mardi 21 juillet 2009

Les brumes de Walpurgis.

10/07/2009

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines… Au pied d’un mur haut comme trois hommes et délicat comme un bunker, des miliciens patrouillaient dans le plus grand sérieux. Ce rempart entourait un cimetière gigantesque, un des trois de la ville, qui abritaient à eux seuls la quasi-totalité des cadavres produits par Torda au cours de son histoire. Et il y en avait ! En moyenne, depuis la fondation, un fléau ravageait les constructions et/ou les habitants tous les cinquante ans, et jamais le même, de surcroît…
Ce cimetière avait un certain charme, propice aux poèmes morbides ou aux inspirations désespérées surgissant parfois lors de ces brunes si particulières qui voilent de mauve et de rouge le ciel du nord continental. Mais les murs, les murs ! On aurait dit qu’ils cherchaient à être plus dissuasifs et plus sombres encore que les tombes sur lesquelles ils veillaient. Une sobriété coercitive et intimidante, prévue pour éviter que les gens y rentrent autant, peut-être, que pour éviter que des choses en sortent. (Quelque chose à mi-chemin entre Guantanamo et le ghetto de Varsovie, mais sans barbelés électrifiés autour ni juifs encore en vie à l’intérieur.)
Après avoir laissé un pucelage inutile à une prostituée qui n’en avait que faire, Néro s’en était allé rôder près du cimetière le plus noir de la ville. Il commençait à se faire tard, mais la lumière déclinante du soleil jetait toujours son feu sur de gros nuages lourds, annonciateurs d’une nuit couverte. Quoique le plus gros de la pluie se fût écoulé, il subsistait un crachin froid et constant qui s’insinuait sous les vêtements pour mieux geler les articulations. Ce soir-là, l’envie d’aller fouiner dans cet endroit fantasque, dans ce lieu de naissance de toutes les superstitions, l’avait pris à la gorge. D’abord, il avait demandé l’autorisation d’entrer aux gardes postés devant les grilles, mais ces derniers lui avaient signifié très clairement que le cimetière était interdit d’accès pendant la nuit, et déconseillé aux promeneurs en règle générale. Visiblement, ils l’avaient pris pour un vrai malade. Ici, personne n’était censé se trouver encore dehors à la tombée de la nuit, alors, que quelqu’un veuille aller visiter un endroit pareil à cette heure-ci, c’était inconcevable…
Qu’importe ! Néro n’avait besoin ni de porte, ni de l’assentiment de qui que ce soit pour entrer. Et puis, ce qu’il recherchait était sans doute ce que les habitants craignaient le plus : des fantômes, des morts-vivants, ce genre d’aberrations. Il en avait une curiosité maladive, de celles qui poussent les enfants à mettre les doigts dans le mixer pour voir si ça fait vraiment mal et, devant l’absence de douleur, à le mettre en marche, histoire d’en être bien sûr. Il avait donc gravi les hauts murs, en s’isolant de la gravité terrestre par la manipulation de son énergie interne. Le seul objet dans l’univers qui l’attirait était à ce moment-là cette paroi de pierre. Il pouvait marcher dessus, littéralement, sans risque de chute.
À présent, il errait entre les tombes, modestes ou onéreuses, en pierre érodée ou en métal oxydé. Même les caveaux familiaux et les mausolées collectifs ne suffisaient pas à faire suffisamment de place aux morts qui s’amoncelaient en tas ; en sépultures superposées. Les nouvelles tombes prenaient place par-dessus les anciennes ; les nouveaux cadavres recouvraient les anciens squelettes, et l’ensemble donnait l’impression d’être plein à craquer, ce qui était sans doute le cas.
Le profanateur noctambule s’approcha de l’entrée d’une crypte, et descella la dalle de marbre qui en interdisait l’accès en y injectant violemment une part de son énergie. À l’intérieur, il n’y avait rien, sinon des tiroirs pleins d’ossements puants. Pas de fantômes dans le coin. Il cherchait depuis une heure, déjà, et c’était le deuxième caveau qu’il ouvrait, sans succès. Mais enfin, quand même, les gens avaient bien peur de quelque chose ! Ils ne se cloîtraient pas chez eux toute la nuit sans aucune raison valable, si ? De dépit, il donna un coup de pied dans un pot de fleurs, notant au passage que la plante (ce qu’il en restait) avait pourri à cause de l’humidité, et s’en retourna vers le mur.
Il monta dessus, mais ne redescendit pas immédiatement. Il faisait nuit, et même s’il y voyait parfaitement, il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où se trouvaient les autres. Dans une auberge, probablement, mais laquelle ? Il n’y en avait pas qu’une. Et puis, Nalya ne lui parlait plus dans sa tête, et il ne pouvait donc pas lui demander de l’orienter. Apparemment, son truc ne fonctionnait plus quand on était trop loin. Enfin, il valait mieux ne rien capter du tout que de capter des paroles vous poussant au suicide. Il frissonna légèrement, sans savoir si c’était à cause du froid ou à cause de ce souvenir. Tout de même, c’était assez effrayant. Les murs étaient surplombés d’une grille à bouts pointus, dont Néro détruisit tout un pan à l’aide de son énergie pour pouvoir s’asseoir tranquillement. Il passerait la nuit là, faute de mieux.
Du moins, c’est ce qu’il croyait. Au bout d’une demi-heure seulement, un milicien le héla. Qu’est-ce qu’il foutait là-haut ? Il regardait les étoiles ? Plaisanterie stupide dans la mesure où le firmament était cette nuit-là sous-couché d’une large épaisseur de nuages sombres, empêchant les rêveurs de compter les constellations. Néro se redressa dans un soupir, et sauta, atterrissant sans un bruit à côté des trois abrutis qui l’avaient dérangé. « Si je venais du sud et que j’arrivais à Torda, où trouverais-je une auberge ? » demanda-t-il à un milicien qui, surpris, indiqua vaguement une direction du doigt, avant de s’en retourner à sa patrouille avec ses collègues.
Bon, eh bien puisque c’était comme ça, il allait essayer de les retrouver. Les ruelles étaient humides, sombres et silencieuses. Pas un chat. Mais de quoi pouvaient-ils bien avoir peur, tous ? Ah, que n’aurait-il pas donné, lui, pour voir un fantôme… Ses pas résonnaient sur ces pavés inégaux dans un petit bruit sec et régulier, comme un métronome réglé sur la vitesse la plus lente. (Quand le balancier est en haut de la réglette) Malgré l’impression qu’il avait d’avancer de moins en moins vite et de se perdre un peu plus à chaque pas, il finit par déboucher dans une allée légèrement plus large que les autres, sur les bords de laquelle des enseignes oscillaient faiblement au vent mauvais de la nuitée. Eh bien ici, il y en avait, des Auberges, mais l’une des enseignes était étrange… D’ailleurs, à bien y regarder, ce n’était pas une enseigne, mais un drap qui pendait à une fenêtre, et qui touchait le sol. Plusieurs draps, même. Noués entre eux. Peut-être une jeune fille s’était-elle enfuie à la faveur de la nuit pour échapper à des parents trop honorables pour tolérer les amours volubiles des adolescences endiablées ? Non, y’avait peu de chances, surtout par ici.
« Salut, fit une voix, on se demandait où tu étais. » Néro sursauta et se retourna vivement, pour s’apercevoir que c’était Virgil, qui déboulait d’une rue adjacente. Au lieu de débagouler sur lui un chapelet d’injures inconvenantes comme il l’aurait mérité pour s’être signalé de manière aussi flippante, Néro lui demanda où il était allé, avant de remarquer à quel point le sorcier était pâle, et d’ajouter « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Ben, heu, il était allé se balader, quoi. Et puis, pour ça, il avait fait le mur, quoi, parce que sinon, ici, on vous laisse pas sortir. Et alors, dans une ruelle sombre, comme ça, sans raison, quoi, il avait eu mal au bide et s’était mis à vomir des trucs sombres, qui s’étaient enfuis avant qu’il puisse essayer de les ravaler, quoi. Et c’était pour ça qu’il avait perdu, heu… les charmantes couleurs qui le caractérisaient depuis quelques temps ? À l’évidence, oui, mais il avait encore les yeux noirs, et une large tache sombre lui dévorait toujours la poitrine…
Au moins, se dit Néro pendant que Virgil remontait dans sa chambre, maintenant, il savait quelle était la bonne auberge. Il grimpa sur le toit dans le plus grand silence, et s’y assit pour attendre le jour. Ce n’était pas encore cette nuit-là qu’il verrait des revenants.

C’était un peu chiant de ne pouvoir partir qu’au soir, pour attendre que le carrosse qu’avait commandé Nalya soit livré avec ses chevaux, mais bon, on ferait avec. Et puis, comme ça, ils avaient plus de temps pour dénicher les praticiens occultes du coin. Ils savaient sûrement où on pouvait trouver le lieu décrit dans le livre de Virgil, nécessaire à sa cure, puisqu’ils habitaient ici. Normalement, avec l’hameçon illusoire qu’elle avait mis en place, ils n’auraient pas dû tarder à mordre, mais ils ne s’étaient toujours pas pointés. Y’avait pas de lait, ici, pour le petit déjeuner ? « J’ai déjà demandé, dit Virgil, maussade, ils disent que c’est indigeste d’en boire le matin. » En tout cas, lui, il allait mieux. Il avait repris des couleurs à peu près humaines et, même si ça ne durerait pas, c’était encourageant. Par contre, ce qui l’était moins, (encourageant) c’est les êtres noirs qu’il disait avoir vomi, cette nuit-là. C’était malin, ça ! Et si il s’était transformé, il aurait fait quoi ? On n’avait pas idée de se balader comme ça tout seul la nuit dans un endroit aussi craignos ! Oui, à toi aussi, je te parle, Néro ! Tu étais où, d’ailleurs ? Hein ?
Au cimetière, il était allé, ce con. Il avait envie de voir des fantômes… l’ambition de toute une vie. Assurément, lui, il lui manquait une case. Après, faudrait voir s’il n’y avait pas moyen de lui retirer les autres, ça pourrait être marrant. Quoique… Il avait étonnamment bien évité de devenir fou, enfermé avec sa corde, ce qui dénotait sans nul doute une santé mentale assez solide. Enfin, tout le monde a ses faiblesses…
Pernilla réfléchissait. Comment contacter ces mages ? Elle pouvait se cacher, et même cacher les autres, mais déceler la magie, cela lui était plus difficile. Virgil n’était pas beaucoup plus doué, mais peut-être que Max, s’il était bien magicien comme Nalya l’avait dit, pourrait les aider ? D’autant plus qu’elle n’était toujours pas parvenue à ressentir sa magie, ce qui semblait indiquer qu’il se débrouillait mieux qu’eux. Bon, il était bavard comme un choux de Brudge, mais peut-être qu’il consentirait à lâcher quelques mots pour les aider, après tout, y’avait pas de raison.
« Eh, Max.» Mouvement circulaire horizontal de la tête du concerné, pour reporter son attention sur celle qui l’appelait. « On cherche d’autres mages (ce mot à mi-voix) dans le coin, pour leur soutirer quelques renseignements sur la région, vu qu’on va être amenés à faire du tourisme. » Pas de réponse, seulement un regard un peu étonné. « Et, heu, du coup, on se disait que… tu pourrais peut-être, je sais pas, moi, nous aider, par exemple. » L’autre était toujours silencieux, et tourna la tête vers Nalya. « Et tu peux me répondre, au moins ? Je sais pas si tu t’en rends compte, mais c’est super désagréable !
- Oui, c’est moi qui lui ai dit, répondit soudain Nalya à Max, Il est muet », ajouta-t-elle à l’adresse de Pernilla. Un muet… Elle avait toujours eu de la chance. « Papier, crayon, lui dit-elle, moi y’en a vouloir communiquer. » Le sorcier haussa un peu les sourcils et sortit un bout de parchemin de son sac, ainsi qu’une plume, avant de griffonner quelque chose. Pendant qu’il écrivait, elle scrutait son âme. Le don était parfaitement invisible, même en regardant très attentivement. Elle prit le mot qu’il lui tendait, le lut et releva les yeux. « Et tu peux me conduire à eux ? » C’est à ce moment-là qu’elle aperçut deux hommes derrière Max. Comme elle évaluait encore la magie, elle vit avec surprise que tous deux étaient des magiciens. Comment il avait fait pour les amener aussi vite ? Elle était abasourdie, quel coup de bol ! Un des magiciens s’approcha de Max, et ils échangèrent quelque chose discrètement.
Hep ! Il fallait attirer leur attention, c’était fait. Ils semblaient enfin mordre à l’hameçon. Elle avait mis sur elle et Virgil une illusion qui les faisait passer pour moins doués qu’ils ne l’étaient, et très faciles à détecter. Messieurs, ils avaient à parler. Dans sa chambre ? Cela convenait parfaitement, oui… Alors, ils s’amenaient ? Virgil se leva et les suivit, ayant probablement lui aussi compris à qui il avait affaire.
Les chambres avaient, il faut l’admettre, quelque chose de miteux. Les draps sombres et épais prenaient la poussière entre ces murs couverts de traces d’humidité, les clients ne bougeant pas suffisamment dans leur sommeil pour les épousseter. Et puis, il ne faisait pas chaud. On caillait, même, pour ainsi dire. M’enfin c’était mieux que rien. Or donc ! Le jeune homme qu’ils voyaient là avait une particularité, mais voyez plutôt, déclara Pernilla tout de go, en révélant la véritable apparence de Virgil aux yeux des magiciens. Le plus proche des deux eut un mouvement de recul, avant de demander ce que c’était que ça. Deux fois rien, une petite malédiction sans gravité, fallait pas s’inquiéter. Par contre, on allait avoir besoin, pour tenter de soigner ça, d’un endroit un peu spécial, qui se trouvait par ici, dans le Moth. Comment tu appelles ça, déjà, Virgil ? Un nœud de magie, et plus précisément de magie d’obscurité. Voilà, comme il dit. Un nœud d’obscurité… Oui, il y en avait bien un, mais pour être honnête, c’était dans un lieu duquel ils avaient assez peu de chances de revenir. Accouchez. C’était dans la forêt de Ghéhenna, au nord de Torda. Bien ! Voilà qui simplifierait leurs recherches. Sinon, il y avait deux ou trois autres choses… déjà, ce petit truc, dit-elle en extrayant de sous sa laine le gri-gri de Franz. Ils n’avaient pas une idée de ce que cela pouvait être ? Elle captait une faible magie à l’intérieur, mais pas moyen d’en savoir plus. C’était un homme qui descendait du nord du pays qui le lui avait donné, et qui n’avait pas voulu dire un mot sur la façon dont il l’avait acquis. Il semblait que ce soit un objet chamanique, peut-être fabriqué par les gitans… Mais quelles en étaient les propriétés, ça, il n’en avait pas la moindre idée. Bon, pas grave, dit-elle en le récupérant, on verrait ça un de ces quatre. Sinon, question toute conne, s’y connaissaient-ils en matière de maladies d’origine mystique ? Dites toujours. Eh bien, il y avait un homme qui les accompagnait vers le nord en ce moment, qui souffrait d’une terrible maladie. Ce mal apparemment incurable avait laissé sceptiques tous les médecins consultés jusque-là, ce qui la portait à soupçonner un problème d’ordre animique. D’autant plus que cet individu possédait une immunité totale ou quasi-totale à toute forme de magie. Peut-être cela avait-il un lien ? Voulaient-ils l’examiner ? Au point où on en était, pourquoi pas.
Elle alla donc chercher Kurt, qui se trouvait encore dans la sale principale de l’auberge, et qui accepta de la suivre du bout des lèvres, intéressé par tout ce qui était susceptible de reporter ne serait-ce que d’un jour l’échéance fatale de sa mort prochaine. Sans surprise, les magiciens n’en savaient pas plus que les médecins, et il fallut faire ressortir Kurt avant qu’il ne les insultât trop violemment. Excusez-le, vraiment, il était quelque peu emporté, mais pas méchant quand on le connaissait bien, mentit-elle.
Les deux sorciers prirent congé, retournant à la grisaille de leur quotidien. Pernilla les regarda sortir, suivis de Virgil, visiblement assez soulagé de savoir à présent dans quelle zone chercher, même si la destination annoncée n’avait rien de rassurant. Ces tueurs, iraient-ils la chercher dans un endroit aussi perdu ? La suivraient-ils jusqu’en enfer ? C’était pas dit, mais ils étaient bien partis pour… Elle sortit d’une des poches intérieures de son manteau une barrette à cheveux qu’elle avait trouvée chez un antiquaire, et l’examina. Elle était en cuivre, incrustée de pierreries en toc. Aucune valeur pécuniaire, assurément, mais là n’était pas la question. On sentait une activité magique imprécise à l’intérieur, qu’elle avait identifiée le soir précédent, en l’observant d’un peu plus près que dans le magasin : c’était un contenant, fait pour stocker l’énergie animique. Pernilla en injecta autant que possible à l’intérieur, puis se leva avec lenteur et sortit de sa chambre en fermant la porte derrière elle.
Ce matin-là, la pluie s’était un peu calmée. Un soleil un peu timide perçait enfin la couche de nuages et, même si cela ne devait pas durer, c’était assez agréable d’avoir droit à une pause, entre deux averses. Ils ne repartiraient qu’au soir. Cela lui laissait le temps de faire quelques achats et de réfléchir un peu à une idée qu’elle avait eue la nuit précédente, en lisant un des bouquins qu’elle avait acheté. (Glauque, voilà le mot.)

Huit jours qu’ils avaient quitté Torda. Le temps était changeant en apparence, mais constant dans sa médiocrité. Le paysage aussi semblait varier, mais les couleurs n’allaient en réalité que d’un vert délavé à un noir pur, en passant par toutes les nuances de gris. Même le ciel ne parvenait pas à se montrer bleu. On était le 30 avril, cela faisait plus de quatre mois qu’ils étaient partis d’Archange, et même s’ils touchaient, géographiquement parlant, au but, la lassitude se faisait sentir. Pour faire simple, tout le monde était crevé, sauf peut-être Néro et Max, l’un car il semblait ne pas ressentir la fatigue, et l’autre car il ne voyageait pas depuis très longtemps avec eux. Ce jour-là, Myllenia n’arrivait pas à lire, et somnolait à l’intérieur de la roulotte, bercée par les cahots irréguliers. C’est quoi, ça, fit quelqu’un, juste à côté d’elle. Elle ouvrit les yeux, et demanda à Kurt, car c’était lui, de quoi il parlait. Ce dernier, sans dire un mot, désigna quelque chose qui se trouvait hors de la roulotte, et donc hors du champ de vision de son interlocutrice. Subodorant sans doute que son explication n’était pas satisfaisante, il ajouta « le truc, là, tout blanc ». Piquée de curiosité, Myllenia fit l’effort de se lever et de jeter un œil. En effet, une grande chose blanche déferlait de la droite, une masse gigantesque et silencieuse, qui fonçait vers eux en recouvrant tout, comme un raz-de-marée.
À présent, tout le monde avait remarqué que quelque chose d’anormal se passait, et se tenait sur le qui-vive. « C’est de la brume », fit quelqu’un. Effectivement, et si c’était de la brume ? La plupart des autres semblaient calmés par cette affirmation, mais elle conserva la main sur la garde de son épée.
Bientôt, la masse blanche les submergea. Un silence de mort régnait autour des deux roulottes, qui s’étaient immobilisées. Il semblait bien que ce fût de la brume. D’ailleurs, les lanternes s’éteignaient les unes après les autres, à cause du taux d’humidité élevé. Alors qu’elle commençait à peine à se décontracter, Myllenia eut une surprise désagréable, et tira brusquement son épée, avant de sauter de la roulotte. Celle-ci vibrait. Peu de lampes étaient encore allumées, mais de toutes façons, avec ce brouillard, on ne verrait pas mieux avec. Et puis, elle voyait dans le noir.
Les autres descendaient également du véhicule. Seules Nalya et Paola, l’une conduisant son propre véhicule, l’autre chevauchant sa propre monture, ne posèrent pas leurs pieds dans la boue. La brume sembla se solidifier pour former une silhouette blanche. Une gamine. Elle était pâle comme la mort. D’ailleurs, à bien y regarder… Etait-elle seulement vivante ? Son teint de craie se fondait dans le brouillard, et faisait ressortir ses longs cheveux noirs légèrement emmêlés, ainsi que ses grands yeux sombres et froids. À propos de froid… la température n’avait-elle pas chuté, depuis tout à l’heure ? Ou bien était-ce à cause de l’humidité ? Non… même dans cette purée de pois, on s’en apercevait, tous ses compagnons faisaient de la buée en respirant. Tous sauf la gamine… Myllenia rangea son épée bâtarde. Pas la peine de s’alarmer, fantôme ou pas, ce n’était qu’une enfant. Elle s’adossa contre le bois de la roulotte et attendit, observant la scène.
La… chose montra Néro du doigt, et dit « Tu m’as réveillée… Tu m’as réveillée. » d’une voix infantile et aiguë absolument insupportable. C’en était visiblement trop pour le profanateur inconséquent, qui donna un coup de lance en avant pour repousser cette créature. À côté, Virgil tenait son katana dégainé, prêt à intervenir lui aussi. Avec une vivacité inattendue, la petite fille évita la pointe de la lance. Elle continuait à parler, répétant les mêmes paroles, comme une litanie morbide. Dans le cimetière, il l’avait réveillée, elle voulait se rendormir… Paola descendit de son cheval et, alors que Néro allait frapper une deuxième fois, s’interposa entre lui et l’enfant. « Tu vas pas la buter, quand même ?! » Là, chose étonnante, la gamine passa au travers du bras de sa protectrice sans quitter Néro des yeux, exactement comme si personne d’autre n’existait à ses yeux. Paola retira vivement sa main, on aurait dit qu’elle l’avait posée sur quelque chose de brûlant, (c’est plutôt le contraire, mais bon) et recula, sans doute autant sous le coup de la surprise que de l’effroi. C’était assez déroutant. D’un côté, ce spectre n’avait pas une attitude plus menaçante que ça, mais d’un autre point de vue, les morts-vivants, les fantômes, tout ça… Ce n’était jamais bon signe que d’en voir. Que faire ? Myllenia était indécise. Assurément, Virgil l’était moins. Il venait de se jeter sur la fillette, et de la frapper, mais en pure perte, car sa lame passa au travers sans qu’elle fît un seul mouvement pour l’éviter, comme s’il n’existait pas, lui non plus.
C’est alors que la fillette attrapa Néro par le bras, dans un dernier « tu m’as réveillé » désespéré et presque attendrissant. Presque. Comment se faisait-il qu’elle puisse toucher le combattant ? Ayant probablement remarqué que la chose n’était plus immatérielle, le pyromancien maladroit l’attrapa à bras-le-corps, et tenta de lui faire lâcher prise. Le fantôme avait l’air surpris, comme s’il venait de remarquer les autres, et se débattit. À eux deux, ils parvinrent à dégager le bras de Néro, qui était bleui et marqué d’empreintes de doigts, témoignage de la poigne de fer de la fillette. Cette dernière disparut dans la brume en sanglotant, avant qu’ils ne puissent réagir. Eh bien, se dit Myllenia sans s’émouvoir, il semblait bien qu’à force de troubler le repos des morts, on finisse par se faire des amis. En ce qui concernait celle-là, ils ne la reverraient sans doute pas, mais combien de tombes Néro avait-il profané ? Comme s’ils n’avaient assez d’ennuis ! Il fallait, en plus, qu’il aille traîner dans les cimetières et réveiller des spectres. La prochaine fois, il allait déterrer des zombis pour se marrer, et parce que ça manquait au tableau des horreurs qu’ils avaient croisées dans ce pays de merde ?
La plupart des voyageurs remontaient dans les roulottes, mais celles-ci ne démarrèrent pas. Les chevaux refusaient d'avancer, à l'exception de celui de Paola. Myllenia, impatiente, prit les rênes, mais ne parvint pas à faire mieux. C'est à peu près à cet instant qu'elle remarqua quelque chose. Là-bas, dans la blancheur opaque, des ombres se mouvaient.

Le brouillard se superposait à l'obscurité naturelle du soir, de sorte qu'on n'y voyait rien. À droite et à gauche, des auras magiques très mal dissimulées collaient à la peau de la plupart des voyageurs, mais il semblait que le spectacle fut fini : il n'y avait plus trace de la gamine fantôme. Max sourit et repositionna son carnet de voyage dans son sac, avec ses livres et son peu de matériel. Il fallait voyager léger, après tout. Pourquoi les autres n'avançaient-ils pas, à présent ? On n'allait pas rester dans pareille purée de pois, quand même ! À ce moment-là, il entendit les voix.
Dans le blanc de la brume, on distinguait des formes noires, desquelles émanaient d'étranges cris articulés, un peu comme un enregistrement sur un disque vinyle rayé d'un chanteur de métal libanais, avec le volume assez bas. Max se saisit d'une lanterne, l'alluma et s'éloigna un peu des deux roulottes et de leurs occupants, en direction des ombres. Derrière lui, quelqu'un lança, sur le ton de l'avertissement : "Ils nous disent de venir ; de nous approcher... de manière très moyennement rassurante !"
La curiosité était trop forte. Il continua à s'avancer en ignorant les paroles de celle qui criait, étrangement fasciné par ces créatures d'un autre monde. Reviens ! Tu vas te faire tuer ! Max s'arrêta et leva sa lanterne devant lui. Il y avait une dizaine de ces choses à portée de vue, c'est-à-dire pas bien loin. Que dire ? Qu'attendaient-elles de lui, à présent qu'il était venu ? Il semblait qu'elles hésitaient à s'approcher, comme si la lueur de la lampe qu'il tenait les dissuadait de fondre sur lui. Max frissonna, et prit conscience du froid qui l'entourait. L'humidité de l'air s'insinuait sous ses vêtements, et des gouttes glaciales perlaient sur la nuque et le long de son dos. On aurait dit que la lumière faiblissait ; que le feu lui-même était engourdi par ce froid soudain. Les créatures s'approchaient lentement. La lumière et la température déclinaient de manière progressive, comme dévorées par la brume. Au milieu du chœur de ces voix inhumaines, Max entendit le cri de quelqu'un qu'il connaissait, comme venu de très loin. On aurait dit un écho sans le bruit initial. Il comprit les paroles de façon désynchronisée ; avec un temps de décalage. On lui disait de revenir, vite. Une grosse voix retentit. Qui était-ce ? Il y eut une gerbe lumineuse, une lanterne se fracassa au beau milieu des créatures, qui se dispersèrent en poussant des hurlement de frayeur. Max se rendit compte qu'il tremblait légèrement. Sa propre lanterne reprenait de l'éclat. Jetant un œil, il s'aperçut que du givre s'était formé sur les vitres de verre qui entouraient la flammèche. "Allez, on avance", mugit une voix puissante. Il tourna les talons et se dirigea vers les roulottes. Un colosse était en train de crier sur les bêtes pour les faire avancer, et doucement le convoi se mettait en branle.
L'homme était immense et musculeux. Il tenait à la main une arbalète chargée, et se mouvait avec des gestes sûrs et puissants. "C'est la nuit de Walpurgis, il ne faut pas rester là !", tonna-t-il. En jetant un regard par-dessus son épaule, Max s'aperçut que les ombres les suivaient toujours, clamant avec ardeur leur sinistre complainte désarticulée. L'autochtone les mena en silence jusqu'à son domicile, escortant la troupe rescapée. La maison surgit brusquement devant eux. On aurait dit qu'elle avait jailli du brouillard au moment où celui-ci ne pouvait plus la cacher. Leur sauveur ouvrit la porte et s'écarta pour les laisser entrer. Qu'ils laissent ici les véhicules et les chevaux ; il était trop tard pour ça ! Les uns après les autres, ils franchirent l'huis. Max entra dans les derniers et eut une légère frayeur en voyant l'animal qui se tenait à l'intérieur. La porte claqua derrière lui. La bête poussa un grognement.
C'était un chien, si l'on peut dire. Un chien de la taille d'un gros poney, aussi musculeux et aigri que son maître, avec des crocs visiblement faits pour broyer des nuques de taureaux. Max se sentit soudain petit, en même temps qu'il imaginait cette mâchoire puissante se refermer sur sa cage thoracique pour en moudre les os. Il semblait que la présence indésirable du cheval de Paola l'importunât intensément. Il grognait, montrait les crocs et bavait sur le sol. "COUCHÉ, BORIS !!" hurla le colosse au premier semblant d'aboiement, avec une voix d'une virilité gargantuesque, qui fit trembler tous les murs de la maison. L'animal sembla se calmer sous cette autorité indiscutable, puis s'éloigna quelque peu, laissant en paix les touristes. Après ce petit interlude musical, l'homme se tourna vers ses hôtes et indiqua l'escalier. Les chambres. Qu'ils montent, et vite.
Max gravit les marches grinçantes. Devant lui, l'obscurité reculait à mesure qu'ils montaient. Le colosse tenait une autre lanterne, ou une bougie, quelque chose comme ça, pour éclairer leur chemin.

- Nous sommes répartis dans les diverses chambres. Kurt dort en bas, dans le lit de notre hôte.
- Les chambres sont toutes fermées, leurs volets itou, avec interdiction d'ouvrir.
- Virgil demande, un peu plus tard, à prendre un bain. On lui montre une bassine, et le groupe doit passer à table.
- Patates et ragoût. Le type répond "on n'en parle pas" à toutes les questions portant sur Walpurgis, etc. Il est assez froid. À la question "vous récupérez souvent des touristes en danger sur la route ?", il répond "D'habitude, je me contente de les enterrer."
- On boit une tisane.
- Maintenant, on va se coucher, ou presque.
- Pernilla va voir dans la chambre de Virgil et Néro pour s'informer sur le rituel. (si si.)
- Nalya va espionner le type en bas en forme astrale, après avoir vérifié, dehors, que les chevaux, etc. ne sont pas morts. Il est en train d'effectuer un rituel très répétitif. ("Au nom du père, du fils et du saint-esprit..." x10^40) Il fait ça face à un autel avec de l'eau, et la vapeur envahit progressivement la pièce. Dans une bassine, ou quelque chose comme ça, apparaît une silhouette blanche. Nalya se reconnaît, et s'enfuit. L'effigie effectue les mêmes mouvements qu'elle.
- Pernilla retourne dans sa chambre.
- Virgil est mort de peur, et Néro, comme d'habitude, ne dort pas. Ils entendent des bruits derrière les volets. Histoire de blaguer, en rentrant dans sa chambre, Nalya lui fait un petit "bouh" qui fait peur avec sa tête de fantôme, et il crie.
- Notre cher hôte monte, engueule Virgil et Néro et leur donne une tisane à éteindre un volcan actif pour les aider à dormir.
- Nalya décide de pioncer, tout le monde, en fait, à l'exception de Max.
- Max entend des bruits derrière les volets, et décide de les ouvrir.
- Il réussit son jet de dex', et une ombre rentre. Elle court partout sur les murs et les plafonds avec une vivacité infernale. Il balance plusieurs sorts de destruction dans la pièce, sans parvenir à la toucher. Les murs et le plancher sont ruinés par le combat. Notre hôte, qui est monté à cause du bruit, commence à défoncer la porte.
- L'ombre, qui l'a déjà touche deux ou trois fois, l'attaque encore et c'est le hit ! Il foire son jet de résistance, et fait une superbe crise cardiaque.
- La brute finit de défoncer la porte, fait fuir l'ombre en lui lançant sa lanterne et referme précipitamment les volets. Nalya, réveillée part le bruit, regarde par un trou dans le mur et essaie de ranimer Max à coups de décharges d'énergie, mais ne parvient qu'à l'abîmer un peu plus.
- Il meurt.

Fini, avec un retard monstre, mais bon.

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