vendredi 12 juin 2009

Voyage à travers le Gabriel.

12/06/2009

Après quelques jours de voyage, les voyageurs passèrent la frontière de l'Etat du Gabriel. Personne ne semblait regretter l'Hélenia, son hospitalité, sa choucroute et ses paysans bien gras. Enfin, en tous cas, ce n'était pas le cas de Pernilla, qui en était venue à envier Néro de n'avoir presque pas à manger (eurgh la choucroute) ou à dormir (on dort pas beaucoup quand chaque nuit est potentiellement la dernière). Le danger était partout, même s'il s'était précisé. Elle savait à présent qui était véritablement l'artiste qui s'était amusé à éventrer, justement, un de ces paysans bien gras, au risque de leur mettre sur le dos les malades dominicaux aux bras longs, comme c'est souvent le cas chez les tribus porteuses de crucifix en fonte sur la tête. En début de semaine, elle avait demandé à la sorcière qui lisait dans les pensées si elle ne voulait pas, à tout hasard, faire un check sur l'Ankou, pardon, Zacharias, et sur le blond. Apparemment, elle n'avait pas attendu qu'on le lui demande pour sonder tout le monde. C'était Kurt le tueur. Et puis, même sans sondage, prétendait-elle, si on le connaissait un peu, il n'y avait pas trop de doutes possibles. Il avait des antécédents, et pas des moindres. Dans un sens, c'était rassurant, mais tout de même ! Les meurtres, encore, pourquoi pas. C'était un drôle de passe-temps, mais pas trop gênant tant qu'elle pouvait prétendre ne pas le connaître s'il venait à se faire avoir. Par contre, les meurtres satanistes avec mise en scène morbide, c'était une autre paire de manches. Le peu de chose qu'elle savait des fondus qui s'occupaient de ce genre d'affaires ; l'inquisition, lui suffisait amplement. La peur qu'ils inspiraient en disait long sur leurs moyens (tiens, d'ailleurs, ça lui donnait une idée, ça) , et sur l'usage qu'ils en faisaient, de plus... les gens comme Nalya, Virgil, ou elle-même, étaient de bons exemples de ce qu'ils avaient pour ambition d'éradiquer.
Bref, pas trop envie de chercher la merde à ces gens-là. Comment, dans ce cas, s'assurer de leur éloignement ? Elle n'avait aucun moyen pour empêcher Kurt de continuer ses conneries. Il semblait complètement imperméable aux illusions, et même rétif à toute autre forme de magie, alors, que faire ?
Quand, une semaine après leur arrivée au Gabriel, ils atteignirent la ville de La Roche, elle avait trouvé la solution, mais il lui faudrait un endroit tranquille et une mise en scène appropriée. Dans la roulotte s'entassaient des lingots d'or et, de ce qu'elle avait compris, ils avaient l'intention d'écouler tout cela en orfèvrerie. C'était Nalya qui fabriquait tous ces pavés dorés à partir de rochers, en se concentrant fortement et longuement. Pernilla avait une bien meilleure idée (et bien moins fastidieuse) pour se faire du blé, mais chacun ses méthodes. En tout cas, à son humble avis, il eut été plus efficace de refiler ce stock à un banquier qu'à un orfèvre, surtout que ceux-ci avaient en général des besoins en or plutôt faibles. Le Gabriel était une contrée très riche, aussi fut-elle d'abord surprise par l'apparence de la ville. Si elle avait dû trouver de prime abord un mot pour décrire ce qu'elle voyait, elle aurait appelé cela un cloaque, mais après plusieurs minutes à avancer dans l'obscurité du soir, ils s'aperçurent qu'en fait, c'était un ghetto. Un ghetto pour les pauvres, les riches étant claquemurés dans un quartier central précisément délimité et très bien gardé, même en cette heure tardive. Pernilla n'avait pas trop envie de dormir dans les puces des nécessiteux, et plus généralement ce quartier puant ne lui disait rien.
Les gardes étaient réticents pour ce qui était de les laisser entrer, jusqu'à ce qu'ils voient Zacharias, et qu'ils n'y deviennent complètement opposés. Whaeuh ! Si il l'avait écoutée, et qu'il avait changé de look, ils n'en auraient pas été là ! Heureusement, la femme qui l'employait proposa de les quitter ici (de toutes façons, c'était ce soir-là ou le lendemain matin) et ils purent passer après de sommaires adieux.
Du côté du centre-ville, les rues étaient éclairées par des lampadaires faits d'une pierre lumineuse qu'on immergeait dans un bocal plein d'eau. C'était du plus bel effet, en plus d'être efficace. Après un temps de recherche inconnu, mais qui oscilla probablement autour de vingt minutes (à vingt minutes près), ils aperçurent enfin au détour d'un chemin une auberge, mais pas du genre petite enseigne miteuse. Pas un truc de luxe extrême non plus, mais déjà un très bon coin pour passer la nuit.
Et puis, arbitrairement, la nuit finit de leur tomber sur le coin du béret, et la majeure partie d'entre eux s'endormirent. Pernilla savait qu'il y aurait au moins deux personnes qui ne fermeraient pas l'œil. L'autre, là, Néro, qui ne dormait jamais ou presque, ainsi qu'elle-même, car elle avait du boulot. Sortant de sa chambre, elle se dirigea vers celle d'en face avec quelques bougies sous le bras, tout en se nimbant d'une fine peau d'obscurité magique. Ainsi, elle était quasiment indécelable, et pas seulement visuellement : ses pieds ne faisaient pas plus de bruit que si elle eût marché sur des nuages. La porte était ouverte. À l'intérieur, dans un grand lit à baldaquin, quelqu'un sommeillait paisiblement. Guettant les bruits de respiration du dormeur, Pernilla alluma furtivement cinq bougies en cercle autour du lit, fit quelques dessins malhabiles avec la cire, et réveilla Kurt. Elle ne pouvait pas l'affecter avec sa magie, c'était un fait, mais lui ne s'était jamais réellement rendu compte de ce don. Oh, bien sûr, il avait pu constater que les flammes de Virgil le léchaient sans le brûler, ou que les sorts qu'elle-même avait lancés l'avaient miraculeusement épargné alors que tous ses compagnons tâtonnaient dans le noir, mais il demeurait partiellement ignorant de sa propre immunité, et complètement ignare en tout ce qui concernait de près ou de loin la magie. Longtemps auparavant, dans un livre ardu qu'elle avait lu pour la bonne et simple raison qu'on le lui avait déconseillé, elle avait eu connaissance de la théorie fantaisiste qui voulait que l'existence fût issue de la croyance. Si Kurt croyait qu'elle lui avait jeté une malédiction, alors il agirait exactement comme si le maléfice avait bel et bien existé, et tous les évènements qui en découleraient -bien réels, eux- seraient basés sur quelque chose de faux, jusqu'à ce qu'elle lui annonce la rupture de la malédiction. À ce moment-là, plus personne -si ce n'était elle- ne pourrait témoigner de la fausseté du maléfice, et celui-ci pourrait dès lors être considéré comme ayant été réel. Ce n'était que ça, la réalité : des vérités admises par ceux qui la définissent.
Kurt sembla avaler la couleuvre qu'elle lui servit sans problèmes de déglutition, mais force était de constater que l'assaisonnement n'était pas à son goût, tu parles ! Il était persuadé, à présent, d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête, qui s'abattrait sur lui au prochain meurtre qu'il commettrait, le frappant d'une mort inéluctable. Clause restrictive : elle pouvait à tout moment exclure quelqu'un de cette condition, si besoin était. Ouh là ! Elle n'aimait pas la tête qu'il faisait, il allait falloir tirer sa révérence, d'autant plus que si ça continuait il allait devenir violent, ça crevait les yeux. En parlant de crever les yeux... c'est vrai, s'il l'avait crue, il ne la tuerait pas, mais elle n'avait rien prévu pour assurer ses arrières. Pernilla recula légèrement, en proie à une sorte de peur soudaine, et il fit un geste brusque dans sa direction. Aussitôt, elle tourna les talons en se cachant sous un masque illusoire le plus épais possible qui devait la rendre invisible. Elle ne savait pas si cela aurait le moindre effet sur lui, mais c'était déjà ça. Il n'y avait personne dans le couloir, pas même un domestique, ça aurait été étonnant, aussi ! se dit-elle en claquant la porte de sa chambre, avant de la fermer à clé. Juste à temps. Il y eut un grand bruit, alors qu'un burin transperçait sa porte et que les hurlements de Kurt résonnaient dans tout le bâtiment. Saaaaalllooooooppe ! Saaalooopeeuh ! Tu vas le regretter ! Ah, d'accord, effectivement, il était remonté, suffisamment en tous cas pour essayer de défoncer la porte avec ce qui était probablement le premier objet contondant qui lui était tombé sous la main. L'invisible salope réfléchit un instant, eut l'idée de pousser une commode contre le battant, mais se ravisa. Cela n'aurait pas servi à grand-chose et, de toutes façons, avec ces cris, il ne tarderait pas à ameuter du monde. Le mieux qu'elle pouvait faire, pour l'instant, c'était accélérer le processus. Elle mit donc ses mains en porte-voix et, d'une voix suraiguë qui ne lui était pas coutumière, commença à hurler oh, son Dieu, au meurtre, au viol, au secours !
Elle cessa brusquement de crier alors qu'une autre voix retentissait et Kurt cessa immédiatement de frapper, pris sans doute d'une frayeur indescriptible, car c'était bien la brute, Myllenia, qui venait de parler. Alors que cette dernière ordonnait avec une autorité indéniable et indiscutable au tueur de retourner se coucher, Pernilla éteignit de deux doigts préalablement humectés la timide bougie qui était dans sa chambre, de peur que la lumière ne se voie du couloir, à travers les trous de la porte. Puis elle alla se coucher, parce que, quand même, hein, c'était sans doute aussi valable pour les autres, et de toutes façons, Kurt ne reviendrait pas, sans doute trop occupé à faire des cauchemars pleins de bombes sexuelles et d'épées bâtardes.

Cent cinquante kilos d'or environ. En lingots. Voilà ce qu'ils transportaient dans cette pauvre carriole trouée. Surtout, c'était pas la peine de dire merci. Grâce à ça, ils n'auraient plus trop de problèmes d'argent, mais encore fallait-il le revendre, cet or, car on ne paye pas sa nuit à l'auberge avec des bouts de lingots. Enfin, techniquement on pouvait, (n'importe quel aubergiste normalement intelligent ne crache pas sur l'or !) mais ça risquait d'attirer l'attention, ce qu'elle souhaitait éviter avant tout. Au matin, vers dix heures, Nalya proposa donc aux deux moins effrayants de ses compagnons de route d'aller fourguer une partie de leur stock à un orfèvre du coin. En plus, c'était l'endroit rêvé pour ça, car l'industrie gabriélite du luxe et des métaux précieux était particulièrement active et lucrative au sens trèèès large, pour ne pas dire gargantuesque, du terme. Les nobles et les parvenus se ruaient sur tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de l'or avec une avidité d'Homo ricus exacerbée. Ils allaient donc se faire passer pour trois d'entre eux, mais c'était plus facile à dire qu'à faire, car même lavé et nourri, Néro conservait quelque chose de profondément clochardesque. Peut-être ses vêtement moult fois recousus ? Ses manières de roturier ? Enfin, quoi qu'il en fût, il avait beau être propre, ça ne changeait rien : il puait la plèbe. Comment remédier à cela ? Oui, Paola pouvait les faire ressembler à quelque chose de noble, mais par contre, pour les manières, elle pouvait rien faire. Nalya regarda l'apparence qu'elle lui avait donné : pas mal. Néro aussi, c'était bien mieux, mais on était obligés pour la moustache en bicyclette ? Ah, d'accord, et pourquoi elle s'était donné ce look de soubrette ? De suivante, oui, pardon. "C'est bien simple, répondit la suivante, moi, je récupère ma part des bénéfices, mais si ça foire, je ne récupère pas ma part d'emmerdes. Je serai la pauvre domestique abusée : c'est le prix de ma participation."
Bon, d'accord, va pour ça. Qu'est-ce qu'on ferait pas pour le fric, quand même. Bonjour ! Ils souhaitaient parler au patron, alors dégage de là, avorton, et va lui dire que le duc l'attend pour affaire. Nalya communiquait mentalement avec ses compagnons, mais aucun n'avait de connaissances, aussi limitées soient-t-elles, des titres de noblesse à la mode du Gabriel, alors un duc, pourquoi pas. Bon, ce ne fut pas glorieux : à lire dans ses pensées, l'orfèvre n'était pas dupe de ce "duc" et de sa "duchesse", venus pour écouler un stock d'or qui leur était tombé entre les pattes suite au décès d'un ami usurier, mais ne semblait pas avoir dans l'idée de les balancer, tant qu'il pouvait se faire une coquette marge à l'achat. Ils verraient ça avec lui à midi, au restaurant.
En attendant, elle avait quelque chose à faire. Kurt couvait quelque chose, c'était sûr : lors de sa dernière crise de toux, ils s'était retrouvé sur le dos en train de cracher du sang, à force de se racler les alvéoles pulmonaires. Et puis, elle-même avait besoin de quelque chose pour calmer les migraines récurrentes qui la prenaient quand elle faisait usage de ses pouvoirs mentaux. Il leur fallait trouver un médecin et, par chance, ici, c'était pas un problème, tant qu'on ne recherchait pas un médecin compétent. Aussi arrêtèrent-ils leur choix sur une grande asperge colorée comme une endive, sympathique comme un choux de Brudge et visiblement aussi vif d'esprit qu'une carotte à l'eau. Cet hybride végétatif à tendances légumineuses leur taxa cinq pièces d'or pour leur dire que Kurt allait mourir de la tuberculose dans quelque mois et que non, il ne pouvait rien faire pour ses migraines, à part lui vendre deux-trois flacons d'une purge qui de son propre aveu ne servirait à rien. La tuberculose... parce qu'en plus d'être dangereux, il était contagieux ? Génial ! Elle voyageait avec lui depuis plusieurs mois, et avec la chance qui la caractérisait, si ce merveilleux toubib ne s'était pas fourvoyé, elle était sûrement déjà contaminée. Et les autres aussi, d'ailleurs.
Il était midi, l'heure de retourner à l'orfèvrerie, pour aller déjeuner avec le patron. Il fallait absolument écouler cet or, elle n'avait quand même pas fait ça pour rien ? Non, non, visiblement, non. Le restaurant où l'orfèvre les amena noyait littéralement ses clients sous une débauche de luxe et d'attentions. Ils se spécialisaient dans le poisson/les fruits de mer. Oh, dis, la carte ! Certains plats coûtaient plus cher qu'une maison à Archange ! Quel pouvait bien être le prix d'une maison ici, dans ce cas ? Leur receleur ne se donna pas la peine de parler de l'or pendant le repas, reléguant au dessert cette tâche inélégante. Au final, il lui aurait fallu un peu de temps pour réunir l'argent nécessaire à l'achat de la totalité du stock, ce qu'ils n'avaient pas, et ils ne purent en vendre qu'une vingtaine de kilos. Bon... C'était déjà ça.
Dans l'après-midi, avec l'argent obtenu, elle acheta une bague surmontée d'un diamant, afin de pouvoir reproduire cette matière autrement plus précieuse et plus facile à écouler. Puis la roulotte et ses occupants repartirent. La route était longue, il ne fallait pas traîner.

Les cahots que leur véhicule émettait avaient de prime abord semblé supportables à Néro, mais après tout ce temps passé à les entendre, ces entrechoquements réguliers lui transperçait le crâne aussi douloureusement que des coups de pioche. Cela faisait une semaine qu'ils avaient quitté La Roche, et ils venaient de laisser derrière eux la dernière étape gabriélite avant le Moth. C'était une ville un peu plus petite que La Roche, mais organisée plus ou moins de la même façon : les pauvres d'un côté, les riches de l'autre. Une ville réputée pour le talent de ses forgerons, tiens donc ! Des blaireaux, maugréait-il pour lui-même. Quand on vend des armes et armures, on ne fait pas ça par correspondance, ni sur rendez-vous. Or, là, il fallait se présenter une semaine à l'avance pour pouvoir espérer acquérir un couteau à beurre forgé par tel grand maître de renommée internationale. Laisse tomber, ça n'en valait pas la peine, et ils n'avaient pas le temps... mais tout de même, c'était rageant ! Nalya avait réussi à fabriquer du diamant, et Paola en avait vendu une petite quantité pour une somme considérable. Il n'avait jamais été plein aux as, et maintenant qu'il l'était, il ne pouvait même pas dépenser tout ce blé ! Pour ainsi dire, ils avaient de l'or à ne plus savoir qu'en foutre, des diamants plein les poches et dormaient sur un lit de pièces d'or, mais cela ne leur servait à rien. Le seul truc utile qu'ils avaient pu acheter était une boussole, ha ! Avec ça, ils étaient bien avancés ! Et pour couronner le tout, Virgil noircissait à vue d'œil. Il approchait du seuil de la transformation, c'était flagrant, et chacune de ces "crises" le rapprochait un peu plus du passage définitif à l'état de monstre d'obscurité. Plus que deux semaines avant d'être au Moth, se disait Néro pour garder espoir dans la survie possible du pyromancien maladroit.

Il allait crever, c'était couru d'avance ! Virgil était plongé dans son livre, au chapitre concernant le rituel obscur qu'il allait devoir accomplir pour se débarrasser de cette foutue malédiction. Et encore... même s'il s'en sortait, il ne savait même pas quelles en seraient les séquelles. Ce pays le déprimait, ses compagnons de route le regardaient avec suspicion, quand ils ne lisaient pas dans ses pensées pour les commenter à voix haute, et il lui semblait qu'ils n'arriveraient jamais à temps. Il y avait beaucoup trop de paramètres qu'il ne maîtrisait pas, ça le rendait incroyablement nerveux. Ce rituel était dangereux, beaucoup trop dangereux ! Il aurait fallu qu'il n'ait pas à le faire lui-même ! Pouvait-il décemment mettre sa vie entre les mains de quelqu'un qui, quoique doué de magie, n'avait de son propre aveu jamais sérieusement mis le nez dans un livre occulte ? Cela lui faisait des cheveux blancs, mais il n'avait pas trop le choix. Enfin, des cheveux blancs... Depuis qu'ils étaient arrivés dans ce pays humide, froid, sombre, désagréable et inhospitalier, il ne ressemblait vraiment plus à rien, et encore moins à quoi que ce soit de blanc. Il ne s'était pas transformé une troisième fois, comme si la chose obscure qui le rongeait avait changé de tactique, et voulait l'avoir à l'usure, en prenant son temps. Même le blanc de ses yeux était devenu noir corbeau. Virgil frissonna sous un courant d'air frais du soir. Au moins, il ne jurait pas avec le paysage. Le Moth était un horrible endroit, angoissant au possible, et pluvieux, en plus. Chaque soir, il s'arrangeait pour assécher magiquement l'endroit où ils devaient planter leurs tentes, sans quoi ils auraient dormi dans la boue.
Paola s'était arrangée pour qu'aux yeux des autochtones, il ait l'air à peu près normal. C'était déjà ça. Ainsi, on ne le fuyait pas à vue dans les quelques villages qu'ils avaient croisés sur la route. Il descendit de la roulotte pour aller lui parler de ce rituel. C'était plus sage de le faire dès maintenant. Elle voulait bien l'aider, mais doutait d'en être capable, d'un point de vue technique, et s'il voulait qu'elle apprenne ce rituel par cœur, il ferait bien de lui expliquer de quoi il en retournait le plus tôt possible, histoire qu'elle voie si c'était envisageable, et qu'elle commence à s'y exercer si tel était le cas.
Quelques jours plus tard, il commença à entendre des voix étranges qui lui suggéraient des choses dignes de leur étrangeté. Ils se réapprovisionnèrent dans un petit village peuplé de paysans, mais Virgil était ailleurs. Il écoutait les voix. Rien de tel n'était mentionné dans son livre, pourtant. D'où cela pouvait-il bien venir ? Quand il avait attrapé cette malédiction, quelque chose ou quelqu'un lui avait annoncé qu'il allait être dévoré et, jusque-là, la métaphore était limpide, mais quid de ces voix qui lui murmuraient aux oreilles ? En plus, c'était pas comme si il y avait eu la moindre cohérence dans leurs propos, loin de là ! Il choisit donc d'ignorer ces chuchotements dérangeants, et n'en parla pas aux autres. Mais un matin, Paola leur annonça qu'elle avait été agressée pendant la nuit. Hein ? Mais non, ils auraient remarqué quelque chose, quand même ! D'après ses dires, une vieille femme morte-vivante avait essayé de l'étrangler, rien que ça. Virgil espérait que le climat régional n'était pas en train d'attaquer la santé mentale de sa collègue : il avait besoin d'elle pour mener à bien le rituel. Une vieille, disait-elle ? Oui, une vieille, qui réclamait son bébé d'une voix stridente ! Cela lui fit un coup. Elle ne pouvait pas avoir inventé ça, quand même ! Parmi les voix qui le harcelaient, il se rappelait avoir entendu une voix de femme qui réclamait son bébé. Jetant un coup d'œil aux cernes de Paola, témoins silencieux de la mauvaise nuit qu'elle avait passée, Virgil se dit que, sans doute, elle ne racontait pas de craques. Il n'osa même pas leur parler de ces voix. De toutes façons, ça ne les aurait pas avancés à grand'chose. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer ?
Il fallait repartir le plus vite possible.

Suite demain, sans doute. J'ai pris un peu de retard, mais pour ma défense, je suis en vacances, et celui-là était plutôt long.
Oubli : Avant de trouver la bonne orfèvrerie (à La Roche), on en a fait trois qui ne nous convenaient pas.

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