vendredi 18 septembre 2009

Veillée forestière.

11/09/2009

Le feu avait quelque chose de rassurant, en cela qu'il était le même dans cet endroit perdu et hostile que sous des auspices plus clémentes. Il ronronnait et crépitait toujours de la même façon, indifférent à l'ambiance morbide dans laquelle baignait ce pays, et dégageait toujours la même chaleur agréable. Les flammes se tordaient sous les bourrasques d'air chaud, et l'atmosphère humide de la forêt semblait de nouveau respirable, alors qu'elle s'allégeait de sa moiteur habituelle.
Partout autour, il faisait noir, ce qui renforçait encore la valeur refuge de ce foyer ; ce havre de lumière chaleureuse, vivante et dansante. Elle ne pouvait en détacher son regard. Pour regarder quoi, de toutes façons ? Ce dément et sa Mircalla ? Cette pensée lui arracha un sourire un peu cynique. Bientôt, si rien ne changeait, elle allait finir comme lui. Et si un esprit malin s'amusait à la torturer comme elle le faisait elle-même à l'occasion ? Et si elle aussi, elle était le jouet de quelqu'un ? Un petit bruit mouillé résonna dans le noir, à quelques dizaines de mètres, et Dietrich réapparut bientôt. Ce type n'avait pas craché le morceau, rien. C'était un membre d'une branche "douce" de l'inquisition, et il lui avait demandé spontanément pour quelle raison elle se jetait dans la gueule du loup quand elle lui avait parlé des malades de type nécromantique qui la poursuivaient. Et maintenant, il ne savait plus rien ? C'était trop facile. Sûr qu'il n'avait pas tout dit. Pour d'obscures raisons de prudence et de pondération (et quand on voyage dans pareille contrée, ce type de prétexte est particulièrement peu convaincant), Nalya avait refusé de lui sortir les vers de la cervelle avec ses dons surnaturels de fouille-merde invétérée, qui auraient pourtant pu être, pour une fois, de quelque utilité.
Dietrich s'installa debout, pas très loin du feu, alors que Néro partait le remplacer, de l'autre côté du campement, pour l'heure suivante. Qu'y avait-il dans ces têtes soucieuses ? Elle arrêta son regard sur leur providentiel protecteur. Cet homme savait probablement des choses nécessaires à sa survie, à elle. Il faudrait obtenir ces informations d'une manière ou d'une autre et, en attendant, faire preuve d'une vigilance de tous les instants. Un membre de la sainte inquisition (connue pour son côté philanthrope) qui décidait de les aider et de les escorter après une rencontre fortuite, par pur altruisme ? C'était plutôt inopiné et, en tout cas, suspect. Les autres semblaient lui faire complètement confiance pour servir à la fois de guide et d'escorte dans cette forêt pleine de dangers. Cela aussi était alarmant. Chacun pour soi poursuit sa nébuleuse, et ce type avait sans aucun doute des buts bien à lui.
Le brasier émit un craquement sinistre. Une mousse un peu verdâtre suintait du bout d'une branche de bois encore vert, dont l'autre extrémité était plongée dans les flammes. Elle se vidait de sa sève et de son eau, comme les carcasses épuisées des voyageurs se vidaient de toutes leurs forces et espoirs sous le feu anxiogène de ces bois maudits. Que penser de ce rêve-là ? Pernilla frissonna légèrement malgré la chaleur jaune et ardente qui l'enveloppait. Ce rêve. Comme l'autre, il était si réel. Qu'est-ce que cela signifiait ?
Elle avait cru se réveiller dans sa tente, mais avait réalisé que quelque chose clochait : son regard ne perçait plus les ténèbres. La magie était inopérante. Un homme se trouvait dans la tente, il s'était approché, et avait déposé en face d'elle un coffret. Il était blanc, de type occidental, mais était vêtu comme un Touareg. Qui était-il ? Que voulait-il ? Que faisait-il là ? D'où venait-il ? Qu'y avait-il dans cette boîte ? Seule cette dernière question avait trouvé réponse lorsque, sans un mot, il s'était agenouillé et l'avait ouverte en face d'elle. Le coffret abritait une grosse pierre noire et lisse. C'était la même chose qu'avec Virgil, il lui avait parlé de ce truc. Cette sphère ressemblant à du marbre allait s'évaporer et venir pénétrer son âme par les voies respiratoires ! Tout mais pas ça ! "Servez-vous de vos pouvoirs, prenez-la." avait dit l'homme. Il semblait s'impatienter. En plus, il s'était placé de telle manière que toute fuite était inenvisageable, à moins de lui régler son compte. Et merde. La magie refusait toujours d'obéir. "Vite, servez-vous de vos pouvoirs ! avait-il hurlé, en proie à une furie incroyable.
- Silence ! Trouvez quelqu'un d'autre, moi, ça marche pas pour l'instant." avait répondu Pernilla avec un agacement perceptible. Mais l'autre ne lâchait pas le morceau. Pire, il s'entêtait et s'excitait encore plus. Alors, et comme il fallait bien faire quelque chose, elle avait pris sa respiration et bouché ses orifices nasaux et buccal de la main gauche, avant d'avancer prudemment l'autre main vers la pierre. Au contact, rien ne se passa. Pas moyen, en revanche, de sortir cette pierre de son écrin. C'était comme si l'ensemble avait été figé. Elle avait eu beau essayer de tirer, pousser, soulever, impossible de faire bouger ce machin. Et l'autre qui s'énervait... d'ailleurs, c'est à ce moment-là qu'il avait commencé à vomir une sorte de vapeur noire dont la nature laissait peu de place à l'imagination. Par dépit, rage, et un peu par panique, Pernilla avait donné plusieurs coups de pieds dans l'inamovible coffret, sans autre résultat que celui de se faire mal. La fumée noire s'échappait encore à grosses volutes de la bouche de l'homme, et allait s'amasser au plafond de la tente.
Au moment où elle commençait sérieusement à penser que pas de problème les gars, on allait crever gazée dans une tente imperméable avec un bédouin hystérique gesticulant pour seule compagnie car, après tout, on l'avait bien cherché, ledit bédouin avait mollement chu en avant, sans faire un seul geste pour amortir l'impact. Pernilla avait alors retourné ce corps inerte, mue par l'espoir de lui fermer la bouche avant que la masse noire qui s'accumulait au-dessus d'elle n'eût envahi la totalité de l'habitacle. Apparemment, la condition de macchabée avait fait perdre à l'intrus toute envie de cracher des saloperies noires volatiles et toxiques. Enfin une bonne nouvelle ! Soufflant, elle avait un peu promené son regard aux alentours, jusqu'à ce que ses yeux se fussent posés sur cette sombre pierre offerte et son socle de bois. Peut-être valait-il le coup de réessayer ? De nouveau, elle avait bloqué sa respiration pour se saisir du caillou maudit à pleine main. Et alors, quoi ?
Et alors, rien. La pierre était toujours aussi solidement fixée. Haussant les épaules, elle aurait retiré sa main si celle-ci n'avait pas été comme clouée sur la surface lisse et froide. Sa peau adhérait à la pierre comme une ventouse indécollable. En regardant un peu plus attentivement, elle s'était aperçue que sa main droite immobilisée se marbrait lentement de veines apparentes et noires comme la nuit. Le phénomène était semblable à ce qu'elle avait déjà pu observer sur Virgil. Commençant à perdre son calme, Pernilla avait attrapé son avant-bras droit de sa main gauche encore libre pour tirer plus fort. La peau était froide ! Gelée, même. Non, carrément cryogénique, en fait. Elle ne s'en était pas rendue compte au début, mais sa chair était gagnée par un engourdissement profond et lent. De plus, les petites ramifications noires gagnaient du terrain, envahissant progressivement le dos de sa main. Vite ! Un truc, une solution, une idée, une amulette, un prince charmant, n'importe quoi d'utile ! Elle avait bien tenté de se rapprocher de la sortie de la tente, mais cette dernière était trop éloignée. Réfléchir. Il n'y avait pas trente-six solutions. En l'absence d'un objet tranchant pour se couper l'avant-bras, sa seule chance était de s'arracher la peau du dessous de la main. C'est ainsi qu'elle avait mis ses pieds en appui sur le coffret fixé au sol pour avoir plus de force, puis tiré vigoureusement. Peine perdue. Elle avait simplement réussi à se faire très mal au poignet.
Dans un dernier sursaut d'intelligence, elle avait fouillé de la main gauche le cadavre désormais ratatiné qui lui tenait compagnie, à la recherche d'une improbable solution à ses problèmes les plus immédiats. Il n'y avait que de la paperasserie administrative, quelques notes illisibles et une liste de passagers pour l'embarquement sur un bateau appelé "Le Silmarion". Alors qu'elle promenait distraitement son regard sur les noms, celui-ci s'était fixé sur un certain "Spoor K.". Suivaient Gallen N., Anderson V., un nom inconnu, Dabel M. et Borges N. Qu'est-ce que les noms de ses compagnons de voyage foutaient là ? C'est à ce moment-là qu'elle avait dû perdre ce qui lui restait de calme et commencé à laisser glisser son état vers une panique déraisonnée, proche de la démence pure et simple. Sur son avant-bras progressaient les stigmates de la malédiction, cette araignée monstrueuse et décidée à lui bouffer l'âme et le corps.
Au bout de quelques minutes à peine, un autre homme était entré, habillé, lui, différemment : il portait une tenue de ville. Ce détail l'avait frappée, sans raison véritable. 'tain mais quoi, on entrait comme dans un moulin, ici ! "Si vous pouvez m'aider, aidez-moi, lança-t-elle d'une voix qui ne ressemblait pas à la sienne, sinon, vous pouvez vous casser dès maintenant." Il n'avait pas répondu, se contentant d'inspecter minutieusement et très calmement la pièce, avec une suprême indifférence à la bordée d'injures furibardes dont Pernilla l'arrosait pour se calmer les nerfs.
Quand il avait enfin daigné porter son attention sur le complexe main-pierre-coffret, d'une importance capitale pour la survie d'une bonne moitié des individus présents, ç'avait d'abord été pour le regarder longuement et attentivement. Étrangement, la présence de ce type avait quelque chose d'apaisant ; de calmant. Après une auscultation qui semblait avoir duré des lustres, il avait tracé au-dessus de la main prisonnière quelques symboles occultes faits d'une lumière noire très pure, et les traces de la malédiction avaient commencé à se résorber, puis à disparaître. Le sang circulait à nouveau, et Pernilla n'avait plus l'impression que son bras droit allait se détacher d'un instant à l'autre, ce qui était déjà une bonne nouvelle. Son sauveur lui attrapa la main et entreprit d'en tâter plusieurs endroits pour tester les réflexes.
Apparemment, rien à signaler.
"Il ne faut pas trainer dans des endroits aussi sombres... avait-il dit d'un air mystérieux, flippant et aguicheur à la fois.
- Merci, mais il se trouve que j'ai un ami qui a le même genre de problèmes, et si vous saviez comment nous pourrions nous en débarrasser par d'autres moyens, (des problèmes, pas de l'ami) ce serait avec joie que nous décamperions de l'endroit dont vous parlez. En plus, vous avez l'air de vous y connaître, alors... Vous ne voudriez pas venir jeter un coup d'œil dessus ? Ou au moins m'apprendre votre méthode ?
- Malheureusement, je n'interviens que dans la veille."
(Faudrait vraiment qu'elle se renseigne un peu là-dessus, parce que merde alors. Tout le monde semblait au courant, sauf elle, qui était visiblement concernée. Enfin, en tout cas, il était peu probable qu'il parlât au mur.)
"... Ou m'apprendre votre méthode, comme je le disais. Si vous voulez pas venir par vous-même, ce n'est pas nécessairement une fatalité, hein... Y'a toujours moyen de s'arranger. Au fait, vous avez un nom ?
- Oui. Mais je ne vous le donnerai pas.
- Et si je ne le répète à personne ?
- Même. Qu'est-ce qui me dit que vous tiendrez parole ?
- Ben, je vous dois un peu la vie, quand même. Ou bien c'est l'âme ? Un truc dans ce goût-là, non ? C'est déjà beaucoup, croyez-moi." Il affichait un large sourire aux dents blanches, l'air amusé par cette insistance. "... Et puis, sans déconner, ça fait plus d'un an que je n'ai révélé mon vrai nom à personne, je peux bien garder celui de quelqu'un d'autre !
- D'accord. Va pour un indice..."
Tu parles d'un indice. Pernilla jeta un petit bout de bois dans le feu en fronçant les sourcils. Ce devait être un nom composé, sinon, c'était impossible de mettre les bonnes lettres aux bons endroits. Un truc tarabiscoté du genre Jean-Xavier ; un machin impossible à deviner. Elle s'était faite avoir. Et si cela n'avait été qu'un rêve, après tout ? Non, c'était inconcevable. Pas ici. Pas aussi net, ni aussi douloureux. Elle plia et déplia plusieurs fois sa main droite. Aucune douleur ne vint confirmer que tout ceci était bel et bien arrivé.


Dans un bruissement de tissu assourdissant, (c'était flagrant lorsque, par moments, il s'interrompait) un corps informe remua vaguement au fond de sa tanière de bois et de drapures. Un long moment passa sans autre signe de vie que quelques remous à peine perceptibles. Puis, lentement, la chose se redressa dans une vibration qui ressemblait à un soupir particulièrement grave ou à un bâillement intense, et commença à progresser vers la lumière tremblotante de l'extérieur. Courbé, l'être se mouvait gauchement et pataudement, au rythme de sa respiration profonde et lente, comme s'il cherchait à sentir ses marques odorantes et à reconnaître l'endroit où il se trouvait. Il dégageait une odeur animale, boueuse, faite de sommeil, de sueur et de peur à la fois.
Comme l'aurait fait un aveugle, il avança d'abord une de ses mains tremblantes et sales vers le dehors, et tâta le contour de l'entrée. Une fois rassuré, il s'approcha imperceptiblement. Le faisceau de lumière jaune et orange illumina les reliefs d'un visage creusé de profonds plis, granuleux de saleté et recouvert d'une maigre forêt pileuse, humide et négligée. Un filet de bave s'étira jusqu'à se rompre, et quelques gouttes vinrent tacheter le sol de bois dans un petit plic-ploc inaudible. Cependant, ce signal sembla faire réagir la créature, qui ouvrit à demi une paire de paupières surchargées de peau distendue. Deux yeux torves et vitreux apparurent au fond le l'enchevêtrement, revêtant la brillance des flammes vers lesquelles ils étaient tournés.
Ce grand corps humanoïde était recouvert d'un monceau de vêtures sombres qui semblaient taillées dans de la peau. Fébrilement, il s'extirpa de sa tanière sans cesser de toucher du bois, mais perdit l'équilibre et alla s'écraser au sol dans une vague de boue, près d'un mètre plus bas. Immobile, sale et brisé, il remuait toujours. Avec un grognement douloureux, il se releva, puis se dirigea vers le feu de camp d'une démarche lourde mais, semblait-il, plus assurée. Près du feu, un homme musculeux et couvert d'une épaisse couche de métal était assis, et veillait. L'être s'approcha de lui en traçant des sillons dans la boue, et lui tapota l'épaule. "Dietrich, dit-il, c'est la relève.
- Pas de relève pour moi, malheureusement, répondit l'homme en armure. Mais vous pouvez toujours rester si ça vous amuse."
Sorti de sa torpeur du réveil par un bain frais dans une boue liquide, (et mêlée d'une épaisse couche d'humus pourrissant, ndj) Néro acquiesca et s'assit près du feu, alors que Dietrich se relevait et s'éloignait pour faire le tour du campement. Le lancier se souvint alors qu'il l'était en effet (lancier), et retourna un instant dans la roulotte où il avait dormi pour récupérer son phallus freudien à dépuceler des crânes préféré, j'ai nommé sa lance.
Quand, son arme à la main, il s'en retourna auprès du brasier, il s'aperçut qu'on l'attendait. Le petit spectre pâle lui jeta un sourire sans vie ni chaleur, et attendit qu'il s'assoie pour venir près de lui. En présence de Mircalla, même les flammes semblaient se ternir, et Néro pouvait sentir le froid qui émanait de cette parodie de vie sans corps ni âme. "Je n'aime pas cet homme, dit-elle, il me fait peur.
- Dietrich ? Heureusement qu'il est là pour nous guider, quand même.
- Il a l'air méchant. Et si il apprend ma présence, il dira qu'il faut t'exorciser et me renverra dans le noir éternel." Elle avait les larmes aux yeux, et posa la tête sur l'épaule de Néro, ainsi qu'une main froide sur son avant-bras. Il avait la chair de poule. Que ce contact pouvait être désagréable ! "Raconte-moi une histoire, s'il te plait", demanda-t-elle. Il soupira, puis se demanda ce qu'il pourrait bien raconter. "Cette nuit, commença-t-il, j'ai fait un rêve bizarre.
- Encore ?
- Encore. Tu me laisses raconter ?
- J'écoute, dit-elle avec un sourire radieux, quoique pas plus vivant que d'habitude. Mais pourquoi ta voix tremble toujours quand tu me racontes des histoires ?
- Parce que... je ne suis pas un bon orateur, tout simplement. Mais si tu veux, je vais faire un effort." Il avala sa salive, se racla la gorge, et entama. "D'abord, je me rappelle plus bien le début, c'est un peu flou, mais je sais que je montais la garde autour de ce feu de camp. Ici même. C'était pas normal, déjà, parce que je ne voyais plus dans l'obscurité, alors que j'ai depuis quelques mois un enchantement qui me fait des yeux de chats. Et puis comme il n'y avait aucun bruit, je suis retourné à la roulotte pour voir si tout le monde allait bien. Dans celle-là, dit-il en montrant du doigt, il y avait les cadavres de Virgil et Kurt. Virgil avait un gros trou qui ne saignait pas dans la poitrine. Je sais pas pourquoi, mais ça m'a frappé, le fait que ça saignait pas. Et puis Kurt, il était tranché net à ce niveau-là, (Il délimita une ligne allant son épaule droite à sa hanche gauche) et il lui manquait tout ce qu'il y avait en-dessous. En plus, la porte était défoncée comme avec un bélier. C'était vraiment bizarre. Je suis sorti de la roulotte, pour voir, et là, qu'est-ce que je trouve ? Un type était un train de se traîner près du feu. En m'approchant, je l'ai reconnu. C'était Jäger. - Tu te rappelles de Jäger, n'est-ce pas ? Le type dans le désert qui a tué la magicienne qui m'avais remis mes tripes comme il faut. - Enfin bon, il avait un gros trou dans le flanc, à l'endroit où je l'avais frappé la fois précédente, et il avançait lentement. Mais il restait dangereux, alors, comme j'avais pas ma lance, je suis retourné la chercher. Et puis, quand je suis revenu, il marmonnait des trucs étranges en traçant dans l'air des choses obscures. Alors moi, j'me suis dit : mon garçon, reste pas en face, ou bien tu vas y laisser ton deuxième rein. (Je t'avais dit qu'il m'avait déjà pelé d'un rein, ce connaud ?) Enfin bon, je me suis dit ça, et j'ai fait un pas de côté juste à temps pour éviter un projectile noir, exactement le même que la dernière fois, comme quoi je m'étais pas trompé. Il a tout pour lui : une belle gueule, du pouvoir à ne plus savoir qu'en foutre, et tout et tout, mais il n'a pas beaucoup d'imagination. D'ailleurs, je crois bien qu'il utilisait le même truc que l'autre fois, avec une fille pas beaucoup moins pâle que toi qui l'enlaçait, et un rituel qui fout les jetons.
- Et alors, qu'est-ce que tu as fait ? demanda Mircalla, toute ouïe.
- Ben, derrière moi, le projectile avait dézingué la roulotte entière, ainsi que tout un pan de l'horizon, dit-il en encadrant la zone entre ses deux mains pour une estimation approximative. Alors moi, j'ai pensé que j'avais plus qu'à prier ou à courir. Je peux tuer quelqu'un, mais s'il est toujours vivant après, ça sort de mon domaine de compétence, tu vois ? Enfin, là, j'ai quand même choisi de courir, parce que si j'avais prié et que ça n'avait pas marché, j'aurais pu le regretter après, alors qu'en courant avant de prier, ben je me serais dit (si j'étais mort) que de toutes façons, Dieu comprendrait cet oubli, au vu des circonstances. J'ai donc couru à en perdre haleine, en évitant les trucs noirs explosifs qui faisaient sauter les mottes de terre derrière moi. La deuxième roulotte était défoncée, je ne m'y suis pas attardé, ne sachant que trop bien ce que j'y trouverait. Quant à la tente de Paola, il en manquait la moitié. Et autant de sa propriétaire. J'étais seul, et probablement sans grand espoir de m'en sortir. C'est là que je me suis retourné pour faire face.
- Tu es courageux !
- Oui, sans doute, mais il faut nuancer un peu : quand je dis que j'ai fait face, ça veut dire que j'ai essayé de m'approcher en zigzaguant pour éviter les sorts, hein. Étrangement, j'y arrivais mieux qu'avant. Il ne parvenait pas à me toucher du tout. Au bout d'un moment, j'ai pu suffisamment m'approcher pour le frapper, et il n'a pas fait un geste pour se défendre. Le problème, c'est que même avec ma lance plantée entre les deux yeux, il ne clamsait pas, ce tricheur. Au contraire, il avait l'air super fâché. Il m'a dit un truc du genre que j'allais payer pour lui avoir fait un trou là et un autre là." Il désigna son ventre, puis son front. "Et après, il m'a fait un trou là." Il joignit ses deux mains et les plaça en cercle sur son ventre de manière à schématiser. Admirative, Mircalla demanda si alors, à ce moment-là, il était mort. "Ben, non, en fait. Mais j'étais plié en deux, et incapable de me redresser sans me vider de mes tripes. Tout semblait fini, quand une deuxième personne est arrivée. Je regardais du coin de l'œil. C'était un grand type super musclé avec une longue épée et une grosse armure rouillée. Au début, je me demandais s'il venait pas pour m'achever, mais voilà-t-y pas qu'il décapite mon Jäger fulminant sur-le-champ, et que je me réveille."
L'histoire (vraie, si si) fut suivie d'un silence de circonstance qui dura quinze bonnes secondes, après quoi la fillette fantôme, pas du tout endormie, regretta à haute voix que le héros ne soit pas mort, parce que comme ça, elle aurait eu un grand frère pour toujours, et demanda une autre histoire. Résigné, Néro fouilla dans sa mémoire, et commença à raconter comment il s'était embarqué comme passager clandestin sur un petit bateau, il y a un bon moment, et comment il avait rencontré à cette époque Nalya et Myllenia.
Il parlait à voix basse, car Paola s'était assise, entretemps, de l'autre côté du feu, et il ne voulait pas donner l'impression de parler tout seul. Elle lui fit un petit sourire, qui lui sembla bienveillant. Visiblement, elle n'avait aucun soupçon.

Deux jours plus tard.
La gorge de Dietrich serait si douce à ouvrir ! Si seulement les autres n'avaient pas été là, et s'il n'avait pas eu cette malédiction sur lui, c'est avec joie que Kurt aurait fendu de ses couteaux les artères de leur guide. Guide qui, soit dit en passant, l'exaspérait profondément. Sa méthode : il les devançait sur la route de deux kilomètres, et laissait des bouts de tissu aux arbres à intervalles réguliers pour dire "RAS, continuez tout droit." Homme des bois de mes deux ! Connard d'inquisiteur philanthrope ! Et en plus, cette roulotte ne voulait pas avancer. Il auraient été aussi rapides à pied, la preuve ! Pas un seul meurtre depuis plusieurs mois. Kurt porta sa main à hauteur de son visage : elle tremblait, c'était le manque, pas de doute. Il allait perdre tout son savoir-faire. L'art doit s'exprimer pour persister. Le talent s'use quand on ne s'en sert pas.
Un craquement lui fit relever la tête. Dietrich venait de jaillir des fourrés. "Ils sont cinq, on s'enfuit, abandonnez les véhicules !" hurla-t-il, avant de dégainer sa hache et de pulvériser la pièce de bois qui retenait prisonniers les chevaux de la première roulotte, sous le regard mouillé de Nalya. Ce fut la confusion et l'empressement général. Seul Kurt était resté de marbre. Il n'accordait pas le moindre crédit aux dires de ce pseudo-guide.
Avec un calme olympien, il commença à ranger ses fioles de poison dans son sac, en jetant des regards mi-amusés mi-méprisants à la panique de ses compagnons. Un hennissement de cheval se fit entendre, puis s'interrompit brusquement. Kurt leva la tête, et là, il le vit. C'était une sorte de monstre gigantesque avec une énorme gueule pleine de crocs au milieu de la poitrine et des pattes bourrées de griffes. Un deuxième cheval fut démembré dans la seconde, alors que la chose avait déjà franchi une bonne moitié de la distance qui les séparait. Cinq comme ça ? Né né né.
Cédant à une panique bienvenue, le tueur rejoignit en courant ses collègues, qui s'étaient déjà enfoncés dans un sous-bois plein de ronces adjacent. Espérons que les chevaux leur coupent la faim quelques minutes.

Suite bientôt, promis.
Et pour la description de Néro, bah j'suis désolé, il avait qu'à ne pas prendre "sommeil lourd" en désavantage. ^^

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