait lancée avait ferré son poisson, et on commença à le hisser. En haut, il y avait de la lumière : une ouverture ! Il montait et montait, et finit par l'atteindre. Un colosse l'y attendait. (MJ : "du gabarit du maître d'armes." ôO) Ce dernier lui annonça avec sérieux qu'il ne fallait pas manger trop de viande, et de manière générale, éviter les aliments trop gras. L'important, surtout, c'était que le tout soit bien équilibré.
C'est à ce moment-là qu'il y eut un flou, et qu'il ouvrit les yeux. Au début, il ne comprit pas que la paroi noirâtre qu'il voyait était en fait le plafond du dortoir. Il se leva, en sueur, et réveilla les autres, pour leur raconter qu'il avait fait un cauchemar super-réaliste. Ni Nalya ni Néro n'étaient là, mais il se rendit compte au fur et à mesure qu'il parlait que, heu... il passait pour un con. Heureusement pour lui, Virgil les informa d'une voix hésitante qu'il entendait, en ce moment, des voix, et que ça lui disait quelque chose, quelqu'un qui demandait à ce qu'on lui pardonne. Enfin, il y en avait beaucoup, et la grande majorité d'entre elles étaient en langues étrangères, mais il lui semblait bien avoir déjà entendu ça... D'ailleurs, à ce propos, il avait aussi entendu parler une vieille femme réclamant son bébé... Quoi ? Et c'est maintenant qu'il le disait ? Oui, mais... on verrait ça le lendemain matin, de toutes façons.
Kurt retourna se coucher en même temps que les autres, en jetant au passage un regard mauvais à Myllenia et Franz qui retournaient dans la troisième chambre. Il ne parvint néanmoins pas à s'endormir. Trop éprouvé, trop traumatisé. Dès qu'il fermait les yeux, il voyait des cadavres à tête de pruneau.
Super nuit.

Nalya se réveilla brusquement. Il y avait du bruit à l’extérieur de la roulotte. Elle jeta un regard autour d’elle, et s’aperçut qu’elle n’y voyait rien. Depuis le temps, elle s’était accommodée à ne plus être gênée par l’obscurité… Comment se faisait-il que cette magie ne fonctionnât plus ? Elle toucha du bout des doigts les objets qui se trouvaient à l’intérieur. Apparemment, tout était en place. L’or, les diamants… rien ne manquait.
Alors, inquiète, elle tenta de communiquer avec Néro, qui se trouvait hors de la grange, sur le toit d’une maison, et qui était censé surveiller l’entrée. Pas de réponse. L’attache mentale était toujours fixée sur lui, mais c’était comme s’il n’avait pas voulu répondre. Merde alors, c’était quoi, ça ? Que se passait-il ? Elle s’approcha de la sortie, et regarda par l’entrebâillement. Il y avait un feu, et quelqu’un qui pleurait, mais le foyer était placé de telle manière que la silhouette, derrière, n’était pas nette.
Comme dans un rêve, Nalya descendit de l’endroit où elle dormait, et s’approcha lentement de la silhouette. Les flammes projetaient autour d’elles un cercle de lumière, mais tout le reste de la grange (était-ce bien la grange ?) était recouvert d’angoissantes ténèbres. Celle qui pleurait était une femme aux longs cheveux noirs. Comme Nalya s’approchait, elle releva la tête, et la supplia d’une voix déchirante « Peignez-moi… Peignez-moi… » en lui tendant un peigne.
Quelque peu apeurée, Nalya se saisit de l’ustensile et lissa le poil de cette folle. Du moins essaya-t-elle, car cette crinière était emmêlée de telle sorte qu’il aurait été impossible d’assouplir quoi que ce soit. Les nœuds étaient trop nombreux, elle ne pourrait faire mieux que de casser le peigne. D’un point de vue pratique, la meilleure solution en pareil cas aurait été de tout raser et d’attendre que cela repousse, mais peut-être désobligerait-ce cette, heu… cette charmante jeune femme. Dans la roulotte, il devait bien y avoir de l’eau et du savon. Pourquoi ne pas essayer ? Attendez une minute » déclara-t-elle en tournant les talons, avant de revenir avec un seau et une savonnette. Il fallait commencer par humidifier. Elle saisit les cheveux et les imbiba d’eau.
Un instant, elle ne comprit pas ce qui se passait, et puis la métaphore adéquate lui vint à l’esprit. Chaque goutte d’eau parvenant au contact de la chevelure noire faisait le même effet qu’une goutte d’huile en feu. Déjà, la chaleur ignée dévorait le visage de la femme. Nalya recula devant ce spectacle terrifiant. Les flammèches révélèrent le crâne sous cette peau brûlée, et la chose se tourna vers elle pour lui dire d’une voix d’outre-tombe « ça va se payer … »
Nalya se prit à penser un instant qu’au moins, tous ces problèmes de cheveux étaient résolus, et c’est à ce moment-là que l’évidence s’imposa à elle : cette étendue noire qu’elle voyait là, c’était le plafond de la roulotte. Les rainures du bois et le trou fait par Néro ne laissaient planer aucun doute. Les rainures du bois ? Elle les voyait ? Dans ce cas… Néro ?
Oui ?
Tu n’as rien vu entrer dans la grange ?
Ben non. Tout ce que j’ai vu, c’est Franz qui sortait de l’auberge, tôt ce matin.
Tôt ce matin ? Il est quelle heure ?
Un bon huit heures et demie, pourquoi ?
Sans répondre, elle se leva et sortit de l’habitacle, encore hantée par des scènes de cette vision. Elle fut presque surprise de ne pas trouver la lumière rougeoyante du feu, en sortant. C’était plus vrai que nature, tout de même. Et il y avait de troublantes similitudes avec ce qu’avait raconté Pernilla, ou Paola si ça pouvait lui faire plaisir, quelques jours plus tôt. Enfin bon, ça sentait la même odeur que ce pays : c’était suspect.
Elle alla prendre le p’tit déj’ à l’auberge avec les autres, et apprit là-bas que Kurt avait lui aussi fait un genre de cauchemar pendant la nuit, mais surtout que Virgil avait entendu ces voix étranges lui réclamer un bébé, un pardon ou un coup de peigne… Enfin, pour le coup de peigne, il était pas sûr, mais c’était bien possible. Il ne pouvait pas se souvenir de toutes les voix, d’autant plus que celles-ci étaient en langue étrangère, le plus souvent.

Il fallut repartir dans la matinée. On allait cette fois en direction de Torda, pseudo-capitale du Moth, et il y en avait pour deux bonnes semaines. Pour passer le temps, Nalya lisait un livre sur les contes et légendes locaux, ce qui lui faisait encore plus appréhender l’endroit. C’était super flippant, en fait. Pour arriver à Torda, il y avait la route normale, qui contournait la forêt des Cordes, et il y avait aussi le raccourci, qui consistait à passer au travers. Elle conseilla immédiatement à ses compagnons de passer par la route normale, et d’enterrer là toute leur impatience, faute de quoi ils pourraient bien se retrouver enterrés tout entiers là-dedans.
La forêt des Cordes tirait son nom de lianes caractéristiques qui pendaient aux branches de ses arbres, et ressemblaient à, devinez quoi, des cordes. Ce n’était pas la question d’être superstitieuse ou non, mais il était hors de question qu’ils rentrassent là-dedans, pour la bonne et simple raison qu’il était incertain qu’ils en sortissent.
Alors, ils contournèrent la forêt, mais firent sur le chemin une étrange rencontre. Un homme en vêtements usés avançait en traînant des pieds, venant d’en face. Nalya lui demanda ce qu’il faisait là, mais il répondit dans un grognement inintelligible, que Kurt traduisit comme « il faut fuir, ils vont me rattraper, etc. » Mais que fuyait-il ? À cette question, il répondit dans une langue qu’elle identifia comme étant du Tarrazv, et que le tueur transposa de la sorte : « Les morts vont vite ! Les morts vont vite ! », puis « Ils ont tué mon épouse, mes enfants, et même mes bêtes ! Je dois fuir ! »
Cet homme s’écroula de fatigue à côté de la roulotte. Visiblement, il n’avait ni mangé, ni dormi, ni cessé de forcer la marche depuis plusieurs jours, et était tout simplement exténué et affamé. Elle plongea dans ses pensées. C’était pas joli-joli. Encore un truc qu’elle aurait du mal à oublier. Tiens, un chien mort. Il y avait la tête, mais le corps n’était qu’un tas de tripes sanguinolentes. Oh, et puis, tant qu’à faire, des cadavres d’enfants mutilés. Une ferme. Un hameau. D’autres cadavres. Quelqu’un criait, mais elle n’aurait su dire si c’était l’homme ou si cela venait d’ailleurs. Le hameau se trouvait un peu à l’écart de la route, peut-être que cela vaudrait le détour ? Dans son esprit, il ne faisait aucun doute que c’étaient les morts qui avaient tué ses proches, ni qu’ils le poursuivaient inlassablement depuis trois jours.
Il était évanoui. Nalya descendit de la roulotte avec Néro, et lui demanda d’aller chercher du bois à la forêt proche. Une fois qu’il fut parti, elle changea d’avis et se concentra un moment. Les autres continuaient à avancer, sauf Pernilla, qui avait stoppé son cheval et la regardait avec curiosité. Dans sa tête, la mentaliste était en train de visualiser les moindres détails de ce qu’elle comptait faire, et lorsqu’elle fut à peu près prête, déclencha son pouvoir. Des colonnes de terre sortirent du sol, et prirent en quelques secondes la forme de murs et d’un plafond. Elle avait fabriqué un abri, à l’intérieur duquel se trouvaient le pauvre hère, des rations pour survivre et une couverture. Seule un petit trou laissait filtrer un rai de lumière, et un des quatre murs était plus fin que les autres, pour qu’il puisse sortir. À l’intérieur, il y avait même des dessins sur les parois pour l’aider à trouver le bon endroit.
Satisfaite, et après avoir dit à Néro que finalement non, il n’y avait pas besoin de bois, elle regagna la caravane. Cette fois, elle avait vraiment pensé à tout.
Deux cent mètres plus loin, une petite pluie fine commença à tomber, puis grossit progressivement jusqu’à correctement tremper tous les voyageurs. Là-bas, derrière eux, il était bien à l’abri, et cela la rassérénait.

Suite de suite. Je l’ai toujours dit, les accidents les plus horribles sont souvent les plus bêtes.
Terre + eau = boue, hmm ?

vendredi 19 juin 2009

Ouah, la gadoue.

19/06/2009

Depuis qu'ils étaient arrivés dans le Moth, c'était comme un retour au pays. N'eussent été cette malédiction qui l'empêchait de s'amuser, ce voyage éreintant, cette maladie qui le rongeait et ces habitants qui lui jetaient des pierres, Kurt aurait été d'excellente humeur. Il était bien enveloppé dans son grand manteau, et mieux abrité de la pluie que la plupart de ses compagnons. Et quel déluge ! C'était comme si le ciel allait s'écrouler sur eux. L'eau tombait depuis maintenant quelques jours en une pluie torrentielle qui semblait ne jamais devoir s'arrêter. Les larges gouttes faisaient gicler la boue dans toutes les directions, et leur roulotte, lestée de tout cet or, s'embourbait sans cesse et les obligeait à l'arracher à la terre à la force des bras. Un vrai calvaire. De plus, et c'était le cas de le dire, avec toute cette eau, on n'y voyait goutte. La seule chose réellement réjouissante, c'était Virgil, qui eût été blanc comme un linge dans son état normal, et qui s'était recroquevillé nerveusement au fond de la roulotte.
Ils finirent par s'arrêter aux alentours de onze heures dans un village légèrement plus grand que les autres où, au moins, il y avait une auberge. Un certain nombre d'autochtones baragouinaient un mélange de latin et de sa langue natale, ce qui faisait de lui un interprète utile, mais ceux de cet endroit parlaient normalement, et les autres pouvaient se débrouiller sans traduction simultanée. Il jeta un coup d'œil à la porte de l'auberge, au moment où l'ordure qui l'avait maudit en ressortait, et celle-ci leur annonça qu'elle avait réservé pour la nuit, et qu'il fallait suivre ce type, qui les amènerait à une grange où ils pourraient garer les chevaux et la roulotte. "Ce type", c'était le propriétaire de la grange en question, qui ne pensait même pas les faire payer pour y entreposer leurs affaires. Sympa.

Arrivée à l'intérieur de l'auberge, Myllenia s'ébroua et demanda au maître des lieux, qui lui semblait sensiblement insignifiant, où était sa chambre, avant d'y monter pour y déposer son barda et de redescendre pour demander quelques renseignements à propos des horaires de repas et du village. Les autres voulaient s'équiper à la mode du pays, du point de vue textile. Ça, c'était une bonne idée ! Surtout qu'avec cette pluie, ils avaient bien besoin de vêtures appropriées. Le seul endroit, d'après l'aubergiste, où ils pourraient peut-être trouver ce qu'ils cherchaient, c'était le magasin général, et encore, c'était même pas sûr. Elle s'y rendit donc en compagnie des deux autres femmes, en se dépêchant de passer sous la pluie pour ne pas être trop trempée. Le vendeur était bourru, désagréable et malpoli, autant de choses qui pouvaient le lui rendre sympathique. Oui, il avait des manteaux de pluie, non, pas à leur taille. Oui, ils étaient ses premier clients de la semaine, non, c'était pas la saison et non, cela ne les regardait pas. Oui, il vendait de tout, non, il n'avait pas de "parapluie", oui, il avait du cuir, mais non, pas en quantité suffisante. Oui, les manteaux étaient plus ou moins étanches, et non, il n'en avait pas cinq, juste trois. Elles lui prirent donc ses trois manteaux, beaucoup trop amples, mais Néro pourrait sans doute faire quelques ourlets là-dedans. Myllenia remarqua au passage que Paola venait d'acheter une faux, ah bon. Avec, en plus, le grand manteau gris foncé à capuche qui cachait le visage, elle lui rappelait quelque chose ou quelqu'un.
Toutes trois coururent vers l'auberge. C'était toujours la saucée. Simplement, courir dans la gadoue avec un manteau trop long, c'est pas super pratique, et Nalya et la dingue à la faux finirent le trajet couvertes de boue, après s'être étalées dedans en se prenant les pieds dans les pans trop longs. Le temps de commander un récipient plein d'eau chaude et de se laver, il était déjà midi. Une matrone autoritaire les appela à déjeuner, et les autres clients sortirent. Parmi eux, un type beau comme c'était pas permis descendit les escaliers d'un air sombre, jusqu'à ce qu'il balaie la table du regard. Myllenia croisa son regard, qui s'illumina soudainement. Sur le coup, elle ne réagit pas, pensant à autre chose : cet éclair dans ses yeux lui rappelait celui de Karel quand il était en manque de noisettes et retrouvait d'un coup ses chères oléagineuses. Le type descendit et salua chaleureusement Paola, puis elle-même, avant de s'asseoir et de se relever pour aller embrasser obséquieusement la main de Nalya. Après quoi il retourna à sa place comme le lui demandait la patronne, avec un clin d'œil qui sous-entendait beaucoup de choses, et ces mots "les belles femmes peuvent m'appeler Franz, pour les autres c'est monsieur." Il parlait tellement qu'il en oubliait de manger sa soupe, enthousiasmé comme personne. Apparemment, il avait passé plusieurs mois dans le Moth, et redescendait vers la côte sans aucun regrets. Il était à ce point enthousiaste car, selon ses propres mots, ils étaient la meilleure surprise qu'il ait eu depuis son arrivée dans ce pays de malheur.
Pays de malheur ? Tout à fait : pas moyen de trouver une belle femme qui ne voulût pas vous jeter du sel à la face en se signant pour oser vous dire bonjour, quand il ne s'agissait pas de vous accueillir avec des flèches et des crucifix. Bon, y'avait bien les Ziner's, mais leurs hommes étaient jaloux et, pour tout dire, violents. "Quant à la forêt, n'y pensez même pas, il y a toujours là-bas quelque chose qui vous suit, sans que vous puissiez jamais savoir ce que c'est ! Et quand on en sort, c'est pour se faire agresser par des villageois obtus et fanatiques, qui vous traitent de démon, d'incube, d'étranger ou de je ne sais quoi d'autre." Il tira alors de son col un petit pendentif à plumes, et le regarda en disant à mi-voix. "Sans doute à cause de ça..."
Quelqu'un demanda ce que c'était, ça, et il finit par la donner à Paola, comme s'il voulait s'en débarrasser. Elle regardait l'objet avec attention, et lui demanda à plusieurs reprises où il l'avait trouvé, mais il resta évasif et vague, prétextant qu'il s'agissait de "mauvais souvenirs", et qu'il ne voulait pas en parler. Reprenant la discussion là où elle l'intéressait, il proposa en termes à peine voilés, très directement, de se retrouver au soir dans sa chambre pour y forniquer joyeusement, parce que, hein, normalement, il devait repartir aujourd'hui, mais il avait soudain envie de s'attarder un peu. Myllenia le jaugeait du regard : il était beau, ça, pas de doute, mais était-il honnête ? Il n'y a qu'en testant qu'on saurait, après tout.
Dans l'après-midi, elle l'oublia un peu pour rejoindre une les autres dans la grange. Néro leur avait appris qu'avec un entraînement adapté, n'importe qui pouvait développer son énergie interne, la seule différence étant la facilité avec laquelle celle-ci se développait, ce qui dépendait tout simplement des capacités naturelles de chacun. Quelques-uns d'entre eux, et elle la première, avaient donc décidé de s'y mettre dès que possible. D'où cet entraînement, qui ne faisait que commencer.

Suite la semaine d'après.

La bave était violette.

13/06/2009

La rue était étrangement déserte, pas moyen d'alerter qui que ce soit. Ils allaient devoir se débrouiller seuls, malgré le fait que les hommes en noir commençaient sérieusement à déborder Mannrig et Léander. Ce dernier venait d'ailleurs de prendre un mauvais coup, qui l'avait fait lâcher son arme. Il allait falloir réagir vite, sans quoi cela risquait de mal finir. Yuriko plongea en direction des combattants, les attrapa chacun par un bras et, au prix d'un gros effort, les souleva tous les deux pour aller les déposer avec une délicatesse toute relative sur un toit voisin. Skyla, maintenant. Elle était en train de s'enfuir. Bonne initiative. Yuriko fonça dans sa direction, coiffant sur le poteau le tueur qui la poursuivait, et la hissa à son tour sur le toit. Ça, c'était fait. Ouuuh ! Tout à coup, des étincelles fuyardes apparurent dans son champ de vision, en même temps qu'une sorte de tournis s'emparait d'elle. C'était le bout du rouleau, là, son corps cédait à l'épuisement. Et les assassins n'abandonnaient pas la partie, au contraire, l'un d'entre eux était déjà sur le toit. Yuriko s'envola à nouveau, commençant à puiser dans son énergie interne pour combattre sa faiblesse physique. Il fallait absolument les empêcher de grimper, sans quoi ils se retrouveraient dans la même situation qu'avant, c'est-à-dire dans une merde noire. Mannrig était blessé en plusieurs endroits, Léander, pas mieux, et elle-même, bien qu'indemne, (tiens, d'ailleurs, elle n'avait plus de coupure au bras) était dans un tel état d'épuisement qu'elle ne pourrait supporter beaucoup plus longtemps un tel rythme.
Profitant de ce qu'ils étaient en train d'escalader, Yuriko frappa un des tueurs par derrière, en le contournant d'un vol rapide. Sous le choc, et comme surpris par la douleur, il perdit l'équilibre et se vautra trois mètres plus bas dans un bruit sourd. Puis elle se dirigea vers le suivant, qui ne vit pas venir le coup et, dans un craquement funeste, fut littéralement écrasé contre le mur par un coup de pied trop bien placé. La platitude de son attitude ne laissait guère de doutes : il était mort sur le coup. En haut, quelqu'un cria, et Yuriko releva la tête juste à temps pour voir tomber dans une gerbe de sang un autre cadavre habillé de noir. Il restait un assassin sur le toit, qu'elle ne pouvait pas voir, un éclopé en bas, et un dernier grimpeur. Malgré leurs pertes, ils ne semblaient pas vouloir se calmer, ou vouloir aborder la phase diplomatique, comme des gens normaux. Elle tenta de faire tomber le grimpeur en le frappant une fois, deux fois avant qu'il ne lâche prise. Par contre, au lieu de s'écraser en bas comme le bon enfoiré qu'il était, il se réceptionna et commença à fouiller dans sa veste sans détacher de Yuriko son regard plein de colère. Non mais ho, il voulait pas se calmer, des fois ? Pas de réponse. Parce que, mon vieux, quand on est dans une situation pareille, on s'enfuit, on se rend ou on cherche à discuter, mais on ne continue pas, à moins de... Elle se tut pour éviter le couteau qu'il venait de lancer, avant de se ruer sur lui et de lui bloquer les bras. Il gigotait, mais elle avait une bonne prise, et put glisser sa jambe autour de son cou pour commencer à l'étouffer. C'était pas le moment d'avoir une crampe.
En général, dans ce genre de situations, ils s'évanouissaient en moins d'une minute, surtout quand ils ne savaient pas garder leur calme. Et justement, l'allumé strangulé fulminait, hurlait silencieusement, bavait... d'ailleurs, à bien y regarder, sa bave avait quelque chose d'étrange. Elle était abondante, savonneuse, et surtout, violette. "Heuu... ça va ? demanda Yuriko avec un certain scepticisme, en relâchant légèrement son étreinte.
- Tout ce que tu me dois que tu ne peux pas goûter !" lui cria Mannrig du haut du toit, qui n'était pas si haut que ça. Comment ça, elle pouvait pas goûter ? "Je prends" répondit-elle d'une voix cassée par la fatigue, avant de mettre le bout du doigt dedans, et de porter la substance à ses lèvres. Beuh ! C'était âcre. "Ça a quel goût ? demanda maître corbeau du haut de son perchoir.
- C'est dégueulasse, répondit le renard fort peu alléché, on dirait..." Un détail attira son attention : elle ne sentait plus son pouls. "Il est clamsé." constata-t-elle tout haut, en le lâchant. Le corps tomba comme un pantin sans fils. Bizarre.
Sa tête bourdonnait. Apparemment, les autres étaient morts aussi. À bout de force, elle alla chercher Skyla qui lui demandait de l'aide pour descendre, et manqua de la laisser tomber tant ses gestes étaient mal assurés. La doc diagnostiqua avec perspicacité environ cinq décès, dont deux par empoisonnement. Ah, c'était donc ça, le truc violet ! Mannrig, toujours curieux, extirpa de la bouche de l'une des victimes une dent de verre creuse, contenant ce fameux liquide sombre avec lequel les survivants s'étaient empoisonnés. Il fallait être sacrément taré pour se suicider de la sorte, et/ou avoir une très puissante motivation. Qu'est-ce qui pouvait bien leur faire plus peur que la mort ? C'était incompréhensible. En tous cas, deux choses étaient claires : la première, c'est que c'était pas le barbu qui commanditait ceux-là. On ne dépêche pas cinq professionnels pour quatre blaireaux qui viennent d'arriver en ville, et surtout pas le genre de professionnel qui se suicide plutôt que d'être capturé. La deuxième chose sûre, c'est que si ils avaient dérangé quelqu'un, secte ou organisation criminelle, capable de leur envoyer des fanatiques pareils, ils n'allaient pas moisir ici, en espérant que Sainte Jattirelapoisse avait compris que, cette fois, c'était pas de la blague. C'était pas seulement sa propre peau qu'elle risquait avec ses conneries, mais aussi celle des autres !

Suite (fuite ?) dans deux semaines.

vendredi 12 juin 2009

Voyage à travers le Gabriel.

12/06/2009

Après quelques jours de voyage, les voyageurs passèrent la frontière de l'Etat du Gabriel. Personne ne semblait regretter l'Hélenia, son hospitalité, sa choucroute et ses paysans bien gras. Enfin, en tous cas, ce n'était pas le cas de Pernilla, qui en était venue à envier Néro de n'avoir presque pas à manger (eurgh la choucroute) ou à dormir (on dort pas beaucoup quand chaque nuit est potentiellement la dernière). Le danger était partout, même s'il s'était précisé. Elle savait à présent qui était véritablement l'artiste qui s'était amusé à éventrer, justement, un de ces paysans bien gras, au risque de leur mettre sur le dos les malades dominicaux aux bras longs, comme c'est souvent le cas chez les tribus porteuses de crucifix en fonte sur la tête. En début de semaine, elle avait demandé à la sorcière qui lisait dans les pensées si elle ne voulait pas, à tout hasard, faire un check sur l'Ankou, pardon, Zacharias, et sur le blond. Apparemment, elle n'avait pas attendu qu'on le lui demande pour sonder tout le monde. C'était Kurt le tueur. Et puis, même sans sondage, prétendait-elle, si on le connaissait un peu, il n'y avait pas trop de doutes possibles. Il avait des antécédents, et pas des moindres. Dans un sens, c'était rassurant, mais tout de même ! Les meurtres, encore, pourquoi pas. C'était un drôle de passe-temps, mais pas trop gênant tant qu'elle pouvait prétendre ne pas le connaître s'il venait à se faire avoir. Par contre, les meurtres satanistes avec mise en scène morbide, c'était une autre paire de manches. Le peu de chose qu'elle savait des fondus qui s'occupaient de ce genre d'affaires ; l'inquisition, lui suffisait amplement. La peur qu'ils inspiraient en disait long sur leurs moyens (tiens, d'ailleurs, ça lui donnait une idée, ça) , et sur l'usage qu'ils en faisaient, de plus... les gens comme Nalya, Virgil, ou elle-même, étaient de bons exemples de ce qu'ils avaient pour ambition d'éradiquer.
Bref, pas trop envie de chercher la merde à ces gens-là. Comment, dans ce cas, s'assurer de leur éloignement ? Elle n'avait aucun moyen pour empêcher Kurt de continuer ses conneries. Il semblait complètement imperméable aux illusions, et même rétif à toute autre forme de magie, alors, que faire ?
Quand, une semaine après leur arrivée au Gabriel, ils atteignirent la ville de La Roche, elle avait trouvé la solution, mais il lui faudrait un endroit tranquille et une mise en scène appropriée. Dans la roulotte s'entassaient des lingots d'or et, de ce qu'elle avait compris, ils avaient l'intention d'écouler tout cela en orfèvrerie. C'était Nalya qui fabriquait tous ces pavés dorés à partir de rochers, en se concentrant fortement et longuement. Pernilla avait une bien meilleure idée (et bien moins fastidieuse) pour se faire du blé, mais chacun ses méthodes. En tout cas, à son humble avis, il eut été plus efficace de refiler ce stock à un banquier qu'à un orfèvre, surtout que ceux-ci avaient en général des besoins en or plutôt faibles. Le Gabriel était une contrée très riche, aussi fut-elle d'abord surprise par l'apparence de la ville. Si elle avait dû trouver de prime abord un mot pour décrire ce qu'elle voyait, elle aurait appelé cela un cloaque, mais après plusieurs minutes à avancer dans l'obscurité du soir, ils s'aperçurent qu'en fait, c'était un ghetto. Un ghetto pour les pauvres, les riches étant claquemurés dans un quartier central précisément délimité et très bien gardé, même en cette heure tardive. Pernilla n'avait pas trop envie de dormir dans les puces des nécessiteux, et plus généralement ce quartier puant ne lui disait rien.
Les gardes étaient réticents pour ce qui était de les laisser entrer, jusqu'à ce qu'ils voient Zacharias, et qu'ils n'y deviennent complètement opposés. Whaeuh ! Si il l'avait écoutée, et qu'il avait changé de look, ils n'en auraient pas été là ! Heureusement, la femme qui l'employait proposa de les quitter ici (de toutes façons, c'était ce soir-là ou le lendemain matin) et ils purent passer après de sommaires adieux.
Du côté du centre-ville, les rues étaient éclairées par des lampadaires faits d'une pierre lumineuse qu'on immergeait dans un bocal plein d'eau. C'était du plus bel effet, en plus d'être efficace. Après un temps de recherche inconnu, mais qui oscilla probablement autour de vingt minutes (à vingt minutes près), ils aperçurent enfin au détour d'un chemin une auberge, mais pas du genre petite enseigne miteuse. Pas un truc de luxe extrême non plus, mais déjà un très bon coin pour passer la nuit.
Et puis, arbitrairement, la nuit finit de leur tomber sur le coin du béret, et la majeure partie d'entre eux s'endormirent. Pernilla savait qu'il y aurait au moins deux personnes qui ne fermeraient pas l'œil. L'autre, là, Néro, qui ne dormait jamais ou presque, ainsi qu'elle-même, car elle avait du boulot. Sortant de sa chambre, elle se dirigea vers celle d'en face avec quelques bougies sous le bras, tout en se nimbant d'une fine peau d'obscurité magique. Ainsi, elle était quasiment indécelable, et pas seulement visuellement : ses pieds ne faisaient pas plus de bruit que si elle eût marché sur des nuages. La porte était ouverte. À l'intérieur, dans un grand lit à baldaquin, quelqu'un sommeillait paisiblement. Guettant les bruits de respiration du dormeur, Pernilla alluma furtivement cinq bougies en cercle autour du lit, fit quelques dessins malhabiles avec la cire, et réveilla Kurt. Elle ne pouvait pas l'affecter avec sa magie, c'était un fait, mais lui ne s'était jamais réellement rendu compte de ce don. Oh, bien sûr, il avait pu constater que les flammes de Virgil le léchaient sans le brûler, ou que les sorts qu'elle-même avait lancés l'avaient miraculeusement épargné alors que tous ses compagnons tâtonnaient dans le noir, mais il demeurait partiellement ignorant de sa propre immunité, et complètement ignare en tout ce qui concernait de près ou de loin la magie. Longtemps auparavant, dans un livre ardu qu'elle avait lu pour la bonne et simple raison qu'on le lui avait déconseillé, elle avait eu connaissance de la théorie fantaisiste qui voulait que l'existence fût issue de la croyance. Si Kurt croyait qu'elle lui avait jeté une malédiction, alors il agirait exactement comme si le maléfice avait bel et bien existé, et tous les évènements qui en découleraient -bien réels, eux- seraient basés sur quelque chose de faux, jusqu'à ce qu'elle lui annonce la rupture de la malédiction. À ce moment-là, plus personne -si ce n'était elle- ne pourrait témoigner de la fausseté du maléfice, et celui-ci pourrait dès lors être considéré comme ayant été réel. Ce n'était que ça, la réalité : des vérités admises par ceux qui la définissent.
Kurt sembla avaler la couleuvre qu'elle lui servit sans problèmes de déglutition, mais force était de constater que l'assaisonnement n'était pas à son goût, tu parles ! Il était persuadé, à présent, d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête, qui s'abattrait sur lui au prochain meurtre qu'il commettrait, le frappant d'une mort inéluctable. Clause restrictive : elle pouvait à tout moment exclure quelqu'un de cette condition, si besoin était. Ouh là ! Elle n'aimait pas la tête qu'il faisait, il allait falloir tirer sa révérence, d'autant plus que si ça continuait il allait devenir violent, ça crevait les yeux. En parlant de crever les yeux... c'est vrai, s'il l'avait crue, il ne la tuerait pas, mais elle n'avait rien prévu pour assurer ses arrières. Pernilla recula légèrement, en proie à une sorte de peur soudaine, et il fit un geste brusque dans sa direction. Aussitôt, elle tourna les talons en se cachant sous un masque illusoire le plus épais possible qui devait la rendre invisible. Elle ne savait pas si cela aurait le moindre effet sur lui, mais c'était déjà ça. Il n'y avait personne dans le couloir, pas même un domestique, ça aurait été étonnant, aussi ! se dit-elle en claquant la porte de sa chambre, avant de la fermer à clé. Juste à temps. Il y eut un grand bruit, alors qu'un burin transperçait sa porte et que les hurlements de Kurt résonnaient dans tout le bâtiment. Saaaaalllooooooppe ! Saaalooopeeuh ! Tu vas le regretter ! Ah, d'accord, effectivement, il était remonté, suffisamment en tous cas pour essayer de défoncer la porte avec ce qui était probablement le premier objet contondant qui lui était tombé sous la main. L'invisible salope réfléchit un instant, eut l'idée de pousser une commode contre le battant, mais se ravisa. Cela n'aurait pas servi à grand-chose et, de toutes façons, avec ces cris, il ne tarderait pas à ameuter du monde. Le mieux qu'elle pouvait faire, pour l'instant, c'était accélérer le processus. Elle mit donc ses mains en porte-voix et, d'une voix suraiguë qui ne lui était pas coutumière, commença à hurler oh, son Dieu, au meurtre, au viol, au secours !
Elle cessa brusquement de crier alors qu'une autre voix retentissait et Kurt cessa immédiatement de frapper, pris sans doute d'une frayeur indescriptible, car c'était bien la brute, Myllenia, qui venait de parler. Alors que cette dernière ordonnait avec une autorité indéniable et indiscutable au tueur de retourner se coucher, Pernilla éteignit de deux doigts préalablement humectés la timide bougie qui était dans sa chambre, de peur que la lumière ne se voie du couloir, à travers les trous de la porte. Puis elle alla se coucher, parce que, quand même, hein, c'était sans doute aussi valable pour les autres, et de toutes façons, Kurt ne reviendrait pas, sans doute trop occupé à faire des cauchemars pleins de bombes sexuelles et d'épées bâtardes.

Cent cinquante kilos d'or environ. En lingots. Voilà ce qu'ils transportaient dans cette pauvre carriole trouée. Surtout, c'était pas la peine de dire merci. Grâce à ça, ils n'auraient plus trop de problèmes d'argent, mais encore fallait-il le revendre, cet or, car on ne paye pas sa nuit à l'auberge avec des bouts de lingots. Enfin, techniquement on pouvait, (n'importe quel aubergiste normalement intelligent ne crache pas sur l'or !) mais ça risquait d'attirer l'attention, ce qu'elle souhaitait éviter avant tout. Au matin, vers dix heures, Nalya proposa donc aux deux moins effrayants de ses compagnons de route d'aller fourguer une partie de leur stock à un orfèvre du coin. En plus, c'était l'endroit rêvé pour ça, car l'industrie gabriélite du luxe et des métaux précieux était particulièrement active et lucrative au sens trèèès large, pour ne pas dire gargantuesque, du terme. Les nobles et les parvenus se ruaient sur tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de l'or avec une avidité d'Homo ricus exacerbée. Ils allaient donc se faire passer pour trois d'entre eux, mais c'était plus facile à dire qu'à faire, car même lavé et nourri, Néro conservait quelque chose de profondément clochardesque. Peut-être ses vêtement moult fois recousus ? Ses manières de roturier ? Enfin, quoi qu'il en fût, il avait beau être propre, ça ne changeait rien : il puait la plèbe. Comment remédier à cela ? Oui, Paola pouvait les faire ressembler à quelque chose de noble, mais par contre, pour les manières, elle pouvait rien faire. Nalya regarda l'apparence qu'elle lui avait donné : pas mal. Néro aussi, c'était bien mieux, mais on était obligés pour la moustache en bicyclette ? Ah, d'accord, et pourquoi elle s'était donné ce look de soubrette ? De suivante, oui, pardon. "C'est bien simple, répondit la suivante, moi, je récupère ma part des bénéfices, mais si ça foire, je ne récupère pas ma part d'emmerdes. Je serai la pauvre domestique abusée : c'est le prix de ma participation."
Bon, d'accord, va pour ça. Qu'est-ce qu'on ferait pas pour le fric, quand même. Bonjour ! Ils souhaitaient parler au patron, alors dégage de là, avorton, et va lui dire que le duc l'attend pour affaire. Nalya communiquait mentalement avec ses compagnons, mais aucun n'avait de connaissances, aussi limitées soient-t-elles, des titres de noblesse à la mode du Gabriel, alors un duc, pourquoi pas. Bon, ce ne fut pas glorieux : à lire dans ses pensées, l'orfèvre n'était pas dupe de ce "duc" et de sa "duchesse", venus pour écouler un stock d'or qui leur était tombé entre les pattes suite au décès d'un ami usurier, mais ne semblait pas avoir dans l'idée de les balancer, tant qu'il pouvait se faire une coquette marge à l'achat. Ils verraient ça avec lui à midi, au restaurant.
En attendant, elle avait quelque chose à faire. Kurt couvait quelque chose, c'était sûr : lors de sa dernière crise de toux, ils s'était retrouvé sur le dos en train de cracher du sang, à force de se racler les alvéoles pulmonaires. Et puis, elle-même avait besoin de quelque chose pour calmer les migraines récurrentes qui la prenaient quand elle faisait usage de ses pouvoirs mentaux. Il leur fallait trouver un médecin et, par chance, ici, c'était pas un problème, tant qu'on ne recherchait pas un médecin compétent. Aussi arrêtèrent-ils leur choix sur une grande asperge colorée comme une endive, sympathique comme un choux de Brudge et visiblement aussi vif d'esprit qu'une carotte à l'eau. Cet hybride végétatif à tendances légumineuses leur taxa cinq pièces d'or pour leur dire que Kurt allait mourir de la tuberculose dans quelque mois et que non, il ne pouvait rien faire pour ses migraines, à part lui vendre deux-trois flacons d'une purge qui de son propre aveu ne servirait à rien. La tuberculose... parce qu'en plus d'être dangereux, il était contagieux ? Génial ! Elle voyageait avec lui depuis plusieurs mois, et avec la chance qui la caractérisait, si ce merveilleux toubib ne s'était pas fourvoyé, elle était sûrement déjà contaminée. Et les autres aussi, d'ailleurs.
Il était midi, l'heure de retourner à l'orfèvrerie, pour aller déjeuner avec le patron. Il fallait absolument écouler cet or, elle n'avait quand même pas fait ça pour rien ? Non, non, visiblement, non. Le restaurant où l'orfèvre les amena noyait littéralement ses clients sous une débauche de luxe et d'attentions. Ils se spécialisaient dans le poisson/les fruits de mer. Oh, dis, la carte ! Certains plats coûtaient plus cher qu'une maison à Archange ! Quel pouvait bien être le prix d'une maison ici, dans ce cas ? Leur receleur ne se donna pas la peine de parler de l'or pendant le repas, reléguant au dessert cette tâche inélégante. Au final, il lui aurait fallu un peu de temps pour réunir l'argent nécessaire à l'achat de la totalité du stock, ce qu'ils n'avaient pas, et ils ne purent en vendre qu'une vingtaine de kilos. Bon... C'était déjà ça.
Dans l'après-midi, avec l'argent obtenu, elle acheta une bague surmontée d'un diamant, afin de pouvoir reproduire cette matière autrement plus précieuse et plus facile à écouler. Puis la roulotte et ses occupants repartirent. La route était longue, il ne fallait pas traîner.

Les cahots que leur véhicule émettait avaient de prime abord semblé supportables à Néro, mais après tout ce temps passé à les entendre, ces entrechoquements réguliers lui transperçait le crâne aussi douloureusement que des coups de pioche. Cela faisait une semaine qu'ils avaient quitté La Roche, et ils venaient de laisser derrière eux la dernière étape gabriélite avant le Moth. C'était une ville un peu plus petite que La Roche, mais organisée plus ou moins de la même façon : les pauvres d'un côté, les riches de l'autre. Une ville réputée pour le talent de ses forgerons, tiens donc ! Des blaireaux, maugréait-il pour lui-même. Quand on vend des armes et armures, on ne fait pas ça par correspondance, ni sur rendez-vous. Or, là, il fallait se présenter une semaine à l'avance pour pouvoir espérer acquérir un couteau à beurre forgé par tel grand maître de renommée internationale. Laisse tomber, ça n'en valait pas la peine, et ils n'avaient pas le temps... mais tout de même, c'était rageant ! Nalya avait réussi à fabriquer du diamant, et Paola en avait vendu une petite quantité pour une somme considérable. Il n'avait jamais été plein aux as, et maintenant qu'il l'était, il ne pouvait même pas dépenser tout ce blé ! Pour ainsi dire, ils avaient de l'or à ne plus savoir qu'en foutre, des diamants plein les poches et dormaient sur un lit de pièces d'or, mais cela ne leur servait à rien. Le seul truc utile qu'ils avaient pu acheter était une boussole, ha ! Avec ça, ils étaient bien avancés ! Et pour couronner le tout, Virgil noircissait à vue d'œil. Il approchait du seuil de la transformation, c'était flagrant, et chacune de ces "crises" le rapprochait un peu plus du passage définitif à l'état de monstre d'obscurité. Plus que deux semaines avant d'être au Moth, se disait Néro pour garder espoir dans la survie possible du pyromancien maladroit.

Il allait crever, c'était couru d'avance ! Virgil était plongé dans son livre, au chapitre concernant le rituel obscur qu'il allait devoir accomplir pour se débarrasser de cette foutue malédiction. Et encore... même s'il s'en sortait, il ne savait même pas quelles en seraient les séquelles. Ce pays le déprimait, ses compagnons de route le regardaient avec suspicion, quand ils ne lisaient pas dans ses pensées pour les commenter à voix haute, et il lui semblait qu'ils n'arriveraient jamais à temps. Il y avait beaucoup trop de paramètres qu'il ne maîtrisait pas, ça le rendait incroyablement nerveux. Ce rituel était dangereux, beaucoup trop dangereux ! Il aurait fallu qu'il n'ait pas à le faire lui-même ! Pouvait-il décemment mettre sa vie entre les mains de quelqu'un qui, quoique doué de magie, n'avait de son propre aveu jamais sérieusement mis le nez dans un livre occulte ? Cela lui faisait des cheveux blancs, mais il n'avait pas trop le choix. Enfin, des cheveux blancs... Depuis qu'ils étaient arrivés dans ce pays humide, froid, sombre, désagréable et inhospitalier, il ne ressemblait vraiment plus à rien, et encore moins à quoi que ce soit de blanc. Il ne s'était pas transformé une troisième fois, comme si la chose obscure qui le rongeait avait changé de tactique, et voulait l'avoir à l'usure, en prenant son temps. Même le blanc de ses yeux était devenu noir corbeau. Virgil frissonna sous un courant d'air frais du soir. Au moins, il ne jurait pas avec le paysage. Le Moth était un horrible endroit, angoissant au possible, et pluvieux, en plus. Chaque soir, il s'arrangeait pour assécher magiquement l'endroit où ils devaient planter leurs tentes, sans quoi ils auraient dormi dans la boue.
Paola s'était arrangée pour qu'aux yeux des autochtones, il ait l'air à peu près normal. C'était déjà ça. Ainsi, on ne le fuyait pas à vue dans les quelques villages qu'ils avaient croisés sur la route. Il descendit de la roulotte pour aller lui parler de ce rituel. C'était plus sage de le faire dès maintenant. Elle voulait bien l'aider, mais doutait d'en être capable, d'un point de vue technique, et s'il voulait qu'elle apprenne ce rituel par cœur, il ferait bien de lui expliquer de quoi il en retournait le plus tôt possible, histoire qu'elle voie si c'était envisageable, et qu'elle commence à s'y exercer si tel était le cas.
Quelques jours plus tard, il commença à entendre des voix étranges qui lui suggéraient des choses dignes de leur étrangeté. Ils se réapprovisionnèrent dans un petit village peuplé de paysans, mais Virgil était ailleurs. Il écoutait les voix. Rien de tel n'était mentionné dans son livre, pourtant. D'où cela pouvait-il bien venir ? Quand il avait attrapé cette malédiction, quelque chose ou quelqu'un lui avait annoncé qu'il allait être dévoré et, jusque-là, la métaphore était limpide, mais quid de ces voix qui lui murmuraient aux oreilles ? En plus, c'était pas comme si il y avait eu la moindre cohérence dans leurs propos, loin de là ! Il choisit donc d'ignorer ces chuchotements dérangeants, et n'en parla pas aux autres. Mais un matin, Paola leur annonça qu'elle avait été agressée pendant la nuit. Hein ? Mais non, ils auraient remarqué quelque chose, quand même ! D'après ses dires, une vieille femme morte-vivante avait essayé de l'étrangler, rien que ça. Virgil espérait que le climat régional n'était pas en train d'attaquer la santé mentale de sa collègue : il avait besoin d'elle pour mener à bien le rituel. Une vieille, disait-elle ? Oui, une vieille, qui réclamait son bébé d'une voix stridente ! Cela lui fit un coup. Elle ne pouvait pas avoir inventé ça, quand même ! Parmi les voix qui le harcelaient, il se rappelait avoir entendu une voix de femme qui réclamait son bébé. Jetant un coup d'œil aux cernes de Paola, témoins silencieux de la mauvaise nuit qu'elle avait passée, Virgil se dit que, sans doute, elle ne racontait pas de craques. Il n'osa même pas leur parler de ces voix. De toutes façons, ça ne les aurait pas avancés à grand'chose. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer ?
Il fallait repartir le plus vite possible.

Suite demain, sans doute. J'ai pris un peu de retard, mais pour ma défense, je suis en vacances, et celui-là était plutôt long.
Oubli : Avant de trouver la bonne orfèvrerie (à La Roche), on en a fait trois qui ne nous convenaient pas.

vendredi 5 juin 2009

Surveillance rapprochée, malédiction oblige.

05/06/2009

Ah, mais c'était pas vrai, ça ! Quel con ! Myllenia regarda autour d'elle. Où était-il, cet imbécile ? Elle se releva en touchant ses cheveux. Ils avaient un peu brûlé, et elle aussi. Une fois son épée bâtarde ramassée, elle s'avisa un peu mieux de la situation. Ses adversaires étaient transformés en merguez, mais Nalya et l'autre, là, avaient survécu. Néro aussi. Le pyromancien qu'elle cherchait passa précipitamment devant eux, l'arme dégainée, pour se donner de la contenance, et courut vers les quelques survivants de l'explosion, sans doute histoire d'achever glorieusement les blessés à défaut d'avoir réussi à tuer tous ses collègues.
Myllenia commença à marcher dans sa direction, très en colère. Il était en train de se battre avec un assassin survivant, pour donner le change. Soudain, une flèche noire passa devant elle. Ahurie, elle reconnut Zacharias, il courait vers l'un des bandits, qui voulait s'enfuir. Son mouvement était surréaliste, elle hésitait même à appeler ça un mouvement. Visuellement, c'était une succession d'images discontinues, comme de ces schémas anatomiques représentant un coureur que l'on peut trouver dans les encyclopédies naturalistes. Et ce n'était pas tout : il se déplaçait à une vitesse inimaginable. En quelques secondes, il fut sur son adversaire et commença à lui faucher les jambes.
Elle regarda derrière elle. Un peu plus loin, Néro tournoyait avec sa lance, et démembrait littéralement les bandits survivants. Le danger était écarté, s'il avait jamais existé. En fait, le seul danger public qu'elle voyait, en ce moment, c'était un crétin jouant du katana, qui venait d'ailleurs de tuer son adversaire. Quand elle arriva à sa hauteur, elle lui posa une main sur l'épaule, et lui dit qu'il était pardonné pour cette fois, parce qu'il était convalescent, mais que s'il recommençait, ça allait chier des bulles, mon grand. Alors, à partir de maintenant, il allait rester peinard dans la roulotte, sans faire de conneries, et en dominant ses pulsions pyromaniaques d'une main de fer, sans quoi il prendrait la sienne dans la gueule. Est-ce que c'était clair, OU DEVAIT-ELLE SE RÉPÉTER !?
Apparemment, c'était clair. Tant mieux. Elle retourna du côté de la roulotte, avec dans l'idée d'estimer les dégâts. Sur le chemin, elle vit une dizaine de cadavres, puis laissa tomber ce décompte pour commencer à s'essuyer le visage avec un bout d'étoffe à peu près propre, qu'elle jeta par terre après l'avoir souillé de sang et de sueur. Il y avait un survivant parmi les agresseurs. (enfin, concrètement, qui agresse qui, là ?) Nalya était en train de l'interroger avec ses méthodes habituelles, sans faire attention aux multiples et profondes blessures de l'homme. Quand elle eut fini, elle se tourna vers les autres avec une drôle de tête. "Alors ?" demanda Myllenia, pressentant quelque chose de pas net. Alors, lui répondit-on, ces types étaient payés pour éradiquer de cette route une "belle femme", sans plus de précisions. Cool. Et alors ? Ben, ils étaient déjà rendus à trente-quatre têtes. C'est ça, les ordres vagues. Ah oui, effectivement. Myllenia regarda autour d'elle. Se pouvait-il que la cible fût l'une des présentes ? Il lui semblait évident qu'elle-même ne l'était pas, car si ç'avait été le cas, les commanditaires n'auraient pas omis de préciser qu'il s'agissait d'une très belle femme, ou auraient inclus dans cette description un ou deux superlatifs bien mérités. Non... la bourgeoise était pas mal roulée, assez pour faire une cible acceptable. Paola aurait pu faire l'affaire aussi, ou Nalya, n'importe laquelle, en fait.
Enfin, bon, voilà, on allait pas en chier un cake, si ? Et non, hors de question d'aller trouver leur campement, même pas pour récupérer les têtes. Surtout pas pour retrouver les têtes, en fait.
Avec le plat de son épée, Myllenia assomma le prisonnier incapable de se défendre, et retourna dormir. Ils repartirent le lendemain matin, pour éviter de trop moisir dans le coin. Moisir était le mot, les asticots ayant bien vite repris leurs droits sur ces cadavres.
Une semaine (ou plus, je suis pas très sûr) de voyage plus tard, Virgil avait perdu le peu de couleurs qui lui restaient. Il avait mal, très mal. Néro le surveillait chaque nuit, ainsi que Myllenia, armée d'une épée bâtarde bleue fluo générée par Nalya, et qui devrait lui permettre de toucher la créature d'obscurité. Le soir où il se transforma à nouveau, ils étaient trois à le surveiller. C'était la nuit, mais ils n'étaient pas gênés par l'obscurité, grâce à un enchantement de Paola. "heu, pardon..., lâcha Virgil, attaché au sol bien en évidence, mais j'ai envie, quoi." Ils se regardèrent, assez exaspérés. Néro suggéra de ne rien faire, que de toutes façons, il se laverait plus tard, qu'il fallait parfois faire des sacrifices, que tout le monde comprenait et qu'à la limite, ça lui tiendrait même chaud. Pas faux, pensa Myllenia, avant d'ajouter qu'ils feraient en sorte que personne ne soit au courant. Elle espérait qu'il n'avait pas remarqué Zacharias, qui les regardait, un peu plus loin. Nalya ne dit rien, mais quelques secondes plus tard, le sorcier saucissonné commença à léviter, jusqu'au dessus d'un buisson. Ah, ben oui, c'est sûr, comme ça, c'était super pratique ! Myllenia se leva en rangeant l'épée d'énergie dans son fourreau et, maugréant, s'approcha de l'emmerdeur pour lui baisser son pantalon.
Maintenant qu'il était dans la bonne position, désapé, au bon endroit et en condition, il lui fallait un prêtre et un magazine, peut-être ? Qu'est-ce qu'il attendait ? "Ça me gêne quand on me regarde..." dit-il timidement. Ah ouais ? Elle demanda aux autres de se retourner et lui dit que maintenant, vas-y, chie, parce qu'on allait pas y passer la nuit. Visiblement, il regrettait de n'avoir pas accepté la proposition de Néro. Soudain, son expression se déforma, et ses contours s'estompèrent. "Attention", dit quelqu'un. C'était la transformation. Il choisissait bien son moment, encore, lui ! Elle dégaina l'épée, et se tint prête. Néro l'était également, ainsi que Nalya.
Très rapidement, en l'espace de quelques secondes, Virgil fut submergé par l'obscurité dévorante. Les cordes lâchèrent leur proie, qui se glissa avec une souplesse presque liquide dans le buisson. Alors qu'ils le regardaient, guettant la sortie de l'ombre, une main noire en jaillit, et vint pénétrer la poitrine de Néro, qui eut un hoquet de surprise. L'épée de Myllenia transperça l'être noir, dans un sifflement accompagné d'arcs électriques, mais il ne réagit pas. Elle frappa une deuxième fois, sans plus de résultat. L'ombre ne sentait pas ses coups, même avec cette arme. Le maître martial se dégagea, et frappa à son tour, rageusement, en y mettant toutes ses forces. La lance transperça la chose qui s'évanouit sous la force du coup, et le corps inerte de Virgil réapparut pour tomber dans le buisson, qu'on réservait pour un autre usage, mais bon.
Ça au moins, c'était fait.

Suite la semaine prochaine.

jeudi 4 juin 2009

Nuit agitée.

29/05/2009

D'abord, ce furent quelques bruits, et puis un éclair blanc illumina brusquement l'extérieur. Du métal sonnait contre du métal, dehors, on se battait. Virgil sortit la tête de la roulotte où il dormait. C'était sombre, mais il lui semblait distinguer des formes qui combattaient, là-bas. Quelques cris étaient audibles, des cris de gens qu'il ne reconnaissait pas, blessés, sans doute. Une voix forte et familière s'entendait, prévenant de quelque chose qu'il ne comprit pas, avant que jaillisse un deuxième éclair. Un instant, il avait vu. La foudre avait jailli de la lance de Néro, éclairant brièvement la scène. Il y avait une dizaine de silhouettes. Nalya était blessée, il prit son katana et sauta de la roulotte. En se relevant, il aperçut Myllenia, sa longue épée à la main, qui passait devant lui sans le regarder et s'avançait en direction de leurs adversaires en entamant de larges frappes successives aussi effarantes qu'efficaces. Il y avait une seule chose qu'il n'avait pas pu voir. Un peu plus loin, une obscurité profonde avait résisté à l'éclairage du flash. Des gens arrivaient par là-bas, il les entendait. Un cri avait retenti. Regardant autour de lui, il compta ses compagnons. Le seul qui manquait, c'était... il sourit pour lui-même, en commençant à faire affluer la magie. Si seul Kurt se battait là-bas avec les autres, il allait incinérer tout ce beau monde. De toutes manières, Kurt ne sentirait rien. Il avait une inexplicable insensibilité à sa magie. Virgil composa les signes nécessaires à la conversion de son énergie animique, qui s'embrasa brusquement. Son âme elle-même n'était plus qu'incandescence lorsqu'enfin, il put expectorer les flammes dévorantes qui allaient sublimer l'obscurité.
Mais la magie se révolta. Les flammes semblèrent soudain animées de leur volonté propre, et remontèrent le long de ses bras. Pris de panique, il lâcha tout et tomba en arrière. La magie qui s'était échappée fuyait en volutes ardentes qui s'agglomérèrent quasi-instantanément pour former une sphère vibrante et éclatante, de plus en plus petite et instable. Virgil se redressa en courant le plus vite possible. Tout allait sauter. Il avait à peine fait dix mètres qu'un grondement sourd retentit derrière lui, immédiatement accompagné d'une lumière orangée et d'une bourrasque de chaleur parsemée de flammèches qui le projeta cinq mètres en avant, le visage dans l'herbe.
Et puis, tout redevint noir.
Virgil se releva, endolori, et regarda derrière lui. Se pouvait-il qu'il les eût tous tués avec sa connerie ? Oh, non, sans doute pas, il n'avait pas pris le temps d'accumuler suffisamment de puissance pour cela. Tout de même... Il se rapprocha, il y avait un certain nombre de cadavres inidentifiables par terre. Paola (Pernilla, qui décidément les trouve un peu trop spé pour leur confier son nom.) était vivante, même pas brûlée. Nalya était amochée, mais en vie également. Il cherchait les autres.
À tous les coups, c'était à cause de cette foutue malédiction qu'il avait perdu le contrôle.

Suite la semaine qui vient.