vendredi 22 mai 2009

Petits meurtres & faits divers.

22/05/2009

Le lendemain, ils étaient à la capitale, qui faisait figure de petit bled paumé après avoir vécu à Archange. Enfin, c'était pas pour le temps qu'ils y avaient passé, de toutes façons. Ils entrèrent dans une auberge relativement spacieuse, profitant sans honte et sans abus de la légendaire hospitalité des gens de l'Hélenia. Nalya était cernée, et fatiguée par le voyage. Qu'est-ce qui pouvait bien la retenir avec eux ? Avec ce pyromane sans aucune personnalité, maudit et dangereux ? Avec cette épéiste ultraviolente ? Avec cet ex-mendiant à peine postpubère ? Avec cette voleuse pourchassée comme un musulman au Vatican ? Avec cet assassin crapuleux ? Où était-il, d'ailleurs, celui-là ? Qu'est-ce qu'il pouvait encore faire ? Comme elle commençait à se poser sérieusement la question, Néro (était-ce vraiment ça ? Elle ne s'était jamais habituée à ce nom) l'avertit par mail télépathique qu'il avait étudié avec attention les différents chemins, et qu'ils passeraient par le sud, coupant au travers du Gabriel. À ce propos... il y avait là une jeune femme dont l'itinéraire était similaire au leur, et qui semblait fort disposée à faire la route avec eux. Juste une chose, tu vois le type en noir au fond de la salle ? Celui avec la choucroute ? C'est une femme. Non, plus à droite. Ah, oui, je crois que je vois. Eh bien, c'est son garde du corps. 'fectivement, il a pas l'air commode... J'aimerais savoir s'il est vraiment pas commode, ou si c'est simplement une apparence. C'est déjà en cours, t'inquiètes. Nalya était en train d'étudier en profondeur l'individu en question. Pseudonyme : Zacharias. Impossible de savoir son vrai nom. Apparemment, il n'a pas d'autres souvenirs des jours précédents que de la marche, de la marche et de la marche. No future : pas d'avenir, pas de projets, pas de traits de caractère définissables... Attends ! Ah, oui, quand même. Bon. Qu'est-ce qu'il y a, demanda Néro, tu as appris quelque chose d'intéressant ? Il n'était pas hostile, mais tout de même, on allait le garder à l'oeil, finit par répondre Nalya, avant de se lever et de monter dans sa chambre, laissant Néro en plan.
Virgil et Pernilla s'étaient déjà couchés. Elle entra dans ses quartiers, et s'allongea sur son lit : il y avait quelque chose qu'elle se devait d'essayer. La mentaliste commença à se concentrer intensément, en faisant léviter devant elle une dague qu'elle avait récupérée, elle savait plus trop où.

En bas, Néro avait tenté de discuter avec le garde du corps. Ce type était laconique au point de sembler binaire. Oui. Non. Et puis, soudain, peut-être. Et ensuite, parce que. Pas moyen de lui tirer les vers du nez. Il avait la certitude que cet homme était un combattant, mais celui-ci affirmait le contraire. Pourtant, il était bien le garde du corps de l'autre, là, ce qui impliquait qu'il savait se servir d'une arme. Et puis, ce grand truc embandeletté qu'il avait à côté de lui, il aurait bien aimé savoir ce que c'était. Néro lui proposa même de s'entraîner avec lui, ce à quoi il répondit un truc étrange, d'une profondeur métaphysique incertaine, mais assurément au-dessous du niveau de la mer. C'était quelque chose comme "On ne progresse pas en s'entraînant. Il n'y a que lorsque l'on risque sa vie qu'on apprend."
Et puis, où était Kurt ?

À deux cent mètres de là dans une ruelle sombre, un drame allait se jouer. Kurt était assez nerveux. Sa maladie le rongeait, et il savait intimement quel traitement il lui fallait. Un truc de cheval. Un bon vieux meurtre bien gratuit comme il n'en avait pas commis depuis longtemps. Soudain, il trouva sa victime. Un homme, seul. Pris du désir de s'amuser, il s'approcha subrepticement de lui par-derrière, comme à l'accoutumée, mais ne l'égorgea pas. Il avait plutôt envie de se faire plaisir, aussi lui mit-il sa main devant la bouche, et tira-t-il un gilet de son sac, c'est-à-dire la première chose qui lui tombait sous la main. Kurt voulut bâillonner sa victime pour pouvoir la torturer ensuite, mais celle-ci fit preuve d'une vivacité inhabituelle, et parvint à briser l'étreinte de l'assassin. Alors, de rage en le voyant s'enfuir, il dégaina son épée courte, et frappa. une fois, puis deux. La première fois, il le toucha au cou, sans pour autant le tuer ni trancher quoi que ce soit de vital, mais au second coup, la lame pénétra profondément dans la chair, cependant qu'un geyser de sang apparaissait dans un bruit de ballon de baudruche qui éclate. Cela, c'était une artère, ou il ne s'y connaissait pas, pensa-t-il avec satisfaction. Il regarda ses vêtements : même dans l'obscurité, leur couleur ne faisait aucun doute. Dégueulasse pour dégueulasse, autant aller jusqu'au bout. Alors, avec une certaine frustration de ce que sa victime n'était plus en vie, il entreprit de l'éventrer, d'en sortir les viscères jusqu'au dernier morceau de pancréas, avant de répandre les organes en cercle autour du corps, et de faire quelques dessins géométriques approximatifs avec l'intestin grêle. Que voilà un métier qui permettait d'exprimer sa créativité ! Cependant, en contemplant son oeuvre d'art, il lui semblait qu'il manquait quelque chose. Alors, pour compléter le tableau, il déplia son rasoir et se mit à faire au mort un rasage de près. De très près. À vrai dire, tout ce qui ressemblait peu ou prou à un relief fut soigneusement raboté, puis déposé dans la cavité ventrale évidée. Comme ultime insulte, il s'arrangea pour déloger les yeux, qui glissaient comme des savons, et les laissa au même endroit que le nez, les oreilles et autres lèvres.
C'est alors que, satisfait de son boulot, il s'étira et s'en fut. Il fallait se coucher tôt, pour être frais le lendemain. Il avait un peu faim, faudrait voir avec le patron si il n'y avait pas du rab' de choucroute. Arrivant près de l'auberge, il se demanda sérieusement si ses vêtements dégoulinants, mais pas d'eau, n'allaient pas rendre les gens légèrement soupçonneux à son égard. Alors qu'il se posait la question, son regard se posa sur l'abreuvoir des chevaux, et il sourit. Dans son sac, il avait d'autres vêtements. Il se changea, puis nettoya les vieux dans l'eau. Moyennement bien, mais c'était déjà ça. Après quoi il enfila sa capuche pour cacher les taches rouges dans ses cheveux blonds, et frappa à la porte de l'auberge. Bonsoir, entrez donc, vous désirez quelque chose ? Un peu, mon neveu ! Faites-moi monter une baignoire, je vous prie. Kurt monta donc dans sa chambre, et après une petite demi-heure d'attente, se glissa voluptueusement dans l'eau. Excellent, vraiment ! Il avait passé une excellente soirée, on aurait même dit que ses douleurs s'étaient apaisées. Après son bain, il jeta l'eau rosie de sang par la fenêtre, et se glissa sous les draps, avant de s'endormir paisiblement, du sommeil du juste.
Le lendemain, il lui sembla que quelques uns de ses compagnons le regardaient de travers. Il avait souvent cette impression, après un meurtre, mais c'était sans doute son imagination. Il bâilla, car il était très tôt, et prit son petit déjeuner avec un appétit des grands jours.
Ils repartaient en compagnie, s'il avait bien compris, d'une femme et de son garde du corps. Elle, pourquoi pas, mais le type ne lui inspirait pas trop confiance. En fait, depuis qu'ils étaient partis, il traînait derrière lui ce qui semblait être une grande faux. Génial. Avec une dégaine comme celle-ci, il fallait pas s'étonner si l'on vous prenait pour un assassin. Comme s'il cherchait à attirer les ennuis, lui...

Juste au moment de partir, il y avait eu un meurtre dans la ville. L'aubergiste avait paru assez ému, et leur avait révélé quelques détails de l'histoire : crime à arrière-goût sataniste, avec mise en scène morbide à la clé. Scabreux. L'inquisition allait être prévenue, d'après lui, ils étaient très forts pour retrouver leurs proies et leur faire regretter leurs actes... C'était, pour Pernilla, un souci supplémentaire. Pourquoi ? Eh bien, elle ne voyait que trois possibilités.
1) C'étaient ceux qui la pourchassaient. S'ils avaient déjà retrouvé sa trace, il y avait lieu de s'inquiéter. Leur motivation n'était plus à démontrer, mais... jusqu'ici, leurs agents pouvaient mettre deux ou trois jours à la localiser lorsqu'elle ne bougeait pas. S'ils avaient trouvé le moyen de la pister de suffisamment près pour retrouver sa trace en moins de vingt-quatre heures, elle allait encore plus mal dormir. Cela finirait-il un jour ?
2) C'était le type en noir, le garde du corps. Elle ne lui avait pas parlé, mais il ne lui inspirait aucune confiance. Elle n'avait jamais vu son visage, mais ce n'était pas le pire. Depuis qu'ils étaient partis, il se baladait avec une faux géante sur le dos. Dans sa tête, elle l'avait surnommé l'Ankou, bien que son nom fût Zacharias.
3) Le pirate du Dwanhölf, le blond qui semblait quasiment insensible à sa magie. Il lui avait suffi d'un coup d'œil pour comprendre que cet individu avait déjà fait l'expérience du meurtre. Combien de fois, elle ne pouvait le dire, mais elle en avait l'intime conviction. Cela se lisait sur son visage, dessus était gravé quelque chose qui ne pouvait lui inspirer qu'une viscérale antipathie.
Le pire, c'était la première solution, cependant, les deux autres était fort préoccupantes puisque l'inquisition allait tenter de retrouver le coupable et que les deux coupables potentiels, comme de par hasard, l'accompagnaient. En fait, ces assassins, quels qu'ils soient, auraient tout à fait pu massacrer des villages entiers si ça leur chantait. Femmes et enfants d'abord, elle ne voulait pas le savoir. Le truc, c'est que c'était elle, Pernilla, qui allait encore récolter un maximum d'emmerdes avec tout ça. Sûr. C'était toujours pareil.
Le voyage se passait, cependant, sans histoires. Ils allaient un peu se rallonger pour aller voir une jolie cascade, que la femme qui les accompagnait tenait absolument à voir. C'était pas malin, compte tenu du fait que Virgil recommençait à ne ressembler à rien. Les marques noires étaient... quelque chose comme en phase terminale quand, un jour, il tomba en criant de douleur. Pernilla s'approcha un peu, apparemment, c'était pas une transformation, juste une insupportable souffrance. Pas de quoi s'alarmer. Un deuxième cri la fit se retourner. Cette fois, c'était le blond du Dwanhölf qui faisait son intéressant. Il se tordait en se tenant le ventre et en gémissant. L'homme à la faux les regardait tour à tour, et elle se rendit soudain compte qu'elle n'avait encore jamais vu la moindre parcelle de sa peau.
Pernilla se rapprocha de Kurt, en s'enveloppant d'une puissante magie illusoire, qui fonctionnait plus ou moins de manière suggestive. Elle entreprit de lui masser le ventre, en lui affirmant qu'il allait se sentir mieux. Que dalle. Il restait complètement hermétique à l'illusion. Sans se décourager, elle lui posa la main sur le front, et commença "Écoute le son de ma voix, à cinq, tu vas dormir. Un, tes paupières sont lourdes, tes yeux te picotent, tu as sommeil. Deux, les sensations s'estompent, comme au moment où l'on succombe à un endormissement, la douleur quitte ton corps...
- Mais putain, arrête tes conneries", hurla Kurt au désespoir, visiblement persuadé d'avoir affaire à une folle.
En désespoir de cause devant sa magie inopérante, elle voulut tout de même réessayer, une dernière fois. De la persévérance, toujours. Alors elle le regarda droit dans les yeux et lui dit, en substance : "Le monde que tu perçois n'est qu'une matrice, un écran que l'on a superposé à tes yeux. Ce que tu appelles la réalité n'est qu'une illusion naturelle, qui affecte tes sens ; ta douleur est illusoire : tu dois dominer tes sensations pour faire éclater la vérité..." Pernilla s'arrêta là. Il essayait de s'enfuir, complètement insensible à sa magie. Étonnant, vraiment. (je signale tout de même qu'il à réussi à résister trois fois à l'illusion alors qu'il avait 70% de chances de rater à chaque fois, ce qui fait statistiquement environ 3% de chances de résister aux trois tentatives ! Murphy wins !) Et puis, bon, les catarrheux finirent par se calmer, et purent reprendre la route. Ils atteignirent la cascade le lendemain. Jolie, la cascade. Six cent mètres de haut, à en croire la bourgeoise qui les avait accompagnés, et qui devait avoir avalé le guide michelin. Cette dernière les laissa bien vite : elle avait des trucs à faire. Virgil s'approcha à distance respectueuse de la cascade, et dit à Pernilla, qui était à côté de lui, qu'il se sentait mieux ici. Effectivement, les traces noires de la malédiction s'estompaient légèrement au niveau du visage. Peut-être cette cascade, située à proximité d'un temple, et si majestueuse, avait-elle quelque vertu curatrice ? Autant essayer. Elle lui affirma donc qu'elle avait entendu dire, entre autres, que cette cascade avait quelque chose de sacré, qui pouvait parfois soigner les souffrants, et peut-être le débarrasser de sa malédiction. Ne voulait-il pas essayer ? Non, il voulait pas. Au moment où il allait lui expliquer pourquoi, Myllenia, qui avait tout entendu, lui mit la main sur l'épaule et lui ordonna d'aller se baigner immédiatement. Elle avait quelque chose dans la voix et dans l'attitude qui persuada instantanément Pernilla qu'à la place de Virgil, elle n'aurait pas eu l'idée de désobéir non plus. Comme une menace implicite, et pourtant si indubitable qu'on n'osait même pas imaginer ce qui pouvait arriver quand on répond "non" à un ordre comme celui-là.
Oubliant de penser, le combattant au katana courut vers la cascade, et s'y jeta tout habillé. Un instant plus tard, ses cris retentirent. L'eau était-elle bouillante ? Y avait-il des alligators dedans ? Non, mais apparemment, il avait subi quelques traumatismes plus jeune, quelque chose comme ça, et il avait une peur phobique de l'eau, en plus de ne pas savoir nager. Intéressant... Pernilla, souriant pour elle-même, imaginait déjà des méthodes pour le calmer en cas de besoin, basées sur des lacs dont on atteint jamais la rive, des bulles d'eau coercitives et des inondations dans une pièce fermée. Néro atterrit à côté d'eux. Elle leva la tête, mais ne voyait pas d'où il avait pu tomber, à moins que...
Avant de partir, elle discuta un peu avec l'Ankou, car elle en avait marre de son silence. Elle souhaitait être fixée à son propos. "...voyez-vous, Zacharias, quand on voyage avec des gens, on a ce que j'appellerais devoir d'urbanité. Un voyage, quel qu'il soit, étant une gageure pour tout le monde ; quelque chose de foncièrement emmerdant, nous avons le devoir d'être agréable les uns avec les autres afin d'éviter de le rendre encore plus pénible. Appelez cela de la camaraderie si vous voulez.
- Pousser les autres à l'eau alors qu'ils en ont peur, les intimider de manière abjecte, mentir à un malade, est-ce là ce que vous appelez de la camaraderie ?
- Pas vraiment, en fait, c'est plutôt se dire bonjour le matin d'un air avenant, discuter avec les autres pour leur être agréable. Si vous vous intéressiez quelque peu aux gens, je suis sûre que vous trouveriez en eux une certaine distraction."
Bref, c'était pas gagné, mais elle ne désespérait pas pouvoir s'entendre avec ce type au bout de quelque temps. Il lui proposa même de l'aider à monter sur son cheval avant de partir. C'était sympa de sa part, même si pas trop utile. Bientôt, il retirerait cette capuche qui lui cachait le visage, et cesserait de prendre ses airs de victime.

Une nuit, alors que Nalya s'était un peu éloignée en compagnie de Néro pour tenter, après la dague, de changer un rocher en or, ils entendirent d'étranges bruits venant de la forêt.

Suite la semaine prochaine.

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