vendredi 19 juin 2009

Ouah, la gadoue.

19/06/2009

Depuis qu'ils étaient arrivés dans le Moth, c'était comme un retour au pays. N'eussent été cette malédiction qui l'empêchait de s'amuser, ce voyage éreintant, cette maladie qui le rongeait et ces habitants qui lui jetaient des pierres, Kurt aurait été d'excellente humeur. Il était bien enveloppé dans son grand manteau, et mieux abrité de la pluie que la plupart de ses compagnons. Et quel déluge ! C'était comme si le ciel allait s'écrouler sur eux. L'eau tombait depuis maintenant quelques jours en une pluie torrentielle qui semblait ne jamais devoir s'arrêter. Les larges gouttes faisaient gicler la boue dans toutes les directions, et leur roulotte, lestée de tout cet or, s'embourbait sans cesse et les obligeait à l'arracher à la terre à la force des bras. Un vrai calvaire. De plus, et c'était le cas de le dire, avec toute cette eau, on n'y voyait goutte. La seule chose réellement réjouissante, c'était Virgil, qui eût été blanc comme un linge dans son état normal, et qui s'était recroquevillé nerveusement au fond de la roulotte.
Ils finirent par s'arrêter aux alentours de onze heures dans un village légèrement plus grand que les autres où, au moins, il y avait une auberge. Un certain nombre d'autochtones baragouinaient un mélange de latin et de sa langue natale, ce qui faisait de lui un interprète utile, mais ceux de cet endroit parlaient normalement, et les autres pouvaient se débrouiller sans traduction simultanée. Il jeta un coup d'œil à la porte de l'auberge, au moment où l'ordure qui l'avait maudit en ressortait, et celle-ci leur annonça qu'elle avait réservé pour la nuit, et qu'il fallait suivre ce type, qui les amènerait à une grange où ils pourraient garer les chevaux et la roulotte. "Ce type", c'était le propriétaire de la grange en question, qui ne pensait même pas les faire payer pour y entreposer leurs affaires. Sympa.

Arrivée à l'intérieur de l'auberge, Myllenia s'ébroua et demanda au maître des lieux, qui lui semblait sensiblement insignifiant, où était sa chambre, avant d'y monter pour y déposer son barda et de redescendre pour demander quelques renseignements à propos des horaires de repas et du village. Les autres voulaient s'équiper à la mode du pays, du point de vue textile. Ça, c'était une bonne idée ! Surtout qu'avec cette pluie, ils avaient bien besoin de vêtures appropriées. Le seul endroit, d'après l'aubergiste, où ils pourraient peut-être trouver ce qu'ils cherchaient, c'était le magasin général, et encore, c'était même pas sûr. Elle s'y rendit donc en compagnie des deux autres femmes, en se dépêchant de passer sous la pluie pour ne pas être trop trempée. Le vendeur était bourru, désagréable et malpoli, autant de choses qui pouvaient le lui rendre sympathique. Oui, il avait des manteaux de pluie, non, pas à leur taille. Oui, ils étaient ses premier clients de la semaine, non, c'était pas la saison et non, cela ne les regardait pas. Oui, il vendait de tout, non, il n'avait pas de "parapluie", oui, il avait du cuir, mais non, pas en quantité suffisante. Oui, les manteaux étaient plus ou moins étanches, et non, il n'en avait pas cinq, juste trois. Elles lui prirent donc ses trois manteaux, beaucoup trop amples, mais Néro pourrait sans doute faire quelques ourlets là-dedans. Myllenia remarqua au passage que Paola venait d'acheter une faux, ah bon. Avec, en plus, le grand manteau gris foncé à capuche qui cachait le visage, elle lui rappelait quelque chose ou quelqu'un.
Toutes trois coururent vers l'auberge. C'était toujours la saucée. Simplement, courir dans la gadoue avec un manteau trop long, c'est pas super pratique, et Nalya et la dingue à la faux finirent le trajet couvertes de boue, après s'être étalées dedans en se prenant les pieds dans les pans trop longs. Le temps de commander un récipient plein d'eau chaude et de se laver, il était déjà midi. Une matrone autoritaire les appela à déjeuner, et les autres clients sortirent. Parmi eux, un type beau comme c'était pas permis descendit les escaliers d'un air sombre, jusqu'à ce qu'il balaie la table du regard. Myllenia croisa son regard, qui s'illumina soudainement. Sur le coup, elle ne réagit pas, pensant à autre chose : cet éclair dans ses yeux lui rappelait celui de Karel quand il était en manque de noisettes et retrouvait d'un coup ses chères oléagineuses. Le type descendit et salua chaleureusement Paola, puis elle-même, avant de s'asseoir et de se relever pour aller embrasser obséquieusement la main de Nalya. Après quoi il retourna à sa place comme le lui demandait la patronne, avec un clin d'œil qui sous-entendait beaucoup de choses, et ces mots "les belles femmes peuvent m'appeler Franz, pour les autres c'est monsieur." Il parlait tellement qu'il en oubliait de manger sa soupe, enthousiasmé comme personne. Apparemment, il avait passé plusieurs mois dans le Moth, et redescendait vers la côte sans aucun regrets. Il était à ce point enthousiaste car, selon ses propres mots, ils étaient la meilleure surprise qu'il ait eu depuis son arrivée dans ce pays de malheur.
Pays de malheur ? Tout à fait : pas moyen de trouver une belle femme qui ne voulût pas vous jeter du sel à la face en se signant pour oser vous dire bonjour, quand il ne s'agissait pas de vous accueillir avec des flèches et des crucifix. Bon, y'avait bien les Ziner's, mais leurs hommes étaient jaloux et, pour tout dire, violents. "Quant à la forêt, n'y pensez même pas, il y a toujours là-bas quelque chose qui vous suit, sans que vous puissiez jamais savoir ce que c'est ! Et quand on en sort, c'est pour se faire agresser par des villageois obtus et fanatiques, qui vous traitent de démon, d'incube, d'étranger ou de je ne sais quoi d'autre." Il tira alors de son col un petit pendentif à plumes, et le regarda en disant à mi-voix. "Sans doute à cause de ça..."
Quelqu'un demanda ce que c'était, ça, et il finit par la donner à Paola, comme s'il voulait s'en débarrasser. Elle regardait l'objet avec attention, et lui demanda à plusieurs reprises où il l'avait trouvé, mais il resta évasif et vague, prétextant qu'il s'agissait de "mauvais souvenirs", et qu'il ne voulait pas en parler. Reprenant la discussion là où elle l'intéressait, il proposa en termes à peine voilés, très directement, de se retrouver au soir dans sa chambre pour y forniquer joyeusement, parce que, hein, normalement, il devait repartir aujourd'hui, mais il avait soudain envie de s'attarder un peu. Myllenia le jaugeait du regard : il était beau, ça, pas de doute, mais était-il honnête ? Il n'y a qu'en testant qu'on saurait, après tout.
Dans l'après-midi, elle l'oublia un peu pour rejoindre une les autres dans la grange. Néro leur avait appris qu'avec un entraînement adapté, n'importe qui pouvait développer son énergie interne, la seule différence étant la facilité avec laquelle celle-ci se développait, ce qui dépendait tout simplement des capacités naturelles de chacun. Quelques-uns d'entre eux, et elle la première, avaient donc décidé de s'y mettre dès que possible. D'où cet entraînement, qui ne faisait que commencer.

Suite la semaine d'après.

Aucun commentaire: