lundi 5 octobre 2009

Un chaton mort sur les pavés.

26/09/2009

"Je double." annonça-t-elle, brisant le silence de la nuit. Mannrig, tout sourire (money = sourire), réunit les cartes en un tas qu'il mélangea habilement, avant de distribuer les mains à toute vitesse. Yuriko examina son jeu en fronçant les sourcils, puis jeta son seul carreau presque sans hésiter. Non seulement elle avait déjà un dix et un valet de pique, mais les carreaux ne lui portaient pas souvent chance. D'une main leste, elle se saisit de la plus haute carte de la pioche, et demanda au sauvage s'il savait où était passé Léander. Non, il savait pas. Il était parti une ou deux heures auparavant pour faire quelque chose, sans préciser quoi ni où. Allez, si la prochaine était une carte noire, il ne prendrait pas trop de risque et reviendrait en un seul morceau. Retenant sa respiration, Yuriko attrapa d'un geste vif ce qui se révéla être un carreau, qui plus est consécutif au premier qu'elle avait jeté. Bon, au moins, ça prouvait qu'elle avait tort d'avoir des préjugés contre les carreaux, et que toutes ces superstitions n'avaient sans doute pas beaucoup de sens. Fallait pas s'inquiéter, quoi. Ou peut-être que si, vu que de toutes façons c'était à cause des carreaux qu'elle avait jeté le premier. En fait, ils ne lui portaient chance que quand elle ne comptait pas dessus, un peu comme par bravade. Saloperie, pensa-t-elle en se délestant de la carte fraîchement piochée.
Tout près, leur sainte et leur convalescent dormaient profondément. Et cette histoire d'épervier, qu'est-ce que c'était ? Les vêtements de Kristeva, la princesse des voleuses, traînaient sur le sol, près du simulacre de lit que Skyla s'était fait avec quelques coussins et tentures. Au bout de vingt minutes, ils délibérèrent, puis abattirent leurs jeux. Elle avait une assez belle suite avec les piques, ce qui lui permit de l'emporter. Une autre ? Ouais. À moi de mélanger. Ouais, aussi. Combien, cette fois ? Ch'sais pas, on verra.
Ils continuèrent avec acharnement au moins jusqu'à trois heures du matin, si ce n'était plus, et se couchèrent dans la foulée. Mannrig se recroquevilla dans un coin de la pièce, alors que Yuriko se faisait une place sur le lit, à côté de Roger, dormant dans les nouvelles fringues qu'elle lui avait achetées. Au bout d'une heure, elle s'éveilla puis grilla une cigarette. L'effet de l'inquétude. Et peut-être aussi un peu d'énervement, se dit-elle en écrasant le mégot sur le visage du joker (le rouge), qui traînait parmi les cartes éparpillées sur la table. Un petit bruit se fit entendre, et la sainte émergea de son sommeil. Skyla ? Oui ? À vrai dire, elle se demandait... Pourquoi la drogue qui était censée rendre leur homme doux comme un agneau n'avait-elle pas agi ? "Comment voulez-vous que je le sache ?" Eh bien, c'était elle qui se l'était procurée, non ? Non. La sainte désigna du menton le coin de la pièce d'où émanaient les effluves de Mannrig, et précisa que c'était lui, et lui seul, qui avait acheté ce machin. Elle renifla d'un air hautain et ajouta que si ç'avait été elle, elle aurait au moins pensé à demander quelques précisions sur les effets, juste comme ça, au cas où...
Yuriko se leva du lit sur lequel elle était assise pour aller donner un coup de tatane dans les côtes du sauvage endormi, qui sursauta et ouvrit des yeux vitreux. Salut, bien dormi ? demanda-t-elle avec un sourire qui se voulait amène. Pouvait-elle voir le médoc qu'il avait acheté ? Peut-être. C'était pour quoi faire ? Pour qu'elle, là, elle regarde un peu, répondit-elle en montrant Skyla du pouce, et les renseigne éventuellement sur ce qui n'avait pas marché lors de l'utilisation. Okay, dit Mannrig en tendant la fiole à la sainte qui s'en saisit et regarda longuement la mixture avant de lâcher, avec un sourire : "De l'aquatofana... C'est puissant, ça affaiblit l'organisme, de mémoire, ça coûte super cher et ça met plusieurs jours à agir. Si j'avais su plus tôt, on aurait sans doute légèrement modifié le plan." Yuriko rigolait, et Mannrig était furax. Quoi ? Il allait retrouver ce traître d'apothicaire qui diluait ses potions exprès pour en retarder l'effet, et il demanderait à se faire rembourser, parce que merde, hein, fallait pas déconner. Le sourire amusé de Skyla sembla légèrement se craqueler lorsque le sauvage fixa son arc dans son dos, se fissurer quand, dans un sifflement de métal, il glissa son épée dans son fourreau, et s'effondra littéralement quand elle vit luire à la flamme des chandelles la douzaine de poignards et de lames de toutes sortes que Mannrig cachait sous ses multiples laines et fourrures. C'est bon, j'ai compris, dit Yuriko, je vais l'accompagner. La sainte se tourna vers elle avec une telle détresse dans le regard qu'elle se sentit obligée d'ajouter, en souriant de toutes ses dents "ben, pour l'aider à se faire rembourser, quoi..."
Et on était partis. En tout cas, je te parie ce que tu veux qu'il sera vénère de se faire réveiller à cinq heures du matin par deux emmerdeurs ayant une réclamation. (vous avez compris : on a inventé les témoins de Jéovah.)

La porte s'entrouvrit. De là où elle était, Yuriko ne pouvait pas voir l'occupant, mais elle comprit aux paroles de Mannrig qu'il s'agissait de l'apothicaire lui-même. Il lui avait vendu de la merde ! Qu'il rembourse immédiatement s'il voulait pas d'une fin tragique ! Oui mais non. De toutes façons, pas à une heure pareille. Allez, quoi ! Il était prêt à se faire rembourser à moitié prix. Désolé, mais l'argent ne l'intéressait pas. "Si l'argent ne vous intéresse pas, alors remboursez-moi !" Ciao. Mais Mannrig avait bloqué la porte avec son pied. "Dernier avertissement, dit l'antiquaire. Si vous vous obstinez, vous allez y laisser quelque chose de précieux, et moi, j'aurai perdu un client et un carreau d'arbalète." À quelle heure ouvrait-il ? Vers dix heures, pas plus tôt. Très bien, il y serait, répondit le sauvage en retirant son pied, visiblement frustré par ce contretemps. La porte claqua. D'un saut léger, Yuriko descendit du rebord de fenêtre où elle était juchée, et demanda à Mannrig de se planquer deux secondes. Toc, toc, toc. Il fallait profiter de ce que l'apothicaire était effrayé/fragilisé par son précédent visiteur pour lui proposer un service de protection rapprochée. De la psy-cho-lo-gie. Toujours. Le bouton de porte tourna sur lui-même, et l'huis s'entrouvrit brutalement. "Quoi ?" demanda l'antiquaire d'une voix excédée. L'importune (mais opportuniste) asiatique sursauta devant cette vision d'horreur : de la bile en ébullition jaillissait des nasaux fumants du commerçant furibard, et deux pupilles démoniaques brillaient d'une lueur malsaine au fond de ses deux cavités orbitales noircies de cernes. Une des rides du vieillard s'étira jusqu'à se déchirer, puis s'ouvrit pour former ce qui s'avéra être sa bouche. Il articula dans un éclat de glaire moisi un "qu'est-ce que vous voulez ?" rocailleux et lent, comme s'il sortait d'un long sommeil. Ils avaient réveillé un monstre ; un terrible fléau pour l'humanité. Face à cette chose, une dérisoire chaînette de sécurité empêchait la porte de s'ouvrir totalement. Assurément, elle avait été placée là pour que l'apothicaire ne puisse sortir de sa cage. Il la braquait avec une arbalète. Pour tenter de l'apprivoiser, et surtout pour éviter qu'il ne devienne violent, elle bredouilla quelques justifications vaseuses (petit, petit, petit...) et la porte se referma sèchement.
Mannrig sortit de sa cachette en rigolant et demanda très spirituellement si elle avait fait une jaunisse. Putain, mais pourquoi ne l'avait-il pas prévenue ? Prévenue de quoi ? Il y avait un vieillard en liberté à l'intérieur ! En effet, c'est celui-là même qui lui avait vendu l'aquatofana. Quoi ? Il traitait maintenant avec ce genre d'individus ? "Mais enfin, tu vas y laisser ton âme ! Tu as toujours une âme, quand même !
- Attends voir, répondit Mannrig en fouillant dans sa besace, oui, il m'en reste un peu." Il valait sans doute mieux ne pas savoir ce qu'il avait compris. "Amène-toi, on retourne au lupanar..."

Americh ne dormait jamais. Les passants passaient et repassaient sur les pavés pas secs. Il avait sans doute un peu plu au cours de la nuit. Très concentrée, Yuriko tentait depuis plusieurs minutes d'accorder ses bruits de pas avec ceux de Mannrig pour faire un petit rythme en deux double-croches, mais n'avait toujours pas réussi à répéter le motif sonore huit fois, condition habituelle pour pouvoir faire des breaks. Soudain, alors qu'elle pensait tenir le bon bout, d'autres pas sonores s'approchèrent rapidement, gagnant en intensité à mesure qu'ils avançaient vers elle. L'enchantement fut irrémédiablement brisé, et le rythme compètement perdu. Elle jeta un regard noir par-dessus son épaule, et reconnut un Léander essouflé qui courait dans leur direction. Il était donc encore vivant, youpi, c'est la fête au village ! Oubliant ses essais en percussions expérimentales, Yuriko s'arrêta et, quand il fut à leur hauteur, lui mit la main sur l'épaule pour lui demander si, lui qui était cultivé, il connaissait le proverbe "La curiosité tua le chat.".
Haletant, il se redressa, sembla sur le point de dire quelque chose et, soudain, s'arrêta net. Dans un petit éclat d'acier, un objet volant non identifié venait de lui pénétrer la poitrine par-derrière et, pour être précis, de ressortir partiellement du côté du torse. Le souffle coupé, il s'écroula à moitié sur son interlocutrice avec un regard qui voulait dire que pas de blagues, le coin était malsain, fallait pas rester ici. "ça vient des toits, cria Mannrig. On y va !
-Ferme-la et cours ! On s'arrache." Sans attendre la réponse, Yuriko épaula Léander, prit son envol et fusa au ras du sol en direction de leur QG. Ne pas traîner. Il pouvait claquer à tout moment. Jetant un coup d'œil derrière, elle s'aperçut que Mannrig ne la suivait pas. "Vous vous sentez de faire tout seul les trois pâtés de maisons qui nous séparent du bordel ?
-Cela fait... moins mal que ça en a l'air" répondit le blessé en hachant ses mots, les larmes aux yeux et du sang affleurant aux lèvres. Il était très pâle et respirait laborieusement. Ouais. Menteur. "Attendez, je vais vous retirer ce couteau et...
- Non ! coupa-t-il, saisi d'une peur légitime. Je préférerais la doc'." Joli témoignage de confiance ! Elle accéléra et passa un virage en courant sur les façades des maisons pour prendre appui, sans faire attention aux noctambules incrédules qui se retournaient sur son chemin. En quelques paires de secondes, elle avait atteint leur gîte. La porte s'ouvrit à la volée et elle traversa le hall en un éclair sans faire tomber une goutte de sang sur le lino blanc, prenant à peine le temps de lancer un "tu n'as rien vu !" affirmatif à la fille qui s'occupait de l'accueil. Après son passage, une pièce d'or finit d'accomplir sa parabole dans les airs et tinta plusieurs fois sur le sol dans le silence global de la maison close.
Lestement, Yuriko ouvrit la porte de leur chambre, entra et se figea. Pendant quelques secondes, elle fut incapable de parler, et la seule chose qui finit par sortir fut un bredouillement inintelligible du genre mais quoi mais non mais ho qu'est-ce que vous foutez là dans cette chambre ? L'homme à qui elle tentait de s'adresser était de dos, debout face au lit de Roger. Il portait une longue tunique noire et rouge du plus pur style shivatien (i.e. : chinois) avec un Kanji entre les omoplates. Un petit courant d'air s'engouffra dans la pièce à cause de la fenêtre ouverte, et fit voleter quelques bouts de papier ainsi que les longs cheveux de l'intrus. Ses amples manches se gonflèrent paresseusement. Il se retourna sans se presser, avec un grand sourire. (forcé ?) Comme on pouvait s'y attendre, il était bridé comme y'a pas, et jaune comme le vert de photoshop. Ses yeux formaient deux fentes fines comme des lames de rasoir (cette expression m'a marqué...) dont les paupières ne laissaient pas visibles les prunelles. "Je cherche Ernst, dit-il sans se départir de son sourire d'hypocrite. Où est-il ?
- Ernst ? Connais pas d'Ernst, moi...
- Ne vous moquez pas de moi. Nous avons besoin de lui parler.
- Ha bon ? Désolée, vraiment, j'aimerais pouvoir vous aider, mais là, je vois pas.
- Vous l'avez hébergé ici parce qu'il était blessé. Alessandro l'a raté, alors pour la dernière fois, où est-il ?" Trop loin, la fenêtre. Léander était dans les vapes ; il fallait trouver une solution, et vite. "Moi aussi, j'ai une question : la jeune femme qui se trouvait dans cette chambre avec lui, où est-elle ?
- Pas la moindre idée." Au moins, Skyla était vivante, s'il ne l'avait pas trouvée ici. "Bon, eh bien, je ne peux pas vous renseigner, vous ne pouvez pas me renseigner : on est quittes ?" Pour toute réponse, l'homme fouilla dans ses manches et, d'un geste vif, lança plusieurs objets métalliques en direction de son interlocutrice, qui parvint à résister à l'envie de se servir de Léander comme d'un bouclier humain, et se contorsionna brusquement pour les éviter. Elle avait toujours le blessé accroché à l'épaule, et n'était assurément pas passée loin de se retrouver dans le même état que lui, ou pire. Une fraction de seconde plus tard, ils se retrouvèrent dans le couloir, plaqués contre le mur adjacent à la porte, cinquante centimètres au-dessus du sol. Que faire ? La vision de trois tiges métalliques profondément enfoncées dans la rambarde du premier étage, juste en face de la porte ouverte, se pyrograva instantanément dans sa rétine. Pas rester ici. Avertissement, pour ceux qui n'auraient pas compris : je perfore tout type d'organe à n'importe quelle heure, sept jours sur sept. Réductions pour les grosses commandes et tarif groupé à partir de cinq personnes. Enfants admis et majoration légère sur les séances de torture. Apparemment, quelqu'un avait décidé de faire taire les curieux et les emmerdeurs, parmi lesquels Ernst, Léander, Skyla bientôt et Mannrig possiblement. Quant à elle, y'avait pas de raison : c'était juste pour profiter du prix de groupe. Dans un vol subliminal, elle passa par-dessus la rambarde et descendit au rez-de-chaussée. "Mais qu'est-ce que vous faites ?" demanda la fille de l'accueil en s'étonnant pour la seconde fois de ce passage en coup de vent. De quoi tu te mêles, toi ? "Faites comme moi !" conseilla Yuriko avec un bon sens qu'on ne saurait nier, avant de disparaître par l'entrebâillement de la porte, qui n'avait même pas fini de se refermer depuis son dernier passage. La rue, enfin ! Jetant des coups d'œil autour d'elle, elle aperçut Mannrig à une cinquantaine de mètres, qui arrivait d'un pas rapide. Elle se précipita vers lui, lestée de Léander qui avait tourné de l'œil. "J'ai pas retrouvé le lanceur de couteaux, y'avait trop de monde dans la rue, expliqua-t-il, Pourquoi tu fais cette tête ?" Parce que, répondit-elle, il y avait un putain de tueur dans la chambre, et les deux autres locataires avaient disparu ! Mannrig regarda en direction de la porte du bordel et demanda qu'est-ce qu'il attendait pour sortir, alors. C'était vrai, ça. Qu'est-ce qu'il attendait ? Et eux, qu'est-ce qu'ils attendaient pour décamper ? Qu'il sorte ? Mannrig fit remarquer que Léander n'avait pas une tête à être encore en vie, et quand elle se rendit compte qu'il était complètement avachi, une salive mêlée de sang aux lèvres, elle faillit le croire. Cependant, une respiration pénible témoignait du fait qu'il était vivant. Pour combien de temps, en revanche... Pas moyen de la savoir précisément, d'autant plus qu'on n'avait pas de médecin sous la main. La seule chose dont elle ne doutait pas, c'est qu'il allait crever si on ne faisait rien. "Vas-y, retire la lame." Mannrig extirpa habilement le poignard de la cage thoracique du blessé, avant que Yuriko lui transmette son énergie corporelle. Un des effets collatéraux de ce surplus était que le corps reconstituait ses tissus à toute vitesse pour évacuer. Bon, c'était pas parfait, mais au moins, l'entaille ne saignait plus.
Où allait-on l'amener, maintenant ? Il était absolument exclu qu'ils demeurassent debout au milieu de la rue avec un presque mort sur les bras, exposés à tous les poignards volants. Si on voulait retrouver la sainte, dit Mannrig doctement, il n'y avait qu'à aller à l'église, elle ne pouvait être que là-bas. Mais oui mais c'est bien sûr ! Comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Malgré tout subsistait un problème : que faire avec tous ces vieillards qui rôdaient à l'intérieur ? "Heu... développa le sauvage.
- Tu vas tous les faire sortir toi-même ?
- Oui, par exemple. Je peux." Yuriko soupira. C'était extrêmement risqué, mais au point où on en était, c'était la seule chose à faire. Et puis, Mannrig en avait déjà vaincu un par le passé, il pouvait donc y parvenir une seconde fois. S'il délogeait les vieux lui-même, alors d'accord, concéda Yuriko en rehaussant Léander sur son épaule. Il n'y avait plus qu'à trouver la bonne église.

L'église s'avéra être d'influence et de statut très limités, en tant que seul monument religieux de la ville. Tant mieux. C'était plus discret comme ça. Dans une plainte d'acier aiguë, le sauvage dégaina son épée avant d'entrer dans la maison de Dieu. Elle assit Léander par terre contre le mur et écouta à la porte en retenant son souffle. "Vous ! fit la voix de Mannrig. Vous êtes le prêtre ?
- Oui, répondit le concerné. C'est à quel sujet ?
- Tu peux rentrer, c'est bon.
- Quoi ?" demanda le prêtre. Après avoir attrapé Léander, Yuriko franchit le seuil de la porte et fit quelques pas à l'intérieur, puis s'arrêta net. Une silhouette noire et, semblait-il, courbée s'était dessinée près de la chaire. Où était Mannrig ? "Je suis là", dit-il juste derrière elle, la faisant sursauter. La silhouette noire s'approcha et passa près de cierges, révélant un jeune prêtre d'une trentaine d'années. Qui était cet homme ? demanda-t-il en parlant de Léander. L'avaient-ils tué ? Et pourquoi entraient-ils ici l'arme au poing ? Alors, patiemment, elle expliqua au monsieur qu'ils étaient un peu menacés, que l'homme que voilà avait subi une agression, qu'ils cherchaient un refuge et que n'avait-il pas vu, ces derniers temps, une superbe jeune femme venir dans son église ? Quelques jours auparavant, elle était en effet passée, mais à des heures un peu plus décentes. Posait-elle tout le temps des questions bizarres sur l'apocalypse ? Oui, ils parlaient bien de la même, pas de doute. Elle la connaissait bien, dites ! Enfin, c'était sûr qu'elle n'était pas passée au cours de la nuit ? Et elle n'avait pas donné d'infos sur un endroit où elle aurait pu aller ?
Hébin que dalle. Quinze minutes plus tard, ils étaient de nouveau tous les deux dans la rue, pas plus renseignés sur l'endroit où se trouvait Skyla que sur les danses traditionnelles guatémaltèques. Léander avait été laissé dans le lit du prêtre, qui devait s'occuper de lui pour quelques jours. On savait que le tueur n'avait trouvé ni Roger ni la sainte, et donc que ceux-ci étaient quelque part en ville, probablement en vie. Ensemble ou séparés ? Va savoir, tout était possible. En tout cas, ils essaieraient sans doute de retrouver bibi et son copain Mowgli, se dit Yuriko en coulant un regard songeur vers Mannrig. "Dis... commença-t-elle petitement.
- Quoi ? demanda le sauvage.
- Où irais-tu si tu me cherchais ?
- Dans un casino" répondit-il sans l'ombre d'une hésitation. Merci, vraiment... Le pire, c'est qu'il n'avait pas tort. Skyla raisonnerait-elle de la même façon, et chercherait-elle dans cette direction, malgré sa franche répugnance à l'égard des jeux d'argent ? Ils bifurquèrent en direction du tripot où ils avaient claqué leur flouze quelques jours auparavant. Il se trouvait juste en face de l'auberge qu'ils avaient laissée dans un état lamentable avant de s'enfuir avec une civière et son occupant. Yuriko sourit en y repensant. Le sauvage devait toujours avoir le registre dans son sac.
À défaut d'une sainte, tout ce qu'ils trouvèrent au tripot fut une porte fermée et un vigile ensommeillé qui leur assura que non, il n'avait pas vu de belle jeune femme plus marquante que d'habitude ce soir-là. Non, pas même en compagnie d'un type séduisant, brun, et dont la description suivait. Ernst ? Ah, Ernst. Eh bien, c'était un informateur notoire dont le talent n'avait d'égale que sa témérité. La nouvelle de sa mort circulait depuis quelques jours. Le videur/vigile était sincère. Apparemment, ceux qui avaient cherché à faire taire l'indic avaient soit cru de prime abord qu'il avait succombé à ses blessures, soit sciemment propagé la nouvelle de son décès pour l'empêcher de se montrer ou, au moins, ne pas perdre la face. Dans tous les cas, si on retrouvait le petit Roger où qu'il soit, il y avait de bonnes chances pour que Skyla soit dans les parages. Écoutez, dit-elle subséquemment au garde, connaissait-il, à tout hasard, quelques lieux et établissements que Ernst fréquentât habituellement ? Oui, il pouvait les renseigner... Bars, auberges, bordels... en tout, il énuméra plus d'une dizaine d'établissement différents où le défunt avait ses habitudes, parmi lesquels étaient l'auberge d'en face et la maison close où ils s'étaient installés. Il était environ six heures à Americh. Le jour pointait son museau timide, les assassins rentraient dormir et les tripots fermaient.
"On laisse tomber ? demanda Yuriko. De toutes façons, on ne peut trop rien pour elle, hein... C'est déjà un assez bon résultat de savoir Léander vivant et provisoirement à l'abri. On a fait ce qu'on a pu, tu ne penses pas ?
- Comme tu veux, moi je m'en fous, répondit en substance le sauvage, mais si elle nous cherche, elle pourrait aussi bien être au bordel, non ?" Moui. Ou alors les filles pourraient savoir quelques trucs. Après tout, elle n'avait pas trop pris le temps de poser des questions là-bas, pressée qu'elle était par des soucis d'une tout autre nature.

La fille de l'accueil remplaçait visiblement la patronne le temps de son absence. "Vous étiez pressée, ce matin, dit-elle à Yuriko en lui tendant deux lettres. La première vous est adressée (Salut les loustics, Ernst leur souhaitait une bonne journée, il s'était servi, pécuniairement parlant, et sinon, ciao et merci pour les fringues.) et la deuxième concerne la jaune et le sauvage qui traînent ici, alors je suppose qu'il s'agit de vous, sinon je vois pas qui." Mannrig attrapa les lettres et lut la seconde en premier, par pur anticonformisme. Après cela, il regarda celle d'Ernst, en laissant l'autre à sa voisine. Ah, d'accord. C'était une carte de vœux de la part d'un certain Alessandro (vraisemblablement le même que celui qui avait "raté" l'indic.) qui leur souhaitait non pas de joyeuses fêtes mais de livrer le petit Roger au plus tôt, en échange de quoi ils auraient la vie sauve. Le marché semblait honnête, quoiqu'un poil autoritaire. Qu'ils aillent se faire foutre.
Mannrig monta à l'étage pour aller voir si on pouvait trouver quelque chose dans la chambre, et la porte d'entrée claqua sèchement alors qu'une jeune femme entrait en disant bonjour, bien dormi ? "Ah ben vous voilà, vous ! cria Yuriko dans une paire de tympans qui s'en souviendraient. On s'est inquiétés, ça va pas de disparaître comme ça ?
- Eh, oh, ça va, hein, répondit la sainte irritée, je peux encore m'absenter deux heures pour enquêter un peu sans me faire crier dessus !" Elle avait encore un peu de khôl qui n'était pas parti. Récapitulons, commença Yuriko en s'emportant presque malgré elle : une sainte disparue, Ernst disparu, Léander dans un état critique sur les bras, un tueur dans la chambre de là-haut et probablement un tarif groupé pour eux cinq. Tout ça, c'était suffisant comme motifs pour s'inquiéter ? À peu près à ce moment-là, Mannrig redescendit. Il n'avait rien trouvé d'intéressant dans la chambre. Les murs étaient toujours autant tapissés de plâtre et de peinture que le lit de foutre et de sang. Bref, rien à signaler. Qu'était-il arrivé à Léander ? demanda Skyla en promenant son regard sur la missive de Roger. "Il a reçu un coup de poignard dans le dos. Mais méchant, hein. Je veux dire : sans la garde, ça l'aurait sans doute transpercé de part en part, et même avec, c'était pas loin d'être le cas." Alarmée par ce bilan rapide (mais précis), elle demanda mais où est-ce qu'il était, et qu'avaient-ils fait en son absence ? "Bah, nous, rien, mais lui est allé fouiner un peu, puis encore un peu plus, et c'est là qu'il a dégusté... pour l'instant, on l'a planqué à l'église, avec un prêtre. Un jeune, hein, ne vous inquiétez pas. Et puis, pour sa blessure, on a fait ce qu'on a pu, quoi.
- Et alors ? Il est mort ? s'enquit Skyla en fronçant les sourcils. C'est pour ça, le prêtre ?
- Mais non ! On a juste refermé le trou qui restait après qu'on a retiré la lame, et comme il restait un peu cotonneux, pour ne pas dire hydrophile, on l'a largué dans la première et seule église en se disant que 1) il y serait en sécurité et que 2) vous y passeriez tôt ou tard. Vous m'écoutez ?" Non, elle ne l'écoutait plus. Elle posa la lettre de l'indic sur la table en concluant "je ne pensais pas qu'il récupérerait aussi vite.
- C'est ça quand on y connaît rien, persifla Yuriko, un peu vexée qu'elle se foute ouvertement de ce qu'on lui disait.
- Commencez pas, hein, c'est vous qui êtes venue pleurer pour que je fasse quelque chose pour lui.
- Je pleurais pas, c'est même pas vrai !
- Ah si, là, je confirme, coupa Mannrig, elle avait les larmes aux yeux..." Qu'est-ce qu'on lui avait demandé, à lui ? Et ta sœur, elle avait les larmes aux yeux ? "En tout cas, dit Yuriko pour changer de sujet, moi, j'ai une question à vous poser. Étant donné qu'on peut distinguer une très nette corrélation entre la manie d'enquêter sur cette affaire et la tendance plus ou moins grande à se faire larder de coups de poignards par x, avec x Alessandro, Marv, Torpedo, Karel, Benoît Poelvoorde ou n'importe quel(le) tueur/brute épaisse/psychopathe en puissance/proxénète/amant jaloux/terroriste (et tous leurs dérivés), avez-vous l'intention de poursuivre votre enquête au mépris de tout bon sens, et si oui, fait-il partie de vos projets que je passe derrière vous pour essayer tant bien que mal de récupérer vos abats dans les sacs poubelles de la mafia d'Americh ?
- Calmez-vous, répondit la sainte en profitant de ce que Yuriko reprenait son souffle, vous ne comprenez pas que ma mission va bien au-delà de toutes ces inutiles considérations de danger et de sécurité ? Oui, je vais continuer, il le faut, et vous allez m'aider.
- J'ai le droit de vous insulter ?
- Oui.
- Alors non, dans ce cas, c'est pas drôle.
- Mais quel est votre problème, à la fin ?
- Ernst adore les coups de couteau. Il les aime partout sur le corps, vigoureux et répétés. Léander, lui, les préfère volants, par-derrière, et un seul à la fois. Je ne sais pas comment vous, vous les aimez, mais le fait est que moi, j'en raffole pas. Sachez juste qu'en temps normal, je vous demanderais de me payer pour ce boulot." Après ce petit laïus, un fugace éclair d'intelligence passa sur le visage de Skyla, comme si, prenant du recul par rapport à la situation, elle s'était aperçue qu'elle était riche mais vulnérable, et s'adressait à quelqu'un de sécurisant, mais pauvre. La bobo mut une main baladeuse dans son sac en cuir de taureau bio, et en sortit bientôt une petite (mais pas trop) bourse replète. Cinquante pièces d'or, ça lui irait ? Cela dépendait de pourquoi, et pour combien de temps. Pour la conseiller, l'assister et la protéger dans l'accomplissement de sa divine mission, et ce pour, disons, une semaine. Contrat renouvelable. C'était jouable, oui, fallait voir. Bon, d'accord, va pour ça, concéda l'indigente. Après tout, elle avait besoin d'argent. Et en plus, cela clarifierait leurs rapports (à savoir cliente/salariée). Bon, dit Mannrig en contemplant une avance de quinze pièces d'or changer de mains. C'était pas tout, ça, mais si elles avaient fini de s'engueuler, on allait peut-être éviter de trop traîner ici, et trouver un coin pour manger, parce qu'il commençait à faire faim.
Une fois dans la rue, ils délibérèrent sur ce qu'il y avait de plus urgent à faire (à part bouffer) et il fut décidé qu'on allait se trouver une autre planque.

Pas mal, se dit Yuriko en jetant un coup d'œil aux autres pièces, un morceau de jambon à la main. C'était le genre d'appartement qu'on peut chercher longtemps avant de le trouver. Bon, évidemment, il était un peu délabré, et moisi dans les coins, il faudrait le repeindre, mais dans l'ensemble, c'était une affaire à saisir. Il était situé au-dessus d'un commerce insignifiant, au fond d'une impasse intimidante. On y accédait par un escalier extérieur d'une douzaine de marches. D'après Skyla, le propriétaire était quelqu'un de discret et fiable à la fois, en plus d'être moins malhonnête que la moyenne.
De la cuisine, Yuriko entendit le bruit de la porte qui s'ouvrait. Mannrig était revenu sain et sauf de chez l'apothicaire, après avoir obtenu satisfaction. La sainte émit le souhait d'aller chercher Léander, ce à quoi il fut objecté que ce dernier était visé par des tueurs, et pour l'instant en sécurité là où il était. En revanche, si eux trois commençaient à faire des allers-retours du côté de l'église, ils ne tarderaient pas à le localiser. Mieux valait y aller discrètement, à la faveur de la nuit.
Par ailleurs, le plus gros obstacle aux investigations de Skyla était, à l'en croire, la force brute. Le fait d'être seule l'astreignait à une prudence extrême, ce qui empêchait tout résultat significatif. Et puis, parfois, elle avait remarqué que des gens se fermaient dès qu'elle prononçait le nom de Bardley. Ce pouvait bien être une piste. En se montrant suffisamment insistants, on pourrait sans doute tirer quelque chose de ces personnes qui ne voulaient pas dire ce qu'elles savaient. Y avait-il quelqu'un en particulier chez qui elle aurait remarqué ce genre de comportement ?

La porte s'ouvrit brusquement, et elle entra d'un pas assuré en dessinant une arabesque dans l'atmosphère enfumée du pub avec la pointe d'un cigare éteint qu'elle venait de tirer de la poche intérieure de son manteau. La rumeur des voix indistinctes sembla faiblir imperceptiblement alors que, sans détour, elle allait se poser sur un tabouret de bar, allumer son cigare sur celui d'un client, et annoncer avec le regard de Che Guevara, tout en recrachant la fumée par les narines (très difficile en Style, quoi, merde) : "Je cherche Caïus.
- Qu'est-ce que vous lui voulez ? demanda le client flegmatique en jouant à faire de magnifiques petits dessins dans une flaque de bière renversée sur le comptoir.
- Je veux lui poser quelques questions, dit-elle en baissant la voix, obligeant l'autre à se pencher (et donc à interrompre son jeu) pour l'entendre dans ce brouhaha. C'est son boulot, non ?
- Une autre, demanda quelqu'un.
- Hé toi ! Oui, toi, fit la voix de Mannrig. Je voudrais trois surprenez-moi. Sers-les là-bas.
- Juste, dit le client en hochant la tête, c'est le type à la table du fond, où il y a cinq personnes.
- Merci du tuyau", acheva Yuriko en se levant, avant de se diriger vers la table indiquée. Caïus ? Oui ? Fallait qu'ils parlent en tête-à-tête. À propos de quoi ? À propos de son boulot, quoi d'autre... Okay, il arrivait. À tout de suite, les gars, dit-il en marchant sur les genoux de la moitié de ses amis, parce qu'il était au fond de la banquette, tout contre le mur. Où voulait-elle aller ? Là, juste là, répondit-elle en désignant la table où Mannrig s'était déjà assis, dans l'attente de sa commande. Ils s'y installèrent confortablement, et on leur servit trois chopes contenant un liquide visqueux auquel Yuriko jeta un regard soupçonneux. Hydromel : alcool fort fait à partir de miel et de cire fermentée, reconnaissable à son parfum de merde caractéristique. Elle avait assez tièdement envie de s'en souiller l'œsophage. Lorsqu'on inclinait un peu le récipient, la boisson s'équilibrait lentement en restant partiellement attachée aux parois, comme l'aurait fait du caramel chaud. "Qu'est-ce que vous voulez ? interrogea Caïus en trempant son index dans la substance gluante et opaque, avant de le sucer de manière tout à fait obscène.
- Vous savez des choses, je sais d'autres choses. Il y a des choses que je sais que vous savez...
- ...mais que nous ne savons pas, compléta Mannrig. Sachez que nous voulons savoir ce que vous savez que nous ne savons pas.
- Accouchez."
Très bien. Bardley, ça lui disait quelque chose ? Si, si, ça lui disait quelque chose. Mannrig précisa qu'il pourrait, en faisant un petit effort de mémoire, gagner quelques pièces qui pourraient même être en argent. Et bien sûr, lorsqu'il parlait d'argent, cela pouvait aussi bien signifier de l'or... "Écoutez, rien ne sert de mentir." Dieu seul savait ce qui pouvait arriver, en revanche, s'il refusait de répondre, ajouta le sauvage en redressant les pans de sa veste dans un bruit typique de lames qui s'entrechoquent. Cela pouvait rapporter gros, des infos pareilles, explicita Yuriko, mais ça pouvait aussi coûter très cher. Comme pour montrer qu'il avait les moyens de ses ambitions, Mannrig exhiba une pièce d'or en informant l'informateur de ceci que cette dernière avait une famille nombreuse. Voyant qu'il s'enfilait l'hydromel à mesure qu'il suait tout l'eau de son corps en disant que non, que Bardley était un démon, qu'il le tuerait s'il parlait, elle suggéra à haute voix (de la finesse, toujours de la finesse) que d'un autre côté, il lui serait sans doute encore plus désagréable de passer le reste de son existence à se nourrir avec une paille, même s'il aimait ce genre de boissons. Mais ils étaient dingues ? Oui, répondit Mannrig avant de répéter en haussant modérément la voix que des infos, ils voulaient, sans quoi le petit Caïus allait perdre son job et sans doute une bonne part de sa motricité. Et puis, d'ailleurs, demanda Yuriko, c'était qui, ce Caïus ? Ah oui, tiens, jamais entendu parler. Attends... C'était pas cet indic' qui connaissait plein de trucs sur un certain Bardley ? continua le sauvage en prononçant ce nom encore un peu plus fort. Ah, ouais, c'était ça. D'ailleurs, si ce Caïus se montrait plus loquace, elle ne pourrait jamais se souvenir d'un nom pareil... alors que dans le cas contraire, finit Yuriko avec un grand sourire, ils sauraient qui balancer quand ils seraient dans la merde...

"Et alors ? demanda Skyla.
- Ben, il a fini par cracher quelques petits trucs.
- Comme ?
- Je ne sais pas comment il s'y est pris, mais Bardley l'a traumatisé. En faisant un "exemple" dont il n'a pas voulu préciser la nature.
- Sympathique...
- N'est-ce pas ? Sinon, il a deux bras droits. Moi aussi, j'ai trouvé ça bizarre, au début, mais en fait, ce sont des exécuteurs/gardes du corps, pas de vrais bras.
- J'ai compris, merci.
- Le premier, c'est un asiatique habillé comme tel, avec des yeux très fins.
- Le nôtre ?
- M'est avis que oui. L'autre, c'est un type très laid. Apparemment, à côté de lui, Frankenstein (vous ne pouvez pas connaître, c'est le héros d'un conte populaire du nord du Lannet.) ressemble à Dora l'exploratrice. (le Kami de la drogue.) C'est peut-être celui-là qui se fait appeler l'épervier... Ou Alessandro, allez savoir.
- Rien d'autre ?
- Si. On s'en doutait déjà, mais Bardley n'est pas son vrai nom. Qui que ce soit, il fait la loi dans plusieurs quartiers d'Americh, et ses subalternes ont une adresse pour le contacter en cas d'urgence.
- Vous savez où c'est ?
- À votre avis ?"

Mannrig approcha sa main de la porte en dardant des coups d'œil dans toutes les directions, vers les toits et les rues adjacentes. Puis il sembla se raviser, se tourna vers Yuriko, en bas du petit escalier extérieur, et chuchota "putain, mais qu'est-ce que je dois dire s'il y a quelqu'un ? J'attaque à vue ?
- T'as qu'à dire que tu viens pour te faire engager, et si ça ne prend pas, tu fais exactement ce que tu viens de proposer." À la suite de cela, il tocqua à la porte et, n'entendant rien venir, actionna la poignée.
C'était ouvert.
Mannrig disparut à l'intérieur. Subrepticement, Yuriko gravit les escaliers à sa suite, jeta un coup d'œil au vestibule sombre qu'ils avaient devant eux, et se retourna pour faire signe à la sainte, cachée à l'autre bout de la rue. Dans la pénombre de la pièce se distinguaient un porte-manteaux, un coffre pouvant servir de banc et trois portes closes. Le sauvage, après avoir écouté précautionneusement, ouvrit la porte de gauche et en franchit le seuil. "Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?" demanda Skyla à mi-voix, d'en bas des marches. Qu'elle vienne voir elle même. Le porte-manteaux était recouvert de vêtures dans lesquelles Yuriko fouilla un peu. Les poches dégueulaient de pièces d'or. "Apparemment, dit-elle alors que Mannrig ressortait de la salle de bains pour ouvrir la porte de droite, la maison n'est pas à l'abandon, et ils ont l'intention de revenir.
- Ou alors ça veut dire qu'ils ont assez d'argent pour ne pas s'en soucier", extrapola la sainte, pendant que Yuriko ouvrait le coffre en gardant l'une des bourses à la main. Dedans, il n'y avait que des vêtements, mais l'un d'eux marqua son attention. Il était rouge et noir, et un signe qu'elle avait déjà vu était cousu dans le dos. C'étaient les fringues du tueur. Elle les roula en boule et les mit dans sa besace. Il faudrait chercher ce que signifiait cet idéogramme.
Elle se redressa et se dirigea vers la porte du milieu, que Mannrig n'avait pas encore ouverte, alors que celui-ci ressortait de la pièce de droite. Calmement, elle actionna la poignée et ouvrit lentement. Quand l'entrebâillement fut rendu à un tiers de son maximum, un petit déclic se fit entendre, et elle s'arrêta immédiatement, le cœur battant à tout rompre. Qu'est-ce que c'était que cela ? Il y avait quelqu'un derrière ? Le sauvage la bouscula, ouvrit en grand la porte, sembla hésiter et fit demi-tour, pris de panique. "Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle, inquiète.
- Cours !" Elle ne se le fit pas dire deux fois, et se précipita vers la sortie, pendant que Skyla, voyant cette débandade de l'extérieur, sautait de l'escalier. À peine furent-ils dans la rue que les charges explosives commencèrent à faire sauter les murs en commençant par la pièce du fond, jusqu'au bouquet final qui se traduisit par l'effondrement de la maison. Des morceaux de bois incandescents et des briques fumantes retombèrent sur les pavés, partout dans la rue. On aurait presque applaudi. Presque.

La suite bientôt, aimerais-je pouvoir dire, bien que ce soit peu probable.

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