mardi 23 février 2010

L'Étoile du Désespoir - Bardley

La nuit était tombée sur Américh, la cité du libre-échange. La lune commençait sa lente course dans le ciel tandis que des réverbères de lampyridae étaient allumés ça et là. Loin des quartiers habités par la plèbe, dans les Hauts-Lieux réservés à l'élite bourgeoise et criminelle, une personne patientait calmement dans un bureau. Assis dans un fauteuil de cuir, il contemplait la flamme de la bougie posée sur la table basse devant lui, unique source de lumière dans la pièce. Il était peu probable qu'il existait quelqu'un qui puisse deviner les pensées qui s'agitaient dans l'esprit de cet individu. Reagardait-il la flamme pour tromper son ennui ? ou bien son esprit était-il tourné vers des pensées supérieures ? Concevait-il des projets grandioses ou rêvait-il simplement ?
Son regard restait figé en direction de la flamme quand ses lèvres prononcèrent un nom.
"Ivy."

La flamme de la bougie s'agita brusquement sous l'effet d'un courant d'air. Quelqu'un venait d'entrer dans la pièce en passant par la fenêtre. Derrière le fauteuil, une silhouette féminine se fondait dans les ombres.

"Que font tes collègues, Ivy ? Ils sont en retard... Tu sais comme j'apprécie la ponctualité. Je souffre de leur absence.
– Je suis désolée monsieur. Je surveillais les entrepôts. J'ignore ce que font les autres Doigts. Voulez-vous que j'aille les trouver et leur faire part de votre mécontentement ?"

L'homme assis dans le fauteuil leva un sourcil amusé. Il savait que rien n'aurait davantage plu à Ivy que de réprimander les autres agents sous n'importe quel prétexte. Du moment qu'il lui donnait cet ordre, pas même Vince n'oserait la frapper ou la mépriser. Au fond, Ivy n'était rien de plus qu'une jeune fille capricieuse qui évinçait ses rivaux dans le but de s'attirer l'attention paternelle. Elle se fichait des autres membres de la Main tant qu'elle pourrait rester sous ses ordres à lui.

"C'est inutile Ivy. Je suis sûr qu'ils font de leur mieux pour effectuer la tâche que je leur ai confié. Ils viendront bientôt pour m'expliquer eux-même les raisons de ce retard. Après tout, Piotr et Vince sont régulièrement en retard sans que cela ne me dérange particulièrement...
– Très bien, monsieur.
– Au passage, j'imagine que tu as déjà réglé ce problème puisque tu es si douée, mais est-ce que le vieillard se doute de quelque chose ?
– Absolument pas ! Ce n'est qu'un vieux lubrique et incontinent ! Il serait incapable de me reconnaître si je m'aplatissais la poitrine. Je ne suis pas sûre qu'il puisse différencier un stylet d'un plumeau même si je le lui plantais dans le ventre.
– Allons allons, je comprend que tu n'apprécie pas ce travail mais c'est tellement important pour moi, Ivy. Rassure-toi, toute cette mascarade sera bientôt terminée. Mais ne commet pas l'erreur de sous-estimer le vieillard Sandberg. Après tout, il a réussi à bâtir sa fortune personnelle sans aucune aide. C'est un vieux renard matois, mais pas aussi rusé que nous. Nous avons besoin de lui mais plus pour longtemps. Et lorsque le moment sera venu, je te laisserais régler tes comptes avec lui.
–Je vous remercie... monsieur.
– Ce n'est rien, après tout les offenses faites à la gent féminine ne doivent pas rester impunies..."

La femme dissimulée dans les ombres retint un sursaut de surprise. Savait-il ? Elle espérait bien que non. Sinon, elle se couvrirait de honte. Heureusement, des bruits de pas dans le couloir indiquaient que des personnes approchaient, lui permettant de se concentrer sur l'instant présent.

La porte s'ouvrit en grand et laissa passer quatre personnes de tailles et de constitutions différentes. L'un était un véritable géant, deux autres était plutôt athlétiques et le dernier semblait plus fragile. Mais juger ces nouveaux-venus à leur apparence revenait à commettre l'erreur de sa vie.

"Vous êtes en retard messieurs. Vous avez une nouvelle excuse à me présenter ?"

L'un des hommes, un ryan portant un kimono traditionnel du Shivat, s'inclina devant le fauteuil en guise d'humilité et d'excuse. Le colosse ne semblait pas avoir entendu ou compris mais en vérité, il laissait ses compagnons parler à sa place. Le troisième larron esquissa un sourire dément avant de prendre la parole.

"Toutes mes excuses seraient inutiles, beau seigneur, car il y a en vérité une raison à notre retard !"

Son interlocuteur, assis dans le fauteuil, passa une main distraite sur son menton, amusé par l'audace de son subalterne. Peu nombreux étaient ceux qui se permettaient de lui parler ainsi. Mais, Vince était à sa manière quelqu'un de très spécial.

"Vraiment ? Voilà qui m'intéresse. Ce n'est donc pas Piotr qui s'est perdu cette fois ?
– Que nenni ! Mais Piotr est bien impliqué dans notre retard à tous ! Cette fois-ci il a entendu des choses ! Des choses, oui, très intéressantes ! Mais notre grand ami ne s'explique pas clairement et il nous a fallu du temps pour comprendre son latin très éraillé..."
Vince se tourna vers le juggernaut, comme pour appuyer ses propos.
"D'après lui, continua Vince, il y aurait un petit curieux en ville. Un petit fouineur qui met son nez un peu partout, là où il ne faut pas ! Enfin bref, un espion qui désire savoir qui vous êtes et ce que vous plannifiez ici, à Américh."

Un court silence accueillit cette déclaration. Finalement, Ivy fut la première à réagir.
"Un espion ? Comment saurait-il quelque chose sur... ? Nous nous sommes suffisament occupé des informateurs d'Américh pour qu'ils gardent le silence jusqu'à la fin de leurs vies.
– Manifestement, il y a tout de même quelqu'un d'assez téméraire pour enquêter... répondit Vince.
– Serait-il possible que l'Inquisition se doute de quelque chose ?
– Nous ne savons pas. Mais nous connaissons son nom : Ernst. Et il fait plutôt couleur locale, je dirais. Ça ne m'étonnerait pas qu'il travaille pour quelqu'un d'autre."

L'homme dans le fauteuil restait silencieux, plongé dans ses méditations secrètes. L'Inquisition ? Ou bien, autre chose ? Les services secrets de l'Empire auraient dû rester dans l'ignorance normalement. Il était hautement improbable que l'Alliance Azur fasse quoi que ce soit pour contrer ses plans, et il en allait de même pour les templiers de Tol Rauko. Qui donc ? Le Consortium ?
Finalement, il sortit de sa réflexion et jeta un regard à ses hommes de main.

"Piotr."
Le colosse remua presque imperceptiblement.
"Retourne à ta tâche comme d'habitude. Ne change rien à ce que je t'ai déjà dit. S'il y a du changement, je te ferais parvenir de nouvelles instructions."
Le dénommé Piotr se tourna sur lui-même, remuant ainsi une grande brassée d'air qui manqua d'éteindre la bougie, et sortit de la pièce sans piper mot.

"Alessandro."
L'homme doté de l'apparence moins impressionnante que celles de ses camarades réagit à l'évocation de son nom. Il était de loin le plus habile de tous. Si on lui en donnait l'ordre, il aurait pu raser une ville entière. Il était également une pièce maitresse dans l'échiquier.
"Occupe-toi du curieux et découvre d'où il vient et quelles sont ses raisons d'enquêter sur moi. S'il ne se montre pas coopératif, ne perd pas ton temps."

Vince, surpris, décroisa aussitôt les bras.
"Quoi ? C'est Alessandro qui s'en charge ? Je peux tout aussi bien le faire ! Je m'étais réservé ce plaisir !
– Non, Vince... J'ai besoin de toi ailleurs. Tu ne danseras pas avec cet homme, mais je saurais te trouver quelqu'un à ta hauteur. En attendant, j'ai besoin de toi... en tant que Louis."
L'homme de main parut incroyablement dépité, comme un chat à qui on aurait retiré une souris qu'il venait de capturer.

"Wei-Hong."
Le shivatien se redressa immédiatement.
"Je voudrais que tu surveille les mouvements des vieillards du syndicat. Je ne voudrais pas que notre cher Adamsky nous fasse défaut. Assure-toi qu'ils ne se doutent de rien et emmène avec toi Vince-Louis. Vous savez quoi faire si jamais les trois ne se conforment pas à nos attentes.
– Tout à fait monsieur, répondit le ryuan.
– Alors vous pouvez disposer."

Alessandro, Wei-Hong et Vince quittèrent la pièce pour exécuter les missions qui leur avait été attribuées.
Il ne restait plus qu'Ivy, dissimulée dans l'ombre.

"Ivy.
– Oui ?
– Je sais bien que tu viens d'être relevée mais cet homme qui fouille dans nos affaire me dérange. Je n'ai pas confiance en ceux qui t'ont remplacé dans ton travail. Tu es la meilleure pour tout ce qui concerne les missions de surveillance et tu saurais défendre les entrepôts convenablement.
– J'ai compris. Je part immédiatement. Si ce fameux Ernst se montre aux entrepôts, il n'aura pas le temps de mettre un pied devant l'autre qu'il sera déjà mort.
– Merci Ivy. Je savais que je pouvais compter sur toi."

La femme se faufila par la fenêtre par laquelle elle était entrée. En moins d'une seconde, elle avait disparu et la fenêtre était comme fermée de l'intérieur. Elle réajusta sa combinaison noire et se projeta sur le toit du bâtiment. Depuis son poste, elle scruta rapidement les rues guettant le moment idéal pour se déplacer sans être remarquer. Dès que son instinct lui signalait une absence de danger, elle sauta rapidement sur un toit voisin et atterrit sans faire le moindre bruit. Puis elle continua son trajet en utilisant les murs, les gouttières, les parapets et balcons sans jamais poser le pied au sol.

Même si c'était pénible pour elle de l'admettre, elle devait bien reconnaitre qu'elle éprouvait des sentiments pour son employeur. Qui aurait pu le lui reprocher après avoir vu celui-ci et discuté avec lui ? Était-elle amoureuse ? Comment en être sûre ? Si c'était le cas, lui rendrait-il ses sentiments ? Éprouvait-il la même chose qu'elle ?
Ivy chassa ces pensées de son esprit. Elle ne pouvait pas se permettre de penser ainsi. Quels que soient les sentiments qu'elle lui portait, elle devait tout garder pour elle. Bardley était quelqu'un de... pur. Parfait. Tandis que elle n'était qu'une souillure et une médiocrité humaine sans importance. Les origines de l'existence de Bardley devait se trouver dans un décret divin tandis qu'elle ne devait sa naissance qu'au hasard seul. L'aimer ouvertement ne reviendrait qu'à le souiller et lui trancher les ailes. Elle ne pouvait pas se le permettre. Sa vie n'était rien et son existence une simple erreur. Le seul moyen pour elle d'acheter un peu de valeur était de servir Bardey et donner sa vie pour lui. Car, en vérité, il était probable qu'il ne ressente rien pour elle.
Et lorsqu'elle mourrait à son service, elle trouverait sans doute la satisfaction qu'elle désirait tant...

Aucun commentaire: