samedi 9 mai 2009

Malchances et malédictions.

08/05/2009

Et soudain, il fit nuit.
Pernilla huma l'obscurité, puis s'emplit d'une magie analogue pour mieux la percer du regard et y voir comme en plein jour. Elle descendit l'escalier et sortit de l'auberge aussi discrètement que possible. Peut-être était-il minuit ou une heure du matin ; peut-être que cela n'avait aucune importance ; peut-être que le plus beau cadeau que puisse lui faire la nuit était le sommeil des autres, avant même le cheminement de l'astre lunaire et l'heure qu'il indiquait. Une fois dans la rue sombre, elle s'habilla d'un masque de magie pour que ses pairs ne puissent la voir que sous une apparence trompeuse. Elle vola l'image de celui qui l'avait regardée fixement dans le restaurant, puis, satisfaite de son déguisement, s'approcha de la porte. Elle se pencha sur la serrure : peut-être pourrait-elle ?.. Prenant sa barrette à cheveux, Pernilla tenta, sans succès, de crocheter cette porte entêtée. C'est égal, se dit-elle, un problème n'est pas un problème s'il n'a pas de solution. Elle recula pour mieux observer la façade et voir le bâtiment sous un angle plus large, jusqu'à ce qu'elle repère une mince lueur derrière une fenêtre, au premier étage. D'une main experte, elle lança un caillou contre la vitre. Pas de réaction. Dans l'attente, elle ramassa un second caillou, mais la fenêtre s'ouvrit alors qu'elle pensait insister. "C'est qui ? fit une voix, bientôt suivie du visage de la femme qui l'observait à la dérobée dans le restaurant.
- C'est moi, j'ai oublié mes clés, répondit Pernilla sans trop prendre de risques, je suis enfermé dehors."
Pas de réponse. La fenêtre se referma et, après un temps assez long pour témoigner de la méfiance de la proprio si c'était bien elle, la porte s'entrouvrit. La première chose qu'elle demanda à Pernilla, c'est ce qu'elle avait fait du chien. Cette dernière répondit prudemment qu'elle l'avait laissé dans la chambre, et cela sembla momentanément suffire à son interlocutrice. Arrivée en haut, elle lui souhaita une bonne nuit, puis hésita. Maladroitement elle fit mine de demander où était sa chambre, déjà. L'autre lui jeta un regard plus soupçonneux que jamais,il était temps d'accélérer les choses. Pernilla fit quelques gestes pour s'introduire magiquement dans les sens de sa victime, et manipuler son champ de vision. Elle lui fit voir l'illusion du charmant dealer qui avait essayé de vendre sa came quelques heures plus tôt à celle qui était encore leur cliente, surgissant de l'obscurité, la face couverte de sang , avec des yeux de dingue, et lui mettant sous la gorge une lame affûtée, de celles avec lesquelles le commun des mortels se rase le matin. "Ne crie pas, ne résiste pas, dit l'illusion, ou bien je ne réponds plus de mes actes."
Étrangement, la femme ne laissa transparaître aucune frayeur, tout juste de la surprise. Elle avait soit une grande maîtrise d'elle-même, soit une inconscience équivalente, mais tout de même, c'était étrange. Pernilla fit à nouveau parler son illusion : "Je veux autant d'or que possible, après quoi je repartirai et te laisserai la vie sauve si tu ne me fais pas de faux bond." Et puis là... quelque chose de bizarre arriva. La porte qui se trouvait juste derrière l'endroit où s'était matérialisée l'image du mafioso blond vola en éclats comme si un taureau venait de l'enfoncer. (ça s'appelle un double jet ouvert) Passé un premier instant de stupeur, Pernilla prit conscience de ce que ce bruit allait réveiller tous les dormeurs du coin, y compris ceux de qui elle exploitait l'apparence. C'était pas bon du tout, voire carrément mauvais.
Quelques instants plus tard, une femme, encore une, sortit de la chambre à la porte démolie. Le détail qui frappa immédiatement l'attention de Pernilla, outre la taille de l'ingénue et la puissante assurance de ses mouvements, c'était la longue et large lame d'acier, à tous les coups inoxydable, qui était nichée entre ses doigts. Elle était fort belle, mais une incroyable atmosphère d'autorité et d'agressivité enveloppait chacun de ses gestes, à tel point qu'elle en faisait presque peur. L'illusion, s'adressant aux deux, cria que si qui que ce soit faisait quoi que ce soit de suspect ou simplement un mouvement trop brusque, la propriétaire en robe de chambre ci-présente serait égorgée sans sommation. Pigé ? Des bruits inquiétants dans les chambres avoisinantes décidèrent Pernilla à se rapprocher prudemment de l'escalier. Une porte s'ouvrit à la volée et l'homme à qui elle avait emprunté son aspect fit son entrée, bientôt suivi par le dealer blond. Ce dernier eut un comportement étrange : au lieu de fixer comme tout le monde l'être illusoire qui menaçait celle qui avait ouvert la porte, il sembla ne pas le remarquer, désigna Pernilla et s'écria "Qu'est-ce qu'elle fout là, elle ? Depuis quand on est ouverts la nuit ?" La femme à l'épée cligna des yeux, et darda du regard sans comprendre pendant une fraction de seconde avant de reporter, elle aussi, son attention vers l'illusionniste, qui avait déjà commencé à descendre l'escalier à toute vitesse. Elle était repérée ! Comment avaient-ils pu percer à jour son déguisement aussi facilement ? Et qu'était-il arrivé à la porte ? Qui étaient ces gens ? Arrivée dans la salle principale du restaurant, elle regarda derrière elle. Ils descendaient eux aussi, mais tâtonnaient dans l'obscurité. L'obscurité ! Dans sa panique soudaine, elle avait oublié son atout le plus élémentaire. Le problème, quand on voit dans le noir, c'est qu'on en oublie que les autres, non. Un sourire fugitif passa sur ses lèvres. Elle fit quelques gestes assurés, et bientôt, une épaisse chape de noir absolu vint recouvrir la salle de restauration. Pernilla se plaqua contre un mur, et respira profondément mais silencieusement, retrouvant une part de son calme. La grande femme, lestée de son énorme épée bâtarde, traversa la pièce sans rien voir, et se posta juste en face de la porte bientôt suivie par celle qui l'avait ouverte. Celle-ci s'arrêta à mi-chemin et fit apparaître des flammes au creux de sa main, qui ne pouvaient heureusement dissiper l'obscurité magique. Qui était-elle ? Une sorcière ? C'est alors que Pernilla remarqua que le blond descendait l'escalier, et pire, il ne la quittait pas des yeux. Quoi ? Il pouvait la voir ? Se pouvait-il qu'il fût l'un d'entre eux ? Il hésita, leva un instant une arbalète, puis sembla changer d'avis et dégaina un objet brillant, avant de se mettre à courir, toujours en pointant son regard dans la bonne direction. C'était un fiasco complet, se dit-elle avec rage, il ne lui restait plus beaucoup d'options : elle allait devoir fuir ; sortir d'ici le plus vite possible.
Elle courut vers la porte en faisant quelques gestes incantatoires, pour lancer sur tous ceux qui se trouvaient dans la pièce une illusion sonore qui se voulait un sifflement insupportablement aigu. (Un effet Larsen, à peu près) Arrivée à moins d'un mètre de la porte, elle s'aperçut avec un certain découragement que la gardienne ne semblait nullement affectée. Avait-elle à nouveau résisté à l'illusion ? Prise de panique, Pernilla tourna les talons et regarda dans toutes les directions, à la recherche d'un échappatoire. L'autre fou arrivait en courant, toujours insensible à ses sorts. Seule la femme qui avait fait apparaître la flammèche semblait touchée : elle se tenait la tête de la main gauche, (non enflammée) comme si un son suraigu, strident, lui vrillait le cerveau. (et pour cause) Le blond, enragé, tenta de frapper de son épée courte, mais la semi-obscurité naturelle ne lui permit que d'effleurer sa cible. La cible, elle, cherchait toujours une solution de tout son être, et devant la flagrante inexistence de celle-ci, leva les mains en signe de trêve et dit à l'épéiste que c'est bon, du calme, reste zen, on fait le pow-pow. Qui était ce type ? Il lui mit une lame sous la gorge, l'air de dire "toi, si tu bouges je te plante !". (mais je crois que n'importe qui a l'air de dire ça en mettant une lame sous la gorge de quelqu'un... c'est ça, le langage universel.)
"C'est bon , Tu l'as ? dit la femme à l'épée. Et l'autre, là, fais cesser cette obscurité." À la façon dont il répondit, Pernilla comprit qu'il n'avait même pas eu conscience des sorts qu'elle avait lancés. Ni le noir, ni les illusions. La couche sombre qui englobait la pièce se dissipa, et la flamme dans la main put enfin projeter sa lumière sur la scène. "Tu me veux quoi ? Tu es des leurs, c'est ça ? Tu es un de ces démons !", hurla Pernilla à l'adresse du dealer, en proie à une panique rarement ressentie jusqu'alors. Le visage de la femme à l'épée se fendit d'un large sourire carnassier, proprement effrayant, s'approcha, et saisit la captive par le col de sa chemise. "C'est moi qui pose les questions ! Qu'est-ce que tu fous là ? RÉPONDS !" interrogea-t-elle avec une intonation métallique tellement meurtrière dans la voix que Pernilla en fut incapable de prime abord. Tout dans cette personne suintait une violence inouïe. "Tout ce que vous voulez mais ne me frappez pas." finit-elle par balbutier à toute vitesse.
Elle aurait voulu être ailleurs.
M'enfin bon, au moins, si ils avaient réellement voulu la tuer, ils l'auraient déjà fait, non ? se dit-elle plus pour se rassurer elle-même que par conviction profonde. À défaut de calme, elle récupérait un tant soit peut de rationalité. L'autre femme s'approcha, et porta sa flamme à hauteur de la tête, pour mieux voir. Pernilla ressentit comme un ordre impérieux de se souvenir. Des images ou des sons qu'elle avait vues ou entendus remontèrent à la surface de sa mémoire disséquée. Elle sentait tous ses verrous sauter, une ouverture, l'écartèlement de son crâne, comme une intrusion brutale, ainsi qu'une indéfinissable sensation d'être elle aussi, à ce moment-là, un livre ouvert.
Ceux qui l'immobilisaient la firent asseoir, manu militari, et la... sorcière, quelque chose comme ça, lui posa quelques questions avant de se présenter de nom. Était-ce la lassitude, l'effet du stress, un envoûtement ou une sorte de peur ? Elle n'essaya même pas de mentir. Cela importait peu, de toutes façons, cette femme, Nalya, obtiendrait ces informations d'une manière ou d'une autre, alors... cela n'aurait pas rimé à grand-chose que d'essayer de l'induire en erreur, d'autant plus qu'ils n'avaient vraisemblablement pas l'intention de lui faire la peau. Ils parlèrent un peu. Selon toute logique, ils n'étaient pas de ces tueurs qui poursuivaient Pernilla, pas même le blond. Ils allaient partir vers le nord le lendemain à cause d'une malédiction, ou quelque chose comme ça, dans un lieu isolé et abandonné où jamais les assassins ne penseraient à aller la chercher. Enfin, peut-être que si mais là n'était pas l'essentiel : ces gens constituaient en soi une protection et un agrément. Ils semblaient absolument infréquentables pour la majorité d'entre eux, ce qui était déjà un point positif. Au moins, ils ne seraient pas une source d'ennui, même si ils étaient déjà une source d'ennuis.
De toutes façons, tout ce qui lui importait était de rester le moins longtemps possible dans le coin. Alors, bon, autant joindre l'utile à l'agréable, et ils lui paieraient la bouffe, c'était toujours ça.
Un type descendit les escaliers. Étonné, il demanda pourquoi tout le monde était réveillé, et ce que la cliente faisait là. Ah, bon. Bah, elle avait qu'à prendre sa chambre pour cette nuit, de toutes façons, il n'était pas fatigué. Pernilla se demanda si elle avait le choix, et posa la question. Non, elle n'avait pas le choix. Cela aurait été étonnant.

Le lendemain, ce fut le départ. Après une semaine de voyage, le groupe est arrivé à la ville de Tibérias pour s'approvisionner, et est reparti le jour suivant. La prochaine étape était à deux semaines de route, et l'état de Virgil... vous m'avez compris, il était pour le moins préoccupant. Il dormait mal. Son teint frais de jeune fille s'était comme évaporé. Déjà, à Tibérias, il se baladait avec un foulard pour cacher les stries noires et nettes au bas de son visage.
Et puis, voyage.

Suite...

C'était le treizième jour. Néro ne dormait pas, il ne dormait jamais bien longtemps. Et puis, il fallait surveiller le pyromane. D'après le marabout qui l'avait examiné, le jour où il perdrait le contrôle, ça risquait de très mal se terminer. Cette puissance de feu, incontrôlée ? Ouh ! S'il n'y avait eu que lui, ils l'auraient attaché depuis longtemps. Mais Virgil ne le voulait pas. Ce soir seulement, il avait fini par accepter, car son état était tout simplement alarmant. Il gémissait dans un demi-sommeil douloureux, le visage totalement recouvert par ces énormes marques noires. Néro s'étira, et s'appuya sur le bord de leur triste moyen de locomotion, les yeux levés vers les étoiles.
Un gémissement plus fort que les autres, une odeur, peut-être, ou bien une intuition. Il se retourna brusquement. Virgil était en train de se tenir la tête, et il était saisi de tremblements. Tiens, tiens... c'était donc pour cette nuit-là. Ils étaient à une journée de leur prochaine étape. C'était au moins ça de gagné qu'il ne ferait pas sa crise dans la ville. Néro réveilla Nalya et Kurt, puis fit s'asseoir Virgil, qui paniquait incroyablement. Ensuite, il courut vers les deux tentes proches, pour réveiller celles qui ne dormaient pas dans l'habitacle. Quand il revint, les deux autres essayaient de calmer Virgil et ce dernier luttait avec désespoir contre sa malédiction. Le noir l'envahissait de bas en haut, et soudain, il le submergea totalement.
Une sorte de nuage d'obscurité absolue, qui contrastait même avec celle de la nuit, avait recouvert le sorcier. Les liens tombèrent : il n'y avait plus de matière à attacher. Alors, cela commença à grossir. Néro se saisit de son arme, se battre contre ce qui n'a pas de corps ne lui posait pas de problème, ses coups pouvaient blesser directement l'essence profonde des êtres, mais se battre au risque de tuer un ami ? Voilà qui était une autre paire de manches. Il se rendit compte que Kurt et la voleuse avaient disparu, s'étaient-ils enfuis ? Et la chose grossissait encore. Elle faisait plus de trois mètres de haut, sur autant de large. Néro pointa sa lance devant lui, et sentit son énergie venir l'envelopper : nul doute, il le ferait, s'il le fallait.

Suite un peu plus tard.
Oui, je sais, normalement, l'analyse mentale est indécelable, mais je trouvais ça plus fun, et il n'y a qu'à dire qu'elle ne se cache que quand elle veut.

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