mardi 21 juillet 2009

Aucune bête n'a été maltraitée durant le tournage.

03/07/2009

Avant toute chose, désolé pour le titre.

La route était longue. Encore quatre jours avant Torda, ils n’arriveraient jamais à temps. Virgil leva une main en face de son visage, et tira un peu sur sa manche pour dénuder son avant-bras. Après que sa peau eut atteint la pâleur la plus extrême, elle était devenue presque translucide. Il pouvait voir très nettement les petites veines, et les soubresauts de l’artère de son poignet quand ce sang noir qui n’était pas le sien pulsait à l’intérieur. Cette histoire de voix et de rêves étranges l’inquiétait. Il se désintéressa de cette fascinante maquette dynamique de la circulation sanguine, et jeta un énième coup d’œil sur cet horizon toujours identique. Cette fois, quelque chose attira son regard. Assez loin devant, il y avait une silhouette… non, deux silhouettes. Une grande et une petite. Immobiles.
La roulotte avançant, il s’aperçut qu’il s’agissait de deux hommes. Le grand était encapuchonné et silencieux. Le petit était tête nue, hilare, mais également silencieux. Virgil regarda par-dessus son épaule. Certains semblaient n’avoir rien remarqué, d’autres, au contraire, réagissaient au quart de tour. Néro regardait à l’avant avec l’air soucieux de celui qui essaie de se souvenir de quelque chose sans y parvenir, alors que Paola était juste à côté, arborant l’air inquiet de celle qui craint pour ses jours. Le véhicule, sans s’arrêter, passa à côté des deux individus. Un silence lourd de suspicion planait sur la scène ; seul le petit homme arborait un grand sourire. « Vous avez un problème ? » fit une voix, celle de Paola. Pas de réponse. Myllenia, visiblement sur les nerfs, descendit et attrapa le plus grand par le col, nimbée d’une aura meurtrière qui fit légèrement frissonner Virgil, même à cette distance. Il n’aurait pas aimé être à la place de la victime. « Réponds, raclure ! » dit-elle avec une voix purement et simplement démoniaque, à nouer les tripes d’un dinosaure sourd. La raclure était peut-être décérébrée, ou incroyablement flegmatique, quoi qu’il en soit, sa seule réaction fut un silence encore plus glacé qu’auparavant.
Myllenia, désarmée par cette réaction digne des murs de brique les moins émotifs, se tourna vers le petit homme, dont le sourire, on l’aurait juré, était moins marqué qu’auparavant. Observant tranquillement depuis l’arrière de la roulotte, Virgil n’en était pas moins estomaqué. Non content d’être grand et massif, cet individu venait de refuser tacitement d’obtempérer à un ordre de… C’était inconcevable qu’il ne soit pas à genoux dans la boue en train de décliner nom, prénom, âge, lieu de résidence, motivations et code de carte bleue. Peut-être était-il mort de trouille, incapable de bouger ou de dire quoi que ce soit ? Oui, ce devait être ça, il n’y avait pas d’autre explication possible. Le deuxième type semblait moins froid, peut-être serait-il plus réceptif ? Virgil en ricanait d’avance, mais au lieu de lâcher comme il s’y attendait un tsunami de haine sur ce petit homme qui à côté d’elle avait vraiment l’air d’un nain, Myllenia interrogea d’une voix sans colère : « Max ? ».
Son interlocuteur hocha la tête d’un air affirmatif, et montra du doigt la roulotte qui s’éloignait. « Hé, ho, stop ! » cria Myllenia aux chevaux, qui s’immobilisèrent instantanément, tremblant de peur. Pauvres bêtes, se dit Virgil, sentant son cœur s’emplir de compassion, comme à chaque fois que la brute à l’épée bâtarde dirigeait son autorité métallique sur quelqu’un d’autre que lui. Il essuya une larme du revers de la manche parce que c’était vraiment trop triste, et pointa des yeux un peu rougis vers ce Max. Nalya, qui s’était enfin levée, s’approcha du nouveau venu et le regarda longuement. Mais qu’est-ce qu’ils foutaient ? Elle était en train de lire dans ses pensées, ou quoi ? Et pourquoi il ne disait rien, lui ? Max et Nalya s’approchèrent de lui, et cette dernière lui annonça que le médecin ci-inclus allait l’ausculter. Ce petit homme avait quelque chose d’angoissant ; quelque chose d’inexplicablement humide. Il fit se pencher Virgil, et regarda attentivement, avant de se tourner vers Nalya qui, l’air dépité, murmura en fronçant les sourcils « Comment ça, la conjonctivite ? C’est une malédiction, dont on parle…». Max haussa les épaules et alla voir Kurt. Cette fois, il regarda beaucoup plus longtemps et plus attentivement le sujet, mais l’auscultation se déroulait toujours sans un mot.
« Il est bizarre, non ? fit la voix de Paola derrière lui. Mais apparemment, il ne faut pas s’inquiéter, Nalya le connaît bien. » On sentait un certain soulagement. « D’après elle, c’est un médecin et un magicien, mais je ne sens pas son don… » Virgil, un peu surpris, ferma les yeux un instant et les rouvrit pour observer le comportement du flux magique autour de ce Max. Aucune activité mystique ne transparaissait. Ou bien il n’y avait effectivement rien, ou bien il était beaucoup plus doué que lui et dans ce cas, il les avait très probablement déjà grillés. Il le dit à son interlocutrice, qui hocha la tête mais marmonna que quand même, hein, il avait été blousé par l’illusion qu’elle avait mise pour cacher les effets de cette malédiction au public indésirable. La roulotte se remit en branle, chargée de ses nouveaux occupants. Le géant qui accompagnait Max n’avait pas prononcé un seul mot depuis le début, lui non plus. Néro avait bien essayé de lui parler un peu, pour voir, mais il n’avait rien obtenu. Qu’est-ce que c’était que ces types ? Deux jours plus tard, le petit convoi s’arrêta à proximité d’un hameau, qui d’après Nalya était celui d’où venait l’homme qu’elle avait –involontairement- inhumé peu de temps auparavant.

Un hameau ? Tu parles, une ferme, plutôt. Il n'y avait que quatre maisons, cernées de champs fraîchement labourés et de petits sentiers boueux. La route passait à quelque deux cent mètres des habitations, et un chemin de terre spongieuse y menait. Les autres commençaient à descendre de la roulotte, s'enfonçant jusqu'aux chevilles dans le sol en émettant des bruits de succion dégueulasses et s'étirant avec des craquements à peine plus ragoûtants. Tout le monde était ravi de se dégourdir enfin les jambes, mais Kurt n'avait pas la moindre envie de bouger. C'était trop humide, trop gris, trop sale, trop perdu à son goût, et en plus, les gens étaient trop joyeux. Comme on l'appelait, il finit tout de même par descendre de la roulotte, quelques secondes avant que celle-ci ne se mette en mouvement pour se rapprocher des maisons. Vie de merde, il aurait pu s'épargner de marcher dans cette gadoue sur les cent premiers mètres au moins ! En baragouinant à mi-voix des insultes dans sa langue maternelle à l'égard de la mère de la conductrice, il s'approcha des maisons d'un pas aussi vif que le lui permettait cette mozzarella de boue, car certains de ses compagnons étaient déjà rendus au bout du chemin.
En face de la première porte, une macabre découverte lui arracha un sourire. En soi, ce n'était pas particulièrement drôle, certes, mais la réaction de Virgil était plutôt amusante. Il aimait sans doute un peu trop les chiens, et le fait était que celui-ci avait quelque chose d'incomplet. Seule la tête trônait au milieu d'une mare de sang, le corps s'étant apparemment volatilisé. Esthétiquement, cela se défendait, mais c'était tout de même dommage d'avoir complètement ignoré le matériau fourni par le corps de la bête. Ce style épuré, quoique loin d'être déplaisant, restait malgré tout assez simpliste. Qu'avait bien pu vouloir dire l'artiste ? Le choix d'un corps de bête ; de chien, n'était pas anodin, assurément, et il fallait prendre en compte la forme de la flaque de sang qui se diluait dans la boue... L'être humain n'était peut-être finalement rien de plus qu'une dépouille périssable qui se faisait absorber par la terre sitôt la mort venue ? Seul l'esprit, symbolisé par la tête, élevait l'humanité au-dessus du règne animal, mais le choix du chien dénotait chez l'artiste la vision pessimiste de celle-ci ; il la montrait enchaînée, servile et déclinante, comme le chien, évoquant la grandeur passée et la régression, à travers l'image du loup. Intéressante vision du monde, analysa Kurt en fin connaisseur, avant de jeter un regard aux autres. Virgil détournait ses yeux noirs de la dépouille. Philistin, va. Et les autres ne valaient pas mieux. Incapables d'apprécier les bonnes choses ; complètement insensibles à la beauté. Rien à attendre de gens pareils.
Un craquement arracha Kurt à ces hautes sphères intellectuelles, et lui fit relever la tête. Il y avait une trace de choc sur la porte. Les planches qui la composaient étaient enfoncées, un peu comme si on avait donné un coup de poing dessus (mais alors avec un poing en acier). Myllenia ouvrit la porte en actionnant la poignée, et entra. Hé, venez voir ça ! Quoi, ça ? Ah, ça ! La pièce d'en bas était ravagée. Presque tous les meubles et objets étaient cassés. Kurt fouilla un peu pour la forme, mais ne trouva rien d'autre que des clopinettes. Super. La seule chose qui manquait au spectacle, c'était des cadavres déchiquetés. Avec ça, ç'aurait été parfait. Peut-être était-ce une représentation du chaos, d'où les corps étaient volontairement exclus, pour montrer la vanité de croire que le désordre puisse naître de l'ordre humain ? Le chaos était nature avant tout, voilà ce que lui inspirait cette scène.
Le tueur blond sortit de la maison, avec vaguement dans l'idée d'aller uriner, mais Néro l'attrapa par l'épaule. "On va se répartir, dit-il, ça ira plus vite. Il n'y a rien dans cette maison-là, alors amène-toi, on passe à la suite." Se répartir ? Et pourquoi c'était lui qui héritait de ce partenaire ? Rageant, Kurt s'avança vers la maison suivante, à la suite de ce blaireau de lancier. Sous son manteau, il serrait dans ses poings deux poignards. Si seulement il avait pu se débarrasser de ce maléfice ! En plus, il n'aurait même pas la joie de les emporter dans sa tombe, car il n'avait pas la tuberculose. Après auscultation, on s'était aperçu qu'en fait, on ne savait rien de ce qu'il avait. À quoi servaient les médecins, dans ce cas ? La deuxième maison n'était pas plus intéressante que la première, mais sensiblement dans le même état. Kurt ouvrit la fenêtre et les volets, pour faire de la lumière, puis s'attarda un instant en face d'un canapé déchiqueté. On n'avait pas fait ça avec une lame, c'était tout simplement déchiré. Le bois de l'escalier grinça, alors que Néro montait. Ce canapé était dans un sale état, et le reste de la pièce ne valait pas mieux. Le tueur attrapa un morceau d'étoffe et tenta d’en faire de la charpie en tirant de toutes ses forces. C'était un tissu très solide !
C'est à peu près à ce moment-là qu'il prit conscience du silence qui régnait, et monta les escaliers. Cette baraque avait quelque chose d'angoissant. En haut, il y avait deux portes. L'une ouverte, l'autre fermée. Il ouvrit celle de gauche, et regarda la pièce. C'était une chambre, avec un meuble contenant des livres. Aucun intérêt. La seconde chambre contenait juste un tabouret, et il y avait une fenêtre ouverte. "Néro ?" appela-t-il. Puis, plus fort "Néro !? NÉRO !" Où était-il, ce crétin ? Si c'était une blague, c'était pas marrant. Il y avait un moyen de vérifier... Il allait le forcer à sortir de sa cachette. Retournant dans la première chambre, Kurt renversa la bibliothèque, ramassa autant de livres qu'il en pouvait porter et descendit avec. Une fois en bas, il les jeta sur le canapé et déchira quelques pages pour aider à la combustion. Explorant ses poches, il s'aperçut qu'il n'avait rien pour allumer. Aucune importance, se dit-il en sortant, un grand sourire aux lèvres, il savait à qui demander.
Et puis comme ça, si l'autre imbécile mourait dans l'incendie, c'est pas vraiment lui qui l'aurait tué.

Ce qui restait de la porte traînait dans l'entrée. Pernilla enjamba les débris et sentit son pied s'enfoncer à nouveau dans la terre meuble alors qu'elle sortait de la maison. Il y avait de l'eau plein ses bottines, et chaque pas soulevait des éclats de boue. À l'intérieur, elle n'avait rien trouvé. Virgil était retourné à la roulotte, refusant de marcher dans cette terre pleine d'eau, et l'avait laissée toute seule avec Myllenia. C'était pas cool. Comme si cet endroit n'était pas assez flippant, il fallait en plus qu'elle se tape cette brute comme coexploratrice !
C'est à ce moment-là qu'elle aperçut une colonne de fumée qui s'élevait à partir de l'une des maisons. Pas de fumée sans feu. Elle s’avança sans précipitation vers l’incendie. Apparemment, tout le monde y était déjà, sauf Néro. Où était-il, celui-là ? C'était pas la maison qu'il était censé explorer, en plus ? Tiens, on aurait dit que le feu faiblissait... Lorsqu'elle arriva à la hauteur du bâtiment, il était tout à fait éteint. Virgil se tourna vers elle, avec une expression de profonde détresse. "De la flotte, dit-il, au bord des larmes, tout ça, c'est d'la flotte !
- Mais de quoi tu parles ? demanda Pernilla sans comprendre.
- Ce pays, c'est de la flotte ; le grand type qui ne dit rien, c'est de la flotte ; les nuages, c'est de la flotte ; tout le monde, c'est de la flotte ! C'est une malédiction ! Comme si ça suffisait pas de se transformer en réglisse... Tu vas voir que bientôt, je vais me changer en démon élémentaire de glace à l'eau !
- Dramatise pas, t'as qu'à tout brûler, ça te calmera. Dis-toi que cela pourrait être pire..." Elle laissa sa phrase en suspens. Effectivement, comment pourrait-ce être pire ? "Tu pourrais, je sais pas, moi, heu... être poursuivi par, heu... des tueurs sanguinaires qui te retrouvent où que tu ailles..." Non, c'était un mauvais exemple, d'autant plus que c'était peut-être déjà le cas. "Enfin, ce maléfice mis à part, t'es plutôt bien portant, non ?" Oh, et puis merde, elle ne pouvait pas lui reprocher de déprimer un peu dans la situation désastreuse où il se trouvait, après tout. Kurt semblait très déçu que le feu soit éteint, mais il était bien le seul. Tout le monde se demandait où se trouvait Néro, et fouillait autour ou dans la maison. En haut, un coup de vent fit claquer une fenêtre contre le mur extérieur. Reculant pour mieux voir, Pernilla aperçut au premier étage Nalya, qui montrait un point dans l'air, proche de la fenêtre, et dit à Max, situé juste en-dessous : "Ça s'arrête là". Un peu intriguée par ces énigmatiques investigations, elle entra dans la maison, pour voir. Il y avait un bordel inimaginable : des objets cassés et brûlés partout, un cadavre de sofa... Elle marcha sur quelque chose de dur, qu'elle ramassa. C'était une reliure en cuir, à laquelle étaient encore attachés des bouts de pages carbonisés. Il y en avait plein... Il fallait vraiment n'avoir rien d'autre à foutre pour faire un truc pareil. Ayant repéré un escalier roussi mais encore assez solide, Pernilla monta à l'étage. Le plafond était noir, à cause de la fumée, mais le feu n'avait pas eu le temps de monter jusque-là. Il y avait deux chambres ; les portes étaient ouvertes, et Nalya se trouvait dans la chambre de droite. La seule chose que remarqua Pernilla en entrant fut un petit tabouret, au milieu, mais Nalya, elle, s'était brusquement retournée, alarmée. "Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? demanda la nouvelle arrivée, un peu vexée d'inspirer une telle méfiance.
- Il y a quelque chose de magique dans cette pièce ! répondit Nalya en regardant autour d'elle.
- Tu vois ça, toi ?
- Moi non, mais lui oui, dit-elle en désignant la fenêtre du pouce.
- Max ? Aah, d'accord. Qu'est-ce que tu lui montrais, tout à l'heure ?
- L'endroit où s'arrête le lien que j'ai attaché sur Néro.
- Le lien ?
- Mental.
C'était bizarre. Elle n'avait jamais entendu parler d'une magie fonctionnant de cette manière. Au début, elle avait cru que cela permettait simplement de lire dans les pensées des autres et ça, c'était encore concevable, mais avait-on jamais vu quelqu'un changer la pierre en diamant simplement en le voulant ? Pernilla montra la fenêtre de doigt « il est là, ton lien ? ». Son interlocutrice répondit par l’affirmative. Selon la logique la plus élémentaire, si Néro se trouvait à l’autre bout du fil, il n’y avait qu’une manière de le rejoindre. Elle fit affluer la magie pour se protéger de l’éventuelle chute, (parce que pas fou tout de même) prit son élan et sauta. L’atterrissage se fit sur le garde du corps de Max, qui éclata en une multitude de gouttelettes au moment de l’impact, avant de se reformer presque instantanément. En effet, c’était bien de la flotte. Comme c’était vraiment trop frais, elle remonta en courant et resauta, cette fois en visant le bodyguard, dans l’espoir de lui éclater sa face aqueuse encore mieux que la première fois. Max la regarda d’un air excédé, et monta à l’étage en même temps qu’elle pour empêcher toute récidive. Ils entrèrent dans la chambre de droite, où Nalya les attendait. Selon Max, l’activité magique ne se déclenchait que pendant qu’elle, Pernilla, était à l’intérieur. Ce truc à plumes que lui avait donné Franz, elle l’avait toujours ? Ouep. Ici même, dit-elle en retirant le pendentif. Woaw ! Ajouta-t-elle en s’apercevant que ce machin chamanique luisait comme un œil de chouette vivante. (Ben ouais, sinon ça luit moins, fatalement.)
Virgil entra à son tour, flanqué de Kurt, qui se contenta de jeter un regard noir sur l’assemblée avant de tourner les talons. Pernilla tendit l’objet à Max, qui le regardait avec des yeux de chouette, vivante également. (Même si la luisance n’a ici pas d’importance, car l’image évoque plutôt la taille, m’est avis que des yeux de chouette morte auraient un aspect torve et inexpressif ne seyant pas à la situation.) Elle précisa néanmoins qu’on l’avait surnommé reviens, parce que fallait pas déconner quand même.
C’est après une bonne heure à se prendre la tête et à essayer de trouver pourquoi, au grand pourquoi, ce truc brillait ici et pas ailleurs et pourquoi les puceaux simplets avaient tendance à disparaître sans laisser de traces que l’absent réapparut, sortant de nulle part. Selon ses dires, il avait passé tout ce temps enfermé dans une chambre bétonnée, en face d’une corde et d’un tabouret avec, en plus, Nalya qui lui parlait dans sa tête pour l’encourager à se foutre en l’air. Mais non, se défendit la concernée, elle n’avait rien fait ! C’était quoi, cette histoire ? Pernilla rigolait doucement, car l’inculpée n’avait aucun autre recours que la confiance des autres pour faire valoir son innocence. C’était humain de vouloir la mort de quelqu’un, après tout. Peut-être y avait-il entre ces deux-là une haine tacite pour une raison x ou y ? Comment savoir…
En tout cas, cet enfermement avec du matériel pour dépressif chronique était une torture très raffinée. Et particulièrement dure psychologiquement, pour quelqu’un de normal. Il y avait sûrement moyen de reproduire ceci via des illusions… Il suffisait ensuite de rajouter des trucs marrants, (pourquoi pas un cilice fantasmatique ?) et on avait de quoi rendre fou n’importe qui. Ah, et puis le coup de la porte qui s’ouvre au moment où la victime se pend, c’était magistral !
Ils sortirent de la maison et remontèrent dans la carriole les uns après les autres. Aucun cadavre humain n’avait été trouvé : c’était bizarre, compte tenu du fait que toutes les bâtisses étaient détruites de l’intérieur, et que les champs n’avaient pas été abandonnés depuis longtemps. Sauf erreur, c’était pas si fréquent de voir tous les habitants d’un hameau, aussi petit soit-il, partir du jour au lendemain en saccageant tout derrière eux.
Encore deux jours avant Torda.

Les bâtiments décharnés de cette ville à l’agonie semblaient recouverts d’un métal terne et assombri par le temps et les pluies. Des gargouilles mutilées par l’érosion crachaient tout au long du chemin une eau sale qui ruisselait sous les arches en arc brisé, au gré des caniveaux. Une pluie régulière faisait briller les ruelles et les toits recouverts de multiples ornements, dans le plus pur style gothique de la période Morbide. Tout ça pour dire que Torda n’était pas à proprement parler un piège à touristes.
En voyant tous ses compagnons de voyage partir dans des directions différentes, Nalya descendit de la carriole et s’en fut trouver un coin où passer la nuit. « Où vas-tu ? » demanda-t-elle à Max par la pensée. Trouver des magiciens dans le coin. Ah, bon, mais tu ne crois pas que ça serait bien d’éviter de se perdre, pour commencer ? Hein ? Pas de réponse. Max ? Merde, il était déjà trop loin. Bah, qu’il aille où il voulait, c’était son problème, après, de se retrouver dans ce dédale de ruelles menaçantes, pleines de croix tordues et de rats squelettiques. En cherchant un peu, elle finit par trouver un gîte décent, et entra pour payer six, non, sept chambres. Au fait, n’y avait-il pas un concessionnaire de roulottes, par ici ? Oh, super, en plus, c’était tout près.
Combien cela pouvait-il coûter ? Peu importait le prix, maintenant, elle avait les moyens. Nalya entra dans l’établissement, distinct de l’atelier, et commença à discuter prix avec le vendeur. Voulait-elle des lits pliables à l’intérieur ? Et des lanternes autour ? Et un hublot ? Voulait-elle toutes les options possibles et imaginables ? Eh bien, comme ça, c’était plus simple. Oui mais non, pas besoin du cortège d’esclaves noirs livré en kit, ni de l’orchestre symphonique à l’intérieur, ni de la cathédrale portative avec son orgue et son chanteur de Gospel, on ferait sans. Elle voulait des chevaux, avec ça ? Oui, tant qu’à faire. Ok, il allait lui arranger ça, autre chose ? Combien de temps ça prendrait ? Bôh, il dirait une semaine… Il n’y avait pas moyen d’accélérer un peu les choses ? Si, pour sûr, y’avait moyen, il pouvait prendre de la main d’œuvre temporaire, par exemple, mais ça allait se voir sur la facture… « C’est pas un problème, vous pouvez me faire ça pour demain ?
- Demain soir, ça ira ? demanda le commerçant.
- Demain soir, c’est d’accord.
- On peut dire que vous, vous avez les moyens… »


Suite bientôt. Si, si, c’est vrai.

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