mardi 13 octobre 2009

À la hache.

03/10/2009

"Vous désirez autre chose ? demanda l'importateur.
- Oui, attendez... C'est quoi, ce mot-là ? dit Yuriko en se tournant vers Mannrig.
- Du vitriol, lut-il, seul à pouvoir déchiffrer sa propre écriture.
- C'est ça. Du vitriol. (i.e. de l'acide sulfurique)
- Vous rigolez ? Je ne tiens pas une pharmacie !" Intéressant, ça... Dis, demanda-t-elle au sauvage en sortant, il savait ce que c'était, lui, du vitriol ? Non, mais d'après le serveur, c'était ça qui donnait son goût, son nom et son côté surprenant à la boisson. Il en fallait donc absolument, sinon, ça le ferait pas. Bon, eh bien, maintenant qu'on avait tous les autres ingrédients, il n'y avait plus qu'à aller à la pharmacie, comme le vendeur le leur avait gentiment suggéré. Plusieurs magnums de boissons frelatées tintaient dans le sac en toile qu'elle tenait à la main.
Elle ouvrit la porte de ce qui ressemblait à un magasin susceptible de vendre le produit chimique souhaité, et ils entrèrent. Après cinq minutes d'attente, une grosse femme d'aspect latin avec un morveux logé entre le biceps et l'avant-bras (sinon ça fait pas latin) apparut derrière un bar plein de fioles tordues, et demanda qu'est-ce que ces messieurs dames voulaient. Ah bon, du vitriol ? Une ratonnade en perspective ? plaisanta-t-elle en se hissant sur la pointe des pieds pour atteindre un petit placard derrière elle. Voi... là. Après avoir attrapé un assez gros flacon en verre fumé à l'intérieur duquel un liquide transparent clapotait mélodieusement, elle se saisit d'une fiole et demanda quelle quantité qu'ils voulaient. Tout le flacon ? D'accord, pas de problème, dans ce cas... Mais ils étaient au courant qu'une seule fiole dans une baignoire d'eau chaude était amplement suffisante pour faire disparaître un corps, n'est-ce pas ? Oui, oui... Bon, le flacon entier ? Après tout, hein, il fallait bien nettoyer les cimetières de temps en temps...
"Au fait, dit-elle à Mannrig en refermant la porte derrière elle, tout à l'heure, j'ai pensé à un truc...
- Épate-moi...
- Si on fixait en haut de la porte d'un magasin une petite tige métallique, de manière à ce que son extrémité vienne taper contre une clochette quand on ouvre, ça permettrait d'avertir le vendeur quand le client rentre, non ? Et comme ça, ben il peut faire autre chose que de tout le temps poireauter, sans faire attendre le client parce qu'il s'est pas rendu compte qu'il est entré !
- C'est pas con, il ne nous reste plus qu'à trouver un magasin pour essayer, acquiesça le sauvage. Sinon, moi aussi je me disais quelque chose...
- Quoi donc ?
- Hébin, je me demandais, à tout hasard, si c'était pas à cause du vitriol, justement, qu'on sent plus sa langue après avoir bu un Surprenez-moi.
- Mais non, t'as bien entendu ce qu'elle a dit : ça ne dissout que les morts", le rassura-t-elle. Un petit sourire se dessina sur son visage alors qu'elle repensait au pari de Skyla. Celle-ci s'était avancée en non-connaissance de cause. Cinq verres d'une boisson pareille, et rester non seulement vivant, mais sobre ? Impossible. Elle ne tiendrait pas.

Sympathique refuge que celui-là. Le fait de lui avoir déniché cette maison était bien plus précieux que tout l'argent que Skyla voudrait bien lui donner. Il n'y avait que quatre pièces, mais nullement besoin de plus. La porte d'entrée donnait directement sur la plus grande d'entre elles, qui servait également de chambre. Une cloison séparait cette pièce d'une salle à manger, par laquelle on accédait à la cuisine et à la salle de bains. Au moment où elle versait un volume de téquila approximativement égal aux autres dans le quatrième verre, un bruit lui indiqua que la sainte était de retour, accompagnée de Léander, qu'elle était partie chercher après avoir proféré l'apocalyptique menace d'un chômage précoce à l'encontre de Yuriko. La semaine serait longue... Surtout que quoi ! Ils étaient allés chez Bardley vers midi, et s'étaient trouvés démunis face au tas de ruines fumantes qui subsistait après l'explosion. À la suite de quoi ils avaient démocratiquement décidé -à deux voix contre une abstention- d'aller chercher la recette du Surprenez-moi à l'auberge d'où ils avaient fui. Et comme les effectifs avaient été renouvelés d'ici-là, ils avaient été directement chercher leur serveur favori chez lui, peu soucieux d'interrompre ses ébats amoureux.
C'est là que Skyla avait un peu pété les plombs. Non tant à cause du fait qu'il était inhumain de déranger les honnêtes gens dans l'exercice de leur vie sexuelle que parce que tout ceci n'avait rien à voir avec l'enquête, elle s'était énervée, disant que n'importe quoi, que c'était pas possible, qu'elle ne paierait pas si ça continuait, qu'ils lui les brisaient menues, qu'elle allait chercher Léander et que qu'est-ce que tu dis, pouffiasse, ta boisson, j'en bois cinq verres quand je veux ! Pari tenu !
Bonjour, dit l'érudit avec une originalité proprement sidérante en entrant dans le petit salon où Mannrig et Yuriko préparaient leurs cocktails. Il était assez pâle, comme c'est souvent le cas chez les miraculés, et ses vêtements étaient noircis de taches de sang séché, comme cela se voit parfois sur les blessés graves. Il s'assit en face, et la sainte se posa pas très loin de lui. Ugh, fit Yuriko, essayant d'équilibrer les constituants de la boisson en hissant le verre à hauteur de ses yeux. Lui allait mieux ? Très bien, dans ce cas, elle avait quelques questions à lui poser. Pour commencer, avait-il vu son agresseur ? Non, seulement ds poignards qu'on lui lançait de loin. De très loin. Et fort habilement, de surcroît. Sinon, avait-il appris quelque chose d'important, qui justifiât qu'on cherche à l'éliminer de la sorte ? Nan. Rien d'intéressant, la plupart des gens ne savaient pas, et ceux qui savaient avaient peur. Aucun de ceux qu'il avait interrogé ne l'avait plus marqué que ça ? Ben non. Bon, eh bien dans ce cas, on était pas plus avancés, soupira-t-elle en reposant le cinquième verre avant de se saisir à nouveau du premier, et du flacon de vitriol. À l'extrême rigueur, on pourrait essayer de réitérer la même opération, mais cette fois avec les autres près à intervenir derrière, en cas d'agression. Et pourquoi ne ferait-elle pas elle-même l'appât, puisqu'elle avait eu l'idée la première ? demanda Skyla avec son amabilité habituelle. Parce que, se vit-elle répondre, "si moi je suis blessée, y'a plus personne pour les rapatriements d'urgence.
- Oui, mais vous avez un signalement plus... reconnaissable...", ajouta l'importune d'une voix mielleuse. Non mais qu'elle se calme, hein, sinon, elle aussi allait se retrouver avec un signalement reconnaissable ! Le genre qui fait fuir les enfants dans la rue, y'avait qu'à demander.
Disant cela, elle avait ajouté au cinquième verre l'ultime portion d'acide, avant de reboucher le flacon qui commençait à devenir chaud à force d'être agité. Alignés devant la sainte, les boissons colorées semblaient la défier d'aller plus loin. Courageusement, avec le regard dur et stoïque de Rambo se recousant tout seul dans la jungle, elle descendit le premier Surprenez-moi d'un trait, avant d'entamer le second en ralentissant quelque peu, mais sans laisser faiblir sa détermination.
Au bout de cinq bonnes minutes, elle avait fini. Apparemment, la difficulté n'avait pas été la boisson pure et simple, mais le volume à ingérer que cela représentait. "Comment vous faites ça ? demanda Yuriko, sincèrement étonnée, tout en se préparant un verre pour elle-même.
- Qu'importe comment j'ai fait, maintenant, vous me devez une semaine de service en plus !
- Je sais bien, oui..." grommela-t-elle. Même pas payée. Comment aurait-elle pu deviner que les saintes ne ressentaient pas l'effet de la boisson ? D'un autre côté, cela expliquait son habituelle austérité à table. Pourquoi boire quand on a pas l'ivresse qui va avec ? "En tout cas, ajouta-t-elle après s'être étirée, maintenant que sa curiosité a failli tuer le chat, le chat va-t-il enfin écouter ce que je lui répète depuis plusieurs jours déjà ?" Un verre dans une main et la bouteille de vitriol dans l'autre, elle baissa la tête juste à temps pour éviter le pied de la chaise que brandissait un Léander légèrement excédé. Le flacon qu'elle avait reposé précipitamment oscilla dangereusement sur la table jusqu'à ce que Mannrig, avec des réflexes salutaires, ne le stabilise. Le liquide du verre qu'elle tenait encore à la main n'avait pas débordé, mais peu s'en était fallu. ça n'allait pas, ho ? Hé ! cria-t-elle alors que, persévérant, il venait de lui faire renverser son Surprenez-moi avec cette arme barbare. En colère, elle laissa tomber son verre et le restant d'alcool trouble qu'il contenait. C'est alors que, comme s'il avait senti que les risques pour son arête nasale de se fracturer brutalement à la suite d'un malheureux concours de circonstances se trouveraient soudain décuplés s'il récidivait, il avait reposé sa chaise, puis s'était rassi pour écouter passivement, mais avec un regard un peu mauvais quand même, un flot d'injures passionnées dans une langue à laquelle il ne comprenait rien.
Finalement, il se leva et sortit prendre l'air. Bonne idée, tiens, il en avait besoin ! lança-t-elle en prenant leur sainte à témoin du bellicisme injustifié de Léander. On avait le droit d'être à bout de nerfs, en état de choc, éprouvé, fatigué, irascible ou irritable, mais pas d'essayer de fracasser le crâne de son interlocutrice avec une chaise à la première pointe d'ironie ! "Hé, vous l'avez cherché, contredit Skyla, c'est surtout de votre faute, là.
- Quoi ? Attendez, c'est bien lui qui en est venu aux gestes, non ? répondit-elle, assez surprise que quelqu'un trouve le moyen d'essayer de le justifier.
- Ce n'est pas forcément très malin de balancer à quelqu'un qu'il a failli mourir de cette manière. Cela peut vexer, je veux dire.
- C'est un fait.
- Même."

Alors qu'elle essayait de se remplir un verre pour la énième fois, un bruit sec l'interrompit. Cela venait de... Elle se leva de sa chaise et sortit du salon pour aller jeter un coup d'oeil. Une lame dépassait du bois de la porte d'entrée. À peine avait-elle vu la petite pointe de métal que celle-ci disparut. On l'avait retirée de l'extérieur. Un peu agacée par cette manie qu'avait les gens par ici de dire bonjour avec des poignards, d'ajouter comment ça va avec des poignards, de manger avec des poignards, de s'embrasser avec des poignards puis de forniquer avec des poignards, elle empoigna le bouton de la porte et ouvrit brusquement celle-ci. "On vous a jamais appris à frapper ?" demanda-t-elle à un Léander qui tenait bien haut l'objet qui se trouvait encore planté dans la porte quelques secondes auparavant, et un papier dans l'autre main. Et elle, on lui avait jamais appris à être aimable ? Il lui donna ce qui s'avéra être une lettre signée Alessandro, et elle lui claqua la porte au nez parce qu'il ne s'était visiblement pas encore assez calmé.
Rien de nouveau sous le soleil, se dit-elle en lisant la missive. La maison d'un de ses amis, disait Alessandro, avait malencontreusement été détruite suite à leur petite infraction du matin. Ils devraient fournir des infos sur Ernst au plus tôt, faute de quoi le camarade Piotr s'occuperait de leur cas. Ah bon. Elle tendit le papier à la sainte tandis que Léander rentrait. Qu'allaient-ils faire, à présent ? Heu, ben, y'avait qu' attendre ici. Ils enverraient certainement quelqu'un pour les obtenir, ces infos, hein. Personne ne demande de renseignements sans laisser à un moment ou à un autre à celui qui est censé répondre l'opportunité de le faire. Quand ils enverraient cet émissaire, ils n'auraient qu'à le capturer et à l'interroger pour en apprendre un max sur Bardley et ses collègues. Simple et efficace.
Peut-être que cela semblait un peu trop simple, un peu trop évident, un peu trop facile pour être vrai. Toujours est-il qu'ils attendirent tout l'après-midi que quelqu'un vienne. Pour ne pas laisser d'ambiguïté, Mannrig avait renvoyé le poignard volant quelque part sur les toits, en face, avec leur réponse attachée dessus, et elle-même avait crié dans la rue, pour le cas où ils seraient surveillés, que pas de problème ils acceptaient de parlementer.
Autour de dix-neuf heures, alors qu'ils venaient de finir une cinquième partie de poker à laquelle Léander s'était joint pour plumer jusqu'aux os les deux autre joueurs, un bruit métallique se fit entendre à l'extérieur, immédiatement suivi des sanglots de l'escalier que le nouveau venu était apparemment en train de broyer sur son passage. Quatre paires d'yeux ronds émigrèrent de la salle à manger à l'entrée de la pièce principale pour regarder vers d'où venaient les bruits avec une appréhension perceptible. Il y eut un instant de silence, comme le calme avant la tempête, et la porte éclata, arrachée en même temps que le chambranle par un coup qui avait fait trembler les murs. Un homme grand et massif, engoncé dans une lourde armure, entra. L'absence de heaume laissait voir de petits yeux noirs profondément enfoncés dans d'énormes orbites aux arcades sourcilières proéminentes, ainsi qu'un crâne chauve et à première vue atrophié dans lequel une centaine de mots de vocabulaire essayaient sans doute de se faire de la place.
L'individu sembla hésiter, puis leva sa hache à double tranchant et l'abattit sur le meuble le plus proche. L'armoire de chêne concernée sembla exploser sous le choc. En fait, Yuriko se rendit compte, quand les derniers lambeaux de bois furent retombés, qu'une bonne moitié avait survécu. Le pithécanthrope colérique démolissait toujours le mobilier sans s'attaquer à eux en particulier. De l'intimidation, peut-être ? Mannrig s'approcha, un verre de Surprenez-moi à la main, et déclara en somme, histoire d' amadouer la bête, que du calme, pas de raison de s'énerver, qu'il prenne un verre. On allait s'asseoir pour discuter intelligemment, comme des gens civilisés, n'est-ce pas ? Ben non. La hache faucha circulairement le sauvage qui tomba en arrière. L'individu s'apprêtait à porter un second coup, mais Léander et Yuriko étaient déjà sur lui. Cette armure était un obstacle infranchissable. Les coups pleuvaient sans jamais blesser le colosse. En revanche, celui-ci parvint à riposter et à blesser Léander assez gravement, détruisant du même coup le lit qui se trouvait juste derrière dans une onde de choc destructrice. Cela se passait très mal. En volant juste derrière lui, Yuriko frappait à répétition le monstre, mais ne parvenait qu'à laisser quelques traces de poings à la surface métallique de l'armure. Elle était en nage, et dans cette situation désespérée, c'était pas bon signe. Le sauvage et Léander avaient dégusté, mais se battaient toujours. Combien de temps tiendraient-ils ?
Soudain, et contre toute attente, l'épée de Mannrig trouva une faille dans la carapace d'acier et s'y enfonça profondément. L'homme sembla presque surpris, mais leva à nouveau sa hache. Le sauvage ne survivrait pas à un coup pareil, il fallait faire quelque chose. Avec toute la force qui lui restait, Yuriko arrosa l'armure frappes successives des genoux et des coudes, sentant plusieurs côtes céder en-dessous. Rageant, leur adversaire se désintéressa de Mannrig et rehaussa son arme en tournant la tête dans la direction opposée. Et merde. À présent, c'était elle qu'il allait viser.
Mais l'individu se figea soudain, puis laissa tomber sa hache. Léander, dans un geste puissant et harmonieux à la fois, venait de glisser sa rapière entre deux plaques d'armures, et de l'enfoncer jusqu'à la garde à l'intérieur de la poitrine de leur homme. (de l'aisselle droite à l'épaule gauche.) Dans un bruit infernal, le monstre s'effondra au milieu de la pièce, agité encore par quelques sursauts nerveux. À peine capable de penser, Yuriko lévita jusqu'au-dessus du seul lit miraculeusement épargné par la fureur du combat et s'y laissa tomber, sachant tout danger provisoirement écarté. Le tout s'était passé très vite, mais elle était à bout de forces et de nerfs. Elle eut à peine le temps de remarquer Skyla qui s'occupait de la jambe du sauvage, et sombra dans un demi-sommeil réparateur.

La suite cette semaine, j'essaie.

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